Romans d’ici: Ô, monde superficiel!
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Quelle traversée que ce roman floridien ! Il fait d’abord sourire, rend peu à peu cynique, puis aboutit au désenchantement. Le tout traversé d’une sagesse venue des temps anciens.
À Babylon Cove, un complexe de Fort Lauderdale, réside une petite communauté de célébrités québécoises : journaliste, cinéaste, agente d’artiste, animatrice, ex-ministre et tutti quanti.
Cette élite carbure au m’as-tu-vu. Justement, en ce temps des Fêtes, elle est en attente d’une invitation à la grande soirée de fin d’année donnée par M. L., l’homme le plus riche du Québec.
Que de bassesses elle pourrait accomplir pour ne pas être oubliée ! Comme de couvrir d’attentions leur voisine, Maude Bélanger. Cette auteure-compositrice, qui a connu d’immenses succès, est la grande amie de la femme de M. L. Autant dire la clé pour entrer au paradis !
En attendant, la clique s’étourdit : courir les soldes, garder son teint bien botoxé, fréquenter le casino... C’est un tourbillon d’une telle superficialité qu’il sombre dans la vulgarité. Même Marc, le cinéaste intellectuel, n’y échappe pas. Il a beau se plonger dans les réflexions de Sénèque, sa paresse contribue au climat de décadence.
La résistance s’organise
Tout, en fait, n’est que babillage de bas étage, suffisance et surconsommation. C’est aussi drôle que pathétique.
Mais la résistance s’organise. Elle viendra de Peeters, moine défroqué et nouvel époux d’Hélène, la journaliste vedette ; d’Alexandre, cynique fils d’Hélène ; et de Rose, fille adoptive rebelle de Marc et de Louise, l’agente d’artistes la plus réputée du Québec.
Ils ont déjà pour repères la lecture de philosophes ou l’ascèse de la religion, exposées avec justesse. Mais leur regard se fera de plus en plus implacable à l’égard de leur entourage grâce à leurs rencontres hors des sentiers battus par les touristes.
Chacun son tour y croise un monde de marginaux et de laissés pour compte qui renforce l’image d’enfants gâtés que dégage la petite bande de Babylon Cove.
Tout cela converge vers une finale digne d’une version contemporaine des grands récits de déchéance. On pense à l’Apocalypse ou à l’enfer de Dante. Il faut du souffle pour nous y faire croire ; or l’auteur en est superbement doté !
C’est le premier roman de Guillaume Sylvestre, documentariste au regard sans fard, et il raconte cette histoire dans une langue où l’ordinaire des dialogues côtoie le ton élevé de la narration. Le vocabulaire est alors recherché, parsemé de mots rares qui ravivent la richesse oubliée du français.
Son propos oblige par ailleurs à regarder en face une société qui s’enfonce dans de ridicules paradis. Nos sociétés occidentales ne croulent-elles pas sous les babioles et la nonchalance, l’obsession de la jeunesse éternelle et l’envie de reconnaissance ?
On comprend que les célébrités épinglées par Sylvestre ont leur contre-partie dans la réalité, mais le questionnement qu’il soulève nous concerne tous.
De ce récit ravageur finit donc par émaner un besoin de retour à l’essentiel avant qu’il ne soit trop tard. La leçon est aussi dure que la démonstration est brillante.