La Caisse de dépôt prend-elle trop de risques?
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La Caisse de dépôt et placement du Québec est chanceuse d’avoir les poches profondes avec ses actifs de plus de 400 milliards de dollars.
Bon an mal an, cela lui permet d’éponger les lourdes pertes qu’elle encaisse avec certains mauvais placements, tout en continuant de prendre des risques en réinvestissant dans d’autres placements potentiellement prometteurs.
Est-ce que la Caisse prend trop de risques avec nombre de ses placements ? On va me dire « non », puisque c’est sa « job » d’investisseur institutionnel de prendre des risques calculés, à l’instar de ce que font les autres grandes caisses de retraite dans le monde.
Les experts de la Caisse font-ils toutes les vérifications requises avant d’investir des dizaines, voire des centaines de millions de dollars dans des placements ? On va me dire « oui », en ajoutant que la Caisse compte sur d’excellents gestionnaires de portefeuille.
Cela dit, chez toutes les grandes caisses de retraite et tous les grands fonds d’investissement, des mauvais placements ont été effectués et des gaffes ont été commises.
La Caisse de dépôt et placement ne fait pas exception.
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Celsius
Prenons les 200 millions de dollars que la Caisse a perdus en l’espace d’un an avec son investissement dans Celsius Network, que le premier vice-président et chef des technologies à la Caisse, Alexandre Synnett, décrivait il y a à peine un an comme suit : « Celsius est le principal prêteur de cryptomonnaies au monde et possède une équipe de direction solide qui place la transparence et la protection de la clientèle au cœur de ses activités. »
La réalité ? Dans un document de 700 pages, la procureure de l’État de New York chargée de faire la lumière sur les procédures de mise en faillite de Celsius a dressé un tout autre portrait de l’entreprise.
Elle a notamment dénoncé le manque de rigueur du système de comptabilité de la compagnie, la mise en place d’un modèle d’affaires ressemblant présumément à une arnaque à la Ponzi ainsi que l’absence de bonne gouvernance.
À cela s’ajoutent des poursuites pour fraude contre Alex Mashinsky, fondateur et ancien PDG de la société de prêts de cryptomonnaies.
Azure Power
Autre gros placement hautement discutable qui a généré de lourdes pertes pour la Caisse après qu’elle y a injecté quelque 600 millions de dollars : Azure Power Global Limited, que la Caisse décrit comme étant « un chef de file indépendant en énergie solaire en Inde ».
La Caisse aimait tellement Azure qu’elle en est devenue l’actionnaire majoritaire avec 53,4 % des actions en circulation.
Le placement de la Caisse dans Azure vaut aujourd’hui moins du tiers de son investissement alors que le titre a dramatiquement chuté en raison d’allégations d’irrégularités au sein de l’entreprise, et du départ surprise de son président-directeur général.
Ce qui m’interpelle dans ce dossier, c’est de voir que la Caisse a investi jusqu’à 600 millions de dollars dans une société dont le chiffre d’affaires s’élevait à peine à 246 millions de dollars américains en 2022 ! Et dont la dette, elle, atteint les 1,28 milliard de dollars américains.
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Le Cirque du Soleil
Autre placement controversé et surtout difficilement justifiable : l’achat pour 100 millions de dollars des actions du Cirque du Soleil que Guy Laliberté détenait, et ce, juste avant que le Cirque du Soleil cesse ses activités à la suite du déclenchement de la pandémie de COVID-19.
Le Cirque a été contraint d’avoir recours à la protection de la loi sur les faillites. La Caisse a perdu ces 100 millions $, le temps d’exécuter une malheureuse pirouette !
Ciment McInnis
Après avoir englouti près d’un demi-milliard de dollars dans la coûteuse aventure de la cimenterie gaspésienne Ciment McInnis, la Caisse a réussi à en céder le contrôle à la multinationale brésilienne Votorantim.
En retour de la cession de ce canard boiteux, la Caisse a obtenu 17 % de la coentreprise canadienne, dans laquelle Votorantim détient ses autres actifs canadiens, les cimenteries de St Marys Cement.
C’est une sorte de prix de consolation pour la Caisse.
Parole de grand patron de la Caisse de dépôt et placement, Charles Emond : « Au lieu d’avoir une participation importante dans un actif qui perd de l’argent, là on a 17 % d’une coentreprise qui a quatre ou cinq actifs extrêmement profitables. »
Les trains indiens
Que dire du manque de jugement de l’ex-PDG de la Caisse, Michael Sabia, lorsqu’il a décidé d’acheter des trains indiens pour le Réseau express métropolitain (REM), au lieu d’acquérir les trains fabriqués par des gens d’ici, comme c’est le cas à La Pocatière avec l’usine de Bombardier.
Faire rouler des trains fabriqués en Inde sur le REM que l’on finance avec nos impôts et nos épargnes, c’est ce qu’on appelle se faire passer un sapin !
Piètre gouvernance
La saga Otéra Capital, non mais quelle histoire de mauvaise gouvernance.
À la suite de l’enquête interne que la Caisse a effectuée sur sa filiale Otéra Capital après avoir pris connaissance des faits troublants révélés au grand jour par le Bureau d’enquête du Journal, quatre dirigeants d’Otéra ont été limogés pour s’être placés en situation de conflits d’intérêts.
Les pratiques en matière d’éthique, de gouvernance et de gestion des risques chez Otéra laissaient royalement à désirer. On y a découvert plusieurs conflits d’intérêts dans les prêts commerciaux effectués par Otéra.
Les pertes en 2022 ?
La Caisse va bientôt dévoiler les résultats de sa « performance » de l’année 2022. Vu la chute des marchés financiers, autant du côté de la Bourse que du marché obligataire, j’ai hâte de voir à combien s’élèveront ses pertes par rapport à 2021.
Mais comme la Caisse investit de plus en plus dans les placements privés, il se peut fort bien que ceux-ci viennent amenuiser les pertes boursières.
Lors des marchés baissiers, les placements privés « performent » généralement beaucoup mieux que l’ensemble de la Bourse.