Laurent Turcot, le plagiat et l’avenir de l’auteur
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Lorsque j’ai appris dans les médias que l’historien, auteur et vulgarisateur Laurent Turcot s’était fait prendre en flagrant délit de plagiat, je me suis dit que cela devait sûrement relever d’une erreur d’inattention de sa part. Toutefois, après la lecture du solide dossier publié à ce sujet par le Journal de Québec, j’ai dû me rendre à l’évidence. Le plagiat chez cet historien, loin d’être la conséquence d’une étourderie, ressemble plutôt à une manière d’être, de penser, de concevoir son rôle d’écrivain et d’intellectuel. Car ici, en plus des nombreux exemples que nous présente le journaliste d’enquête Antoine Robitaille, ce dernier nous apprend que l’Université du Québec à Trois-Rivières, là même où enseigne l’historien visé, a mené au cours des derniers mois des enquêtes pour quelque 120 autres cas de fraude intellectuelle à son sujet.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit: lorsqu’un auteur ne donne pas ses sources et évite à de nombreuses reprises de mettre des guillemets au début et à la fin de longs passages qui ne viennent pas de lui dans un livre qu’il signe, il commet bel et bien une fraude intellectuelle, un vol, un geste malhonnête, en plus d’afficher un manque de respect pour ses collègues universitaires et l’ensemble des lecteurs.
Selon l’historien en cause et sa maison d’édition, il s’agirait là tout simplement d’une omission ou d’une erreur de bonne foi: «Pour faciliter la lecture de certains de mes livres, [...] mon éditeur et moi avons fait le choix de limiter l’usage des guillemets, qui peuvent rendre la lecture ardue», aurait-il affirmé. Moi qui ai enseigné des années au cégep et qui ai été confronté à de multiples cas de plagiat, jamais je n’ai entendu un argument aussi faible et ridicule de la part d’un étudiant fautif.
L’IA et ChatGPT
Le plagiat a toujours représenté une véritable plaie dans nos institutions d’enseignement. Des tricheurs, il y en a eu et il y en aura toujours. Cependant, à la suite de l’obligation pour les étudiants de suivre leurs cours et de passer leurs examens en ligne pendant la pandémie, disons que cette mauvaise habitude, qui consiste à s’approprier frauduleusement le travail intellectuel d’autrui, a pris la forme d’une véritable épidémie.
Dans ce contexte, le comportement de Laurent Turcot n’est peut-être que le reflet de l’air du temps ou d’une tendance lourde qui est en train de s’installer dans notre environnement intellectuel. En fait, avec le nombre d’«emprunts» qu’il fait à d’autres auteurs et les fragments qu’il tire tout droit du web, le résultat qu’il nous livre est un peu à l’image de ces dissertations que réussit à produire ChatGPT. Boostée à l’intelligence artificielle et puisant dans des millions de textes entreposés dans le nuage numérique, cette application de la société OpenAI ne donne pas davantage ses sources, n’appuie pas son propos par des citations; et, évidemment, ne fait jamais usage de guillemets! Pas la peine, car le produit final qui sort de ChatGPT est en quelque sorte le produit désincarné de tout le monde et de personne à la fois.
Comme le fait remarquer Fleur Brosseau dans un article paru dans Trustmyscience.com, les textes générés par l’IA finiront tôt ou tard par envahir et surtout «polluer» internet, en plus de servir ensuite de matière première pour la création de futurs textes produits eux aussi par des algorithmes, et ce, avec tous les risques que cela pourra comporter: impossibilité d’identifier les sources, de savoir si un texte a été écrit par un être humain ou généré par l’IA ou même de faire la différence entre ce qui est réel et virtuel, vrai ou faux. En somme, les fake news et autres vérités alternatives du monde de la désinformation dans lequel nous pataugeons désormais trouveront ici le terreau fertile que leurs auteurs n’avaient jamais osé espérer, ce qui, on peut le deviner, fera le bonheur de tous ces complotistes tapis dans l’ombre du dark web.
En fait, dans un avenir rapproché, «plagier» deviendra probablement la norme. Mais ce n’est évidemment pas sous ce vocable beaucoup trop péjoratif que cette activité sera identifiée. De la même façon que les vieux sont dorénavant présentés comme des aînés, peut-être qu’on se mettra à parler bientôt d’échantillonnage créatif en remplacement du mot «plagiat» pour pérorer au sujet du produit de ces larcins faits en plein jour. Ainsi, le travail de ces échantillonneurs professionnels sera un peu à l’image de ces DJ vedettes qui, sans n’avoir jamais rien composé, gagnent leur vie en raboutant différents échantillons de musique qu’ils glanent ici et là chez de vrais auteurs-compositeurs.
Voilà un bien triste destin annoncé pour le concept de droit d’auteur, mais surtout pour les auteurs eux-mêmes!
Et en terminant, je voudrais m’excuser pour cette utilisation effrénée des guillemets dans le texte que vous venez de lire, convaincu qu’ils ont eu pour effet de vous rendre la lecture ardue et fort pénible...
Réjean Bergeron
L’auteur a enseigné la philosophie pendant plusieurs années et a publié les essais Je veux être un esclave! (2016), L’école amnésique ou Les enfants de Rousseau (2018) et Homère, la Vie et rien d’autre! (2022).