/finance
Publicité

Consommation d’électricité: la sobriété énergétique, ça coûte vraiment cher

Les changements d’habitudes ne suffisent pas pour réduire substantiellement sa consommation

Meyland Gravel-Labelle
Photo Hélène Schaff


Si démarrer son lave-vaisselle à minuit ou baisser le chauffage comme le suggère le ministre Pierre Fitzgibbon peut être souhaitable, la sobriété énergétique nécessitera de bien plus grands gestes pour lesquels tous les Québécois n’ont pas les moyens financiers. 

À peine quelques jours après sa nomination comme ministre de l’Énergie et grand stratège d’Hydro-Québec, Pierre Fitzgibbon demandait aux Québécois d’aider à contrer la pénurie d’électricité que vit le Québec en étant plus économes.

« Nous ne sommes pas sobres dans notre consommation, avait-il plaidé. Nous, comme consommateurs, aussi peut-être, il faut changer les habitudes. Peut-être, lavez la vaisselle, bon, on la fera à minuit ». Mais le message du ministre est-il réaliste ?

« Les petits gestes en période hors pointe sont futiles. Le seul moyen de faire de l’efficacité énergétique, c’est de conserver la chaleur », mentionne Emmanuel Cosgrove, directeur de l’OBNL Écohabitation. 

Optimiser l’habitation

Pour comprendre comment réduire la consommation énergétique d’une résidence et les programmes offerts par le gouvernement, Le Journal a suivi une visite d’évaluation offerte par un expert en efficacité énergétique. 

Test d’infiltration de l’air, système de chauffage, visite des combles, chauffe-eau, ventilation, isolation : tout y passe. 

Meyland Gravel-Labelle, superviseur technique chez Expertbâtiment, le confirme : il faut optimiser l’habitation pour réduire le chauffage puisqu’il représente près de 60 % de la facture énergétique d’un logement. 

Il suggère ainsi plusieurs améliorations et subventions du programme gouvernemental Rénoclimat destiné aux propriétaires.

Vient ensuite le programme Éconologis. 

C’est le programme normalement destiné aux locataires à faibles revenus. Il n’aurait pas été proposé au propriétaire de la maison unifamiliale visitée, mais Le Journal a souhaité en connaître les détails.

Conseils aux effets très limités

Cette fois, les solutions sont bien moins fournies : conseils comportementaux pour réduire sa consommation, don d’un sablier pour limiter sa douche à 5 minutes, pose de calfeutrage de plastiques aux fenêtres voire de thermostats électroniques. 

Meyland Gravel-Labelle
Photo Hélène Schaff

Alors, peut-on réduire significativement sa consommation d’énergie en changeant ses comportements ou en dépensant peu d’argent ? 

Non, répond M. Gravel-Labelle. 

« On ne va clairement pas accoter un investissement de 10-15000 $, indique-t-il. On pourrait atteindre environ 5 % d’économie avec les conseils du programme Éconologis et le calfeutrage des fenêtres. »

Nous avons posé la même question à l’organisme Ecohabitation, spécialiste du sujet. Nouvelle réponse négative de la part du directeur, Emmanuel Cosgrove.

Il y a des habitudes de vie énergivores que certains peuvent changer : des grands bains chauds, 26 degrés dans la maison l’hiver, 19 en été.

Mais pour le reste, il faut travailler sur l’efficacité énergétique des bâtiments et cela nécessite des améliorations structurelles. 

Des investissements nécessaires

Pour les sommes à débourser, Écohabitation semble plus optimiste que le superviseur d’Experbâtiment. 

Avec moins de 3000 $ (étude menée en 2017), l’organisme estime qu’on pourrait réduire la consommation d’une maison des années 1970 jusqu’à 7000 kilowattheures (kWh), soit près de 30 % de la consommation d’une maison moyenne.

Reste que pour s’assurer de faire des économies d’énergie substantielles, il faut s’attaquer à des investissements bien plus coûteux. 

Isolation des murs, des fondations, installation d’une thermopompe efficace, remplacement des fenêtres... Ces améliorations peuvent atteindre 28 000 kWh, soit quatre fois plus d’économies d’énergie que les améliorations les plus accessibles. 

Mais l’investissement est bien plus conséquent : jusqu’à 40 000 $ en 2017, selon l’étude d’Écohabitation.

C’est encore le Far West

Comme l’enjeu n’est pas tant comportemental, mais plutôt structurel, il nécessite du leadership et un bon encadrement d’après les experts rencontrés. 

Autrement dit, le gouvernement doit intervenir de manière efficace.

Or, aujourd’hui « c’est le Far West complet », estime Pierre-Olivier Pineau, professeur au HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

Si des normes pour les nouveaux bâtiments existent, trop peu de suivi serait effectué. Sont-elles bien respectées ? Sont-elles efficaces ? 

Quant aux bâtiments déjà construits, les moins bien isolés, M. Pineau prône plus d’actions à leur égard et cite en exemple l’Europe. 

Dans plusieurs pays, les bâtiments ont l’obligation d’être évalués et de recevoir une « cote ». On exige également un seuil minimal d’efficacité énergétique. 

Subventions faites pour les riches

L’autre enjeu majeur qu’il faut revoir selon M. Pineau, ce sont les subventions. Elles seraient socialement inéquitables. 

« Ce sont les gens riches qui bénéficient des subventions, remarque le professeur. Les gens qui vivent dans des logements mal isolés avec un propriétaire qui n’apporte aucune amélioration, eux payent la facture énergétique et n’ont aucun accès aux aides gouvernementales. »

Les subventions pour une thermopompe, très largement utilisées, n’ont par exemple aucune limitation de revenus associée. Des ménages fortunés peuvent accéder facilement à plusieurs centaines de dollars de subventions sans grande difficulté. 

Pour les propriétaires moins nantis par contre, la subvention peut s’avérer insuffisante puisqu’il leur restera plusieurs milliers de dollars à payer pour se procurer le système de chauffage.

Quant aux ménages locataires, les propriétaires d’immeubles ne sont pas tenus d’offrir un niveau minimal d’efficacité énergétique ni d’apporter des améliorations au logement. 

En conséquence, leur capacité à réduire leur consommation d’énergie s’avère pour le moins limitée.


►Le secteur résidentiel compte pour 18 % de la consommation d’énergie du Québec, derrière l’industrie (34 %) et les transports (28 %). La consommation énergétique par habitant pour le secteur est 20 % supérieure à celle de la Suède, d’après le rapport 2022 sur l’État de l’énergie au Québec. 

RÉPARTITION DE LA CONSOMMATION D’ÉLECTRICITÉ D’UNE MAISON UNIFAMILIALE, FAMILLE 2 ADULTES 2 ENFANTS

Meyland Gravel-Labelle
Illustration Adobe Stock
  • Chauffage des espaces
    57 % | 12 540 
  • Électros et appareils
    19 % | 4180 
  • Eau chaude
    16 % | 3520 
  • Éclairage
    4 % | 880 
  • Autres
    4 % | 880 

AJOUTS ÉNERGIVORES 

  • Piscine hors terre chauffée - 3 mois
    23 % | 4992 
  • Spa à l’année
    21 % | 4667 
  • Climatisation murale 15 000 BTU - 2 mois
    9 % | 2057 

DES AMÉLIORATIONS AU BÂTIMENT PARFOIS COÛTEUSES SONT NÉCESSAIRES POUR FAIRE DES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE 

Améliorations accessibles 

  • Pomme douche faible débit
  •  Amélioration étanchéité
  •  Isolation entretoit
  •  Pellicules Low-e 

Améliorations majeures 

  • Thermopompe haute efficacité
  •  Isolation des murs
  •  Isolation des fondations
  •  Remplacement des fenêtres 

Coût jusqu’à | Gain annuel jusqu’à 

  • 2700 $ | 7 000 kWh 
  • 40 000 $ | 28 000 kWh 

Sources : étude 2017 Hydro-Québec et Écohabitation 

Des maisons toujours plus grandes à chauffer

Meyland Gravel-Labelle
La superficie moyenne des maisons québécoises était de 108 mètres carrés en 1990. En 2019, elle était de 131 mètres carrés. Photo fournie par Royal Lepage

Une manière d’être plus sobre sur le plan de la consommation d’électricité, serait-il de réduire l’appétit des Québécois pour les maisons toujours plus grandes, les piscines individuelles, spas et autres consommations énergivores ?

« On rentre dans des maisons, ils sont deux à habiter là-dedans et ils ont six chambres, là on n’est pas du tout dans la sobriété énergétique », s’exclame Meyland Gravel-Labelle. 

Le spécialiste de l’efficacité énergétique des bâtiments invite à réfléchir aux espaces occupés et se demander : en ai-je vraiment besoin ?

Car pour réduire la demande en énergie, les habitations doivent être efficaces, mais aussi raisonnables en matière de consommation.

« Il faut comprendre qu’on ne peut pas multiplier les pieds carrés des bâtiments », indique Pierre-Olivier Pineau, professeur au HEC Montréal.

Or, la superficie bâtie au Québec ne fait qu’augmenter, d’après les données du dernier rapport sur l’État de l’énergie au Québec 2022. Les habitations sont de plus en plus grandes : 108 mètres carrés en moyenne en 1990 contre 131 mètres carrés en 2019. 

Et nous sommes de moins en moins nombreux par habitations. 

Ainsi, malgré un gain en efficacité énergétique de près d’un tiers sur la période, la consommation énergétique du secteur résidentiel a augmenté de 15 %.

« Une dérive complète »

C’est aussi l’appétit grandissant de biens forts consommateurs d’énergie qui inquiète M. Pineau : piscines individuelles, spas, voire même allées de garage chauffées, sans compter les VUS toujours plus nombreux sur les routes.

« Collectivement, on est dans une dérive complète par rapport à notre consommation énergétique », estime le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

Même si le chauffage de la grande maison, de la piscine ou du spa est très efficace, les consommations « superflues » ne sont pas compatibles avec un objectif de sobriété énergétique. 

Alors que la consommation moyenne d’une maison unifamiliale au Québec atteint annuellement 22 000 kilowattheures (kWh), une piscine hors terre chauffée en été consomme à elle seule près de 5000 kWh, d’après les données d’Hydro-Québec. Idem pour un spa utilisé à l’année. Une climatisation murale utilisée pendant deux mois par année : 2000 kWh de plus. 

Avec la piscine, le spa et l’air climatisé, la même maison a augmenté de moitié sa consommation énergétique.

Alors, pour M. Pineau on ne devrait pas demander aux Québécois d’avoir froid chez eux, on devrait plutôt leur demander de consommer « de manière raisonnable en fonction des limites de la planète ». 

Hydro étudie la question

Rappelons que Le Journal révélait en octobre dernier qu’Hydro-Québec a mis sur pied un comité qui réfléchit à des mesures pour accroître les tarifs des maisons « luxueuses ».

La société d’État pourrait abaisser le seuil de puissance de 50 kilowatts (kW) pour qu’un client soit admissible aux tarifs résidentiels à 40 ou 45 kW.  







Commentaires

Vous devez être connecté pour commenter. Se connecter

Bienvenue dans la section commentaires! Notre objectif est de créer un espace pour un discours réfléchi et productif. En publiant un commentaire, vous acceptez de vous conformer aux Conditions d'utilisation.