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Je viens de perdre mon plus vieil ami

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Alan Glass est mort, hier matin, dans la vieille maison qu’il habitait au centre-ville de Mexico.

Peu connu chez nous, Glass est pourtant un artiste de renommée internationale. Ses œuvres font partie des collections du Metropolitan Museum de New York, du Musée de la ville de Paris et de plusieurs grandes galeries. Le Musée d’art moderne de Mexico lui consacra une spectaculaire rétrospective l’année où il reçut la Médaille des beaux-arts du Mexique, attribuée pour la première fois à un artiste d’origine étrangère. 

Alan est né à Saint-Bruno-de-Montarville en 1932. Son oncle Willie Park était venu d’Écosse pour dessiner le parcours du golf Mount Bruno. Son beau-frère, le père d’Alan, hérita de la gestion du club. Il choisit de rester au Québec. Même si Alan quitta Saint-Bruno pour Paris lorsqu’il avait 18 ans, il n’oublia jamais sa ville natale. Elle lui rend bien sa fidélité. L’été dernier, on a présenté au Vieux Presbytère de St-Bruno une exposition d’une quarantaine de ses 300 dessins réalisés au stylo Bic au moment de son invention. 

LE CLUB ST-GERMAIN À PARIS

Ces dessins, il les avait faits lorsqu’il était portier au club de jazz St-Germain quand Juliette Gréco y attirait le Tout-Paris. Vivant de presque rien, Alan se joignit au groupe surréaliste d’André Breton. Il resta toujours en contact étroit avec sa fille Aube. C’est à cette époque que j’ai connu Alan, avec qui j’ai dû marcher quelques centaines de kilomètres dans les rues de Paris.

En 1962, Alan découvre au marché aux puces de Saint-Ouen un crâne en sucre, figurine avec laquelle les Mexicains marquent la fête des Morts. Intrigué par cette figurine, il quitte Paris pour le Mexique. Il s’y installe l’année suivante. En 1970, il adopte la nationalité mexicaine tout en conservant son passeport canadien. Même né de parents anglophones, Alan avait adopté le français comme langue maternelle.

Alan Glass garda toute sa vie la nostalgie des automnes du Québec. C’est d’ailleurs presque toujours en octobre qu’il venait voir ses amis québécois, dont la costumière Solange Legendre, l’écrivain Réjean Ducharme, la chanteuse Pauline Julien et son mari Gérald Godin, le peintre Alfred Pellan et sa femme Madeleine ainsi que quelques autres qui l’ont précédé dans la tombe.

UN ÊTRE INCROYABLE

À Mexico, Alan se lia d’amitié avec l’artiste surréaliste Leonora Carrington, qui s’y était établi après avoir été la compagne du peintre Max Ernst. Avant sa mort, Leonora confia Alan aux bons soins d’un banquier dont le fils, Carlos Delaborde, devint le bienfaiteur jusqu’à ce jour. Grâce à lui, Alan a pu continuer de travailler à ses œuvres et vivre dans une aisance relative dans sa maison de Mexico.

Alan Glass est l’être le plus incroyable que j’ai rencontré. Il vivait hors du temps. Comme dans un autre siècle. En voyage, il transportait parfois plusieurs milliers de dollars en billets dans un vieux sac de jute.

Il n’avait ni adresse internet ni carte de crédit ni répondeur. Au moins il avait le téléphone ! On s’appelait, lui et moi, presque tous les dimanches depuis des années. Il se faisait un festin de la tête de veau et du ragoût de queue de bœuf et il ne repartait jamais de Montréal sans plusieurs boîtes de foie de morue. 

La plupart des grands musées du monde lui ont ouvert leurs portes, mais le Musée des beaux-arts de Montréal, qui possède plusieurs de ses œuvres, ne lui a pas encore fait l’honneur d’une exposition ! 

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