Romans d’ici: papa joueur, fils dépassé
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De manière plus subtile, mais beaucoup plus efficace que les tonitruantes déclarations d’un prince Harry, Cabale expose les jalousies qui couvent sous la surface de l’harmonie familiale.
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Avec Michael Delisle, une phrase suffit pour ramasser une anecdote ou un état d’esprit. Que ce soit nouvelles, romans et poésie, son œuvre est marquée par sa manière d’aller droit au but, mais en laissant voir tout un jeu de nuances.
Son dernier roman, Cabale, a beau être très court, il porte encore plus loin cette façon de raconter qui cache bien des remous sous la simplicité des mots.
Le récit s’ouvre sur les débuts de Paul, le narrateur, comme professeur au cégep. Lui qui se voit passeur de littérature se retrouve à donner un cours de français écrit. Mais l’accord du participe passé qu’il doit enseigner vire au débat sur le choix même de la phrase qui sert d’exemple !
C’est drôle à lire, mais souffrant pour le prof qui comprend d’un seul coup qu’enseigner n’est pas une carrière, une profession ou un métier : «C’était une job. Comme glisser sous la carrosserie pour réparer l’auto. Ou visser des bras de poupée sur une chaîne de montage.»
Dur constat dont Paul a besoin de parler. Morin, un professeur d’histoire, sera son mentor. Mais quelle est la limite à ne pas franchir quand on s’accroche à quelqu’un?
«Morin, mon phare, mon ami. Évidemment, j’ai tout gâché.»
Un geste maladroit et c’en fut fini de la transmission qui s’installait. Vers qui se tourner maintenant?
franchise et solitude
Le temps passe et une autre occasion de transmission se ravive : Wilfrid est de retour! C’est le père de Paul et de Louis, l’aîné. C’est surtout un petit escroc habitué des combines, plus coutumier des séjours en prison ou en Floride que de la vie de famille.
Aujourd’hui, il veut se rapprocher de ses gars, particulièrement de Louis à qui il fait miroiter un retour aux études. En fait, apprenant que Paul est devenu professeur, Wilfrid a décidé de nourrir la concurrence latente entre ses fils.
Or, ça marche. À la surprise de Paul, la proposition intéresse son grand frère, travailleur manuel qui n’a jamais semblé attiré par le milieu intellectuel. Et ça l’agace bien plus qu’il ne l’aurait cru.
Et puis Paul a beau rejeter son père, invraisemblable conteur dont on se moque dès qu’il a le dos tourné, il est emporté lui aussi par son assurance, sa désinvolture, son «naturel».
En fait, Delisle déconstruit avec lucidité et un humour juste assez acide les désillusions d’un homme qui ne sait pas être comédien. Son Paul voit toujours la comédie de la vie sous l’esbroufe et les apparences.
Car c’est du théâtre qu’il faut jouer pour attirer l’attention des élèves! Et encore du théâtre pour faire des accroires à son entourage, comme son père y arrive. Sinon, la franchise ne renvoie-t-elle pas à la solitude?
C’est le constat qui nous hante en fermant ce roman qui fait mouche.