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Des mafieux devenus des vedettes sur les réseaux sociaux

Les nouveaux leaders de la pègre de Naples, en Italie, font étalage de leur richesse sur TikTok et Instagram

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Les réseaux sociaux sont devenus si puissants que même les jeunes soldats de la très secrète mafia italienne sont tombés sous leur charme et s’y affichent sans gêne.

Dans la région de Naples, en Italie, la Camorra domine encore. Cette organisation criminelle, une des plus puissantes de la planète, y génère des revenus de 6 milliards de dollars canadiens par année. Elle y contrôle notamment le ramassage des ordures et plusieurs autres contrats publics.

Notre Bureau d’enquête a passé une semaine au cœur du terrain de jeu de cette mafia napolitaine, qui compte aussi des représentants au Québec et au Canada, pour préparer un reportage qui sera présenté à l’émission J.E ce soir à 21 h 30, sur les ondes de TVA.

Autrefois discrète, la Camorra est en train de changer. Ses vieux patrons sont tranquillement remplacés par de très jeunes chefs de clan : les bébés boss. 

  • Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin diffusé chaque jour en direct 8 h 35 via QUB radio :

Marquer le territoire

L’application TikTok est devenu le nouveau champ de bataille de Massimiliano Esposito Junior, le fils d’un puissant parrain. Ses mises en scène sur les médias sociaux scandalisent les policiers italiens, notamment les vidéos de son 18e anniversaire. On le voit faire la fête avec femmes, champagne et disques-jockeys. 

«Les mafias de la civilisation numérique utilisent les médias sociaux comme un territoire et surtout comme un outil de communication», argumente Marcello Ravveduto, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Salerne. 

La mafia recrute de plus en plus jeune et plusieurs finissent en prison. À Naples, nous avons rencontré l’un d’eux, Gilberto (nom fictif), âgé de 15 ans et qui a commis ses premiers crimes à 10 ans. 

«On veut avoir les mêmes choses que les big boss. La belle voiture, le beau scooter, l’argent», décrit-il. 

Réhabiliter les ados

Gilberto, comme trois de ses amis, doit suivre des cours s’il veut régler ses comptes avec la justice au plus vite. Dans le studio aux murs capitonnés d’une banlieue de Naples, les premières notes d’une composition hip-hop captent aisément leur attention. Ils doivent composer une pièce avec l’artiste Lucariello, qui a créé la chanson thème de la série à succès Gomorra sur Netflix. 

«C’est une légende pour moi», se réjouit l’un d’entre eux dont le visage est à peine visible sous son chandail à capuchon blanc.  

L’organisme Crisi come Opportunità, qui les prend en charge, croit à la réhabilitation pour rendre la mafia moins alléchante aux yeux de ces adolescents, mais pourtant... ils portent tous respect aux chefs de clan et refusent de condamner leurs actes. 

Deux «bébés boss» de la mafia

CRESCENZO MARINO

Crescenzo Marino pose avec sa Ferrari pour ses abonnés des réseaux sociaux.
Photo tirée du compte TikTok de Crescenzo Marino
Crescenzo Marino pose avec sa Ferrari pour ses abonnés des réseaux sociaux.
  • 25 ans
  • Abonnés TikTok : Plus de 44 600

Crescenzo Marino est l’un des bébés boss les plus populaires de la mafia, fils d’un des patrons de la Camorra.  

Dans de courtes vidéos publiées sur TikTok, il fait la promotion d’un train de vie extrêmement luxueux. Il porte les vêtements et accessoires de designers réputés, comme Dior, Versace et Balenciaga.  

Ses 45 000 abonnés peuvent aussi le voir faire la fête dans des clubs exclusifs, où l’alcool coule à flots. 

Il préfère conduire des voitures parmi les plus chères au monde. On l’aperçoit notamment au volant d’une Lamborghini ou encore d’une Ferrari alors qu’il sillonne les rues de Paris lors d’un voyage. 


MASSIMILIANO ESPOSITO JR

Photo tirée du compte TikTok de Massimiliano Esposito Jr
  • 19 ans
  • Abonnés Instagram : Plus de 7500
  • Abonnés TikTok : Plus de 5600

Massimiliano Esposito Junior, fils d’un dirigeant important de la mafia locale, profite pleinement de l’âge de la majorité qu’il a récemment atteint.  

Photo tirée du compte TikTok de Massimiliano Esposito Jr

Il partage à ses abonnés Instagram des photos et vidéos de ses sorties dans les bars jusqu’aux petites heures du matin.  

Sur TikTok, Massimiliano Esposito Jr s’affiche régulièrement dans des lieux paradisiaques, et étale son argent.
Photo tirée du compte TikTok de Massimiliano Esposito Jr
Sur TikTok, Massimiliano Esposito Jr s’affiche régulièrement dans des lieux paradisiaques, et étale son argent.

Le champagne coule à flots, et pas seulement lors des soirées arrosées. Toutes les occasions semblent bonnes pour boire à même la bouteille : un tour de bateau à Capri ou un dîner dans un chic restaurant de la côte Amalfitaine, par exemple. Il pose toujours fièrement avec plusieurs immenses chaînes en or à son cou, et il montre sans gêne les liasses d’argent qui lui permettent de se payer tout ce luxe. 


LE CANADA À LA TRAÎNE

L’Italie est le seul pays de l’Union européenne à avoir une véritable loi pour contrer la mafia. 

L’ancien juge du groupe antimafia Catello Maresca, toujours escorté par des gardes armés, a tenté de combattre la Camorra pendant 25 ans. 

«Il s’agit d’un cancer», affirme-t-il. Le juge ne cache pas son agacement devant l’absence de lois spécifiquement prévues pour la mafia au Canada. 

«Nous sommes conscients depuis longtemps de la gravité du phénomène et de la capacité de la mafia à devenir une entreprise», lance-t-il. 

D’ailleurs, les autorités canadiennes ont très peu d’informations sur les liens entre la Camorra et le Canada. 

Dans un rapport confidentiel datant de 2021, obtenu par notre Bureau d’enquête, les services de renseignements criminels canadiens suggèrent de s’intéresser un peu plus à cette mafia.

UN QUARTIER SOUS CONTRÔLE

À une dizaine de kilomètres du centre de Naples, d’immenses immeubles triangulaires se dressent brutalement dans la banlieue de Scampia, l’une des plus dangereuses d’Europe. 

Les immenses immeubles de Scampia, repaire de la Camorra à Naples, seront prochainement démolis.
Captures d’écran de l’émission J.E
Les immenses immeubles de Scampia, repaire de la Camorra à Naples, seront prochainement démolis.

C’est dans ces bâtiments, que l’on appelle les «voiles», que la série Gomorra, sur Netflix, a été tournée. Les habitations ont été construites dans les années 1970 pour les classes moins fortunées, mais elles sont tombées sous le contrôle de la mafia dans les années 1990. 

«C’est devenu la plus importante place de dealers d’Europe, mais la situation s’améliore», affirme le journaliste spécialisé dans les affaires mafieuses Antonio Talia. 

Dès notre arrivée en zone contrôlée par la Camorra, le premier vendeur de stupéfiants a rapidement sommé les journalistes de ne pas filmer. 

«Il y a des personnes qui n’ont rien à voir avec ce commerce, mais elles doivent garder le silence», affirme le rappeur Lucariello, qui est né dans cette banlieue «abandonnée par l’État».  

Les «voiles» doivent être prochainement rasées et un seul immeuble sera laissé en place, en souvenir d’une époque que les habitants espèrent révolue.

 

Traqués grâce à la technologie

La police italienne utilise des équipements à la fine pointe de la technologie pour traquer les mafieux de Naples.

Le quartier espagnol de Naples est l’un des terrains de chasse de prédilection de la Squadra Mobile, l’une des polices italiennes qui luttent contre la mafia.

Nous nous sommes rendus dans les bureaux de la Squadra, où un logiciel de reconnaissance faciale permet d’avoir accès aux étages bien gardés depuis lesquels les membres de la Camorra sont surveillés.

Les policiers italiens disposent de caméras de surveillance très sophistiquées.
Capture d’écran de l’émission J.E
Les policiers italiens disposent de caméras de surveillance très sophistiquées.

L’écran sur lequel s’affiche la carte de la ville prend l’espace d’un mur entier. À plusieurs intersections, des points rouges s’affichent. En cliquant sur l’un d’entre eux, les techniciens font apparaître les images d’une parmi les milliers de caméras cachées dans le centre-ville et ses banlieues. 

Les bureaux de l’escouade policière qui traque les mafieux de Naples.
Capture d’écran de l’émission J.E
Les bureaux de l’escouade policière qui traque les mafieux de Naples.

On y remarque un homme qui discute sur son portable. Dans la pièce attenante, les responsables de l’écoute électronique entendent toute la conversation. On ne peut en révéler la teneur en raison de l’enquête en cours. 

Lutte énergique

«On voit tout et on entend tout», se vante un policier. «Regardez ce qu’on a saisi cette semaine!» ajoute un autre en pointant la salle des pièces à conviction, qui déborde pour les procès à venir. 

Une soixantaine d’arrestations viennent d’avoir lieu dans le quartier Ponticelli pour démanteler le cartel formé de cinq clans mafieux. 

«La lutte contre la mafia est essentielle pour donner de la crédibilité à ce pays», affirme fièrement le chef de la Squadra Mobile, Alfredo Fabbrocini.  

Deux jours plus tôt, ses policiers ont joué aux déménageurs. Ils ont évincé les locataires illégaux d’un immeuble en sortant tous leurs meubles. Les vrais locataires avaient été forcés d’abandonner les lieux par des camorristes.  

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