Le Québec en histoires: le 31 décembre 1775, le Québec a failli devenir un État américain
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Pour comprendre cette étonnante histoire, il faut remonter le temps au moment où se termine la guerre de Sept Ans (1756-1763), guerre qui a fait basculer le Canada dans l’Empire britannique.
L’Angleterre, très endettée à l’issue de ce conflit, choisit d’imposer de lourdes taxes à la population des Treize colonies britanniques d’Amérique, qui sont, soit dit en passant, les principaux bénéficiaires de cette victoire sur les Français.
Évidemment, puisque personne n’a été consulté sur ces nouvelles charges financières, des protestations fusent de toutes parts.
Sentant la révolte gronder, le roi d’Angleterre George III et le Parlement britannique envoient des troupes armées en Amérique pour prévenir une révolte coloniale.
La colère des coloniaux ne dérougit pas.
Ils jugent que ces taxes sont injustifiées, principalement parce qu’elles ont été votées par des hommes politiques établis de l’autre côté de l’Atlantique, et non par des représentants de la population des colonies d’Amérique.
La furie américaine prend forme sous le slogan : «No Taxation Without Representation».
Malgré de nombreuses pétitions et de grandes manifestations, l’État britannique persiste en taxant des produits comme le sucre, le thé ou le papier.
C’est dans ce contexte des plus conflictuels qu’en 1773, des manifestants jettent des caisses de thé britannique à la mer. «Le Boston Tea Party» deviendra alors un symbole fort de l’escalade des tensions entre les colonies et le pouvoir à Londres.
Boycott
Mécontents, les colons américains commencent par boycotter les produits britanniques. Puis, ils se solidarisent et s’organisent pour faire front commun contre leur métropole. Ils font même circuler chez nous, dans la Province of Quebec, des documents de propagande politique pour nous convaincre de nous joindre à leur cause.
Le Congrès américain adresse aux Canadiens qui habitent la vallée du Saint-Laurent une première lettre à l’automne de 1774.
Dans cette missive, les rebelles américains traitent de liberté, d’égalité politique et se permettent même de nous donner une petite leçon de droit démocratique 101.
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Ces propagandes se multiplient. Elles nous invitent à tisser de réels liens d’amitié, à collaborer avec eux afin de chasser les Britanniques et même à intégrer leur projet de nouveau pays.
Bien que quelques Montréalais anglo-saxons manifestent de l’enthousiasme face aux intentions des Américains, règle générale, ces lettres traduites en français sont reçues assez froidement par les Canadiens.
L’insurrection prend une nouvelle forme à la fin du printemps 1775, quand l’armée continentale américaine est mise sur pied. Au début de l’été 1775, les Américains préparent leur invasion de la province de Québec, territoire devenu britannique après la signature du traité de Paris en 1763.
Au début du mois de septembre, deux contingents militaires avancent vers la province.
Un premier contingent armé se dirige vers Montréal en passant par le lac Champlain et la rivière Richelieu ; le deuxième se déplace vers la ville de Québec. En réaction à cette menace d’envahissement, les autorités britanniques mettent en vigueur la loi martiale à Montréal et à Québec et cherchent à lever une milice coloniale.
Appel des anglais
Les Canadiens ne répondent pas vraiment à l’appel des Anglais, probablement parce qu’ils considèrent que ce conflit ne les concerne pas. Il s’agit pour eux d’une guerre entre Anglais de différentes allégeances.
Forte d’environ 2000 hommes, l’armée américaine prend le fort Chambly le 17 octobre 1775.
Deux semaines plus tard, elle récidive à Saint-Jean. L’armée avance rapidement et se rapproche de Montréal.
À l’intérieur des fortifications de Montréal, le gouverneur de la Province of Quebec, Guy Carleton, est bien conscient qu’il ne peut arrêter l’invasion avec sa poignée de soldats.
Il signe donc l’acte de capitulation de la ville et s’échappe par le fleuve en chaloupe, costumé en paysan, pour déjouer les sentinelles américaines, qui se sont multipliées à partir de novembre.
Le commandement britannique abandonne Montréal et se replie derrière les remparts de la ville de Québec.
Cette retraite est stratégique : Carleton espère l’arrivée des renforts de la métropole et souhaite que le froid ralentisse les troupes américaines.
Château Ramezay
Le 13 novembre 1775, les Montréalais voient défiler dans leurs rues les troupes révolutionnaires américaines. Le brigadier général fait même du Château Ramezay son quartier général.
Au début de l’occupation, la plupart des Montréalais soutiennent la cause des Américains, mais la situation se corse après le départ pour Québec du général américain Richard Montgomery, le 28 novembre.
Il laisse à Montréal quelque 200 soldats ainsi qu’un gouverneur pour gérer la ville, un certain Wooster, homme bien maladroit, qui se met rapidement à dos les sympathisants montréalais.
Par exemple, Wooster interdit la célébration de la messe de minuit la veille de Noël 1775, il fait constamment des arrestations arbitraires, il interdit le commerce des fourrures aux Canadiens.
Cependant, il tolère, voire encourage, les pillages et les exactions de toutes sortes par ses troupes. On peut comprendre que la population montréalaise soit moins encline à suivre les pas de Wooster.
Le deuxième contingent américain, sous l’autorité de Benedict Arnold, part de la région de Boston. Les soldats venus d'aussi loin que de Virginie suivent la rivière Kénébec à bord de plus de 200 canots.
Ils ont dû traverser des marécages, transporter de lourdes charges à travers des forêts infestées de moustiques et endurer le froid humide de l’hiver nord-américain. De nombreux militaires sont tombés malades.
Lévis
En 46 jours, les troupes ont fondu de moitié. Une fois à destination, il ne reste que 600 des 1200 soldats. Les survivants s’installent alors à Lévis en face de Québec et attendent l’arrivée des troupes du général Richard Montgomery avant d’attaquer.
Derrière le mur des fortifications de Québec, la petite garnison de 1600 hommes se prépare à l’affrontement.
Les habitants de Québec voient, du haut des fortifications de la ville, les soldats américains prendre position et espèrent résister, profiter de l’infériorité numérique de l’ennemi.
L’assaut américain contre Québec est donné à 4 heures du matin, le 31 décembre 1775, en pleine tempête de neige.
Les Américains attaquent par la haute et la basse ville en même temps, malgré la tempête... Il fallait faire vite en partie parce que le contrat d’engagement de plusieurs miliciens des troupes américaines se terminait à minuit ce jour-là. Passé minuit, de nombreux miliciens risquaient tout simplement d’arrêter de se battre et de s’en retourner à la maison. À l’ombre du cap Diamant, les artilleurs canadiens ouvrent le feu.
Dans le faubourg Saint-Roch, les troupes de Benedict Arnold engagent la bataille, mais les fortifications se révèlent trop fortes pour être prises.
En quelques heures, les troupes de Carleton mettent hors de combat plus de 400 miliciens américains.
On retrouve même une bonne centaine de soldats américains morts gelés dans la neige, y compris la dépouille du général Montgomery.
Le siège se poursuivra quand même un certain temps grâce aux renforts que les Américains reçoivent par la suite.
Pendant ce temps, à Montréal, Benjamin Franklin, âgé de 70 ans, et des hommes qui l’accompagnent tentent une fois de plus de convaincre les Canadiens de se rallier à leur cause.
Cependant, l’arrivée de navires britanniques au début de mai 1776 force le retrait définitif des troupes américaines de la Province of Quebec.
C’est ainsi que le Québec est passé près de devenir possession américaine, le dernier jour de l’hiver 1775.