Le talentueux George Santos, un menteur en série
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George Santos est le politicien le plus captivant des États-Unis. Dans un monde où chacun a ses petits secrets, Santos fait bande à part. Il y a ceux qui rehaussent, enjolivent ce qu’ils ont accompli, puis il y a les menteurs qui finissent par admettre leur faute. Enfin, il y a George Santos.
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Les rares connaissances qui ne disent pas de mal de lui se rappellent que George Santos était ambitieux. Le New-Yorkais de 34 ans a compris, en 2020, après avoir échoué à se faire élire au Congrès, qu’il devait apporter des ajustements à sa biographie.
La réalité d’une vie modeste avec sa mère et sa sœur, d’un appartement à un autre sans pouvoir payer le loyer, ne suffisait pas. Il s’est inventé des études secondaires, puis universitaires impressionnantes, sans rien avoir fait de tout cela.
Il s’est créé des accomplissements professionnels dans les firmes les plus renommées de Wall Street, sans que quiconque ne l’ait vu sur place. «Fils d’immigrants brésiliens» ne forçait pas assez le respect, il a échafaudé une histoire familiale faite de persécutions staliniennes et de subterfuges pour échapper à l’Holocauste.
L’ÉLECTION D’UN IMPOSTEUR
À tordre ainsi les faits, George Santos – que plusieurs, pendant des années, n’ont connu que sous le nom d’Anthony Devolder – est parvenu en novembre dernier à se faire élire représentant républicain du 3e district de New York, un district couvrant Long Island et une partie du quartier de Queens.
Il a aussi pu bénéficier du mécontentement à l’égard des démocrates, perçus comme indifférents aux craintes inspirées par la criminalité. En fait, même les électeurs traditionnellement de gauche se sont laissé amadouer par le charlatan, Jody Kass Finkel avouant au Washington Post, par exemple, que «s’il avait été ce qu’il prétendait être – juif, instruit, versé en finance et dans l’immobilier – j’aurais pu vivre avec ça».
Parce qu’effectivement, l’excès d’amour-propre a fait commettre au jeune fabuliste une série de véritables péchés pour les New-Yorkais. Il s’est présenté en juif, sans l’être. Il s’est faussement associé à l’Holocauste. Il s’est conçu un lien inexistant aux attentats contre le World Trade Center. Il est même allé jusqu’à escroquer le propriétaire d’un chien malade, un ancien combattant par-dessus le marché.
S’IL N’EXISTAIT PAS...
Si Santos espérait échapper aux vérifications, c’est raté. Les salles de presse s’appliquent maintenant à disséquer son imposture, le rapprochant notamment du personnage central du film de Steven Spielberg, Arrête-moi si tu peux (Catch Me If You Can).
Le vrai Frank William Abagnale était un forgeur et un faussaire, un mystificateur étourdissant. George Santos ressemble bien davantage à un odieux «Forrest Gump», toujours, comme par hasard, au bon endroit et au bon moment, mais sans la simplicité et la bienveillance du personnage interprété par Tom Hanks.
Santos incarne le politicien-modèle de cette ère populiste et anti-establishment. Comme tant de candidats issus du Tea Party et de MAGA, le mouvement de Donald Trump, il est apparu de nulle part, a échappé à la supervision habituelle et a mené une campagne gorgée de démagogie. Dans son cas toutefois, il en a simplement trop mis.
FAUX, FAUX ET ARCHIFAUX !
1) Ses grands-parents – des juifs ukrainiens – ont fui les persécutions staliniennes, puis nazies et ont échappé à l’Holocauste.
FAUX
Il n’y a aucune référence juive ou ukrainienne dans sa généalogie. Différents documents prouvent que ses grands-parents maternels sont nés au Brésil, où le nom Santos est commun au sein des familles catholiques.
2) Sa mère est morte en 2016 d’un cancer, conséquence des attentats contre le World Trade Center le 11 septembre 2001.
FAUX
Aucun document ne prouve que sa mère ait été affectée par les poussières toxiques provoquées par les attentats. Rien n’indique qu’elle se trouvait au World Trade Center ce fatidique 11 septembre. Le seul emploi que NBC News ait trouvé à son nom est celui d’employée d’un importateur qui a fait faillite en 1994.
3) Ayant fait l’essentiel de ses études secondaires à l’école Horace Mann dans le quartier du Bronx à New York, George Santos avoue avoir dû quitter la prestigieuse institution en 2008 – avant la fin de sa dernière année – à cause des difficultés financières que la Grande dépression a imposées à ses parents.
FAUX
Il n’a jamais étudié à l’école Horace Mann et n’a obtenu, plus tard, qu’un vague diplôme d’équivalence d’études secondaires.
4) Santos affirme avoir reçu en 2010 un diplôme d’économie et de finance du Baruch College, une université new-yorkaise réputée où il aurait terminé parmi le 1 % des meilleurs de sa classe.
TRIPLEMENT FAUX
D’abord, il serait parvenu à faire des études universitaires de quatre ans en deux années, si on accepte son mensonge voulant qu’il ait quitté l’école secondaire Horace Mann en 2008.
De toute façon, le Baruch College ne dispose d’aucune inscription à son nom en 2010, pas plus que l’équipe de volleyball de l’Université au sein de laquelle George Santos a déclaré avoir été une «star».
Il prétend aussi avoir obtenu un MBA en commerce international de la New York University, mais la NYU a été incapable de trouver son nom où que ce soit parmi ses diplômés.
5) Il a obtenu un succès phénoménal en travaillant dans Wall Street auprès de Citigroup, puis de Goldman Sachs.
FAUX ET FAUX
La division de Citigroup où il assure avoir travaillé avait été dissoute cinq ans avant son arrivée. Chez Goldman Sachs, son CV indique qu’il a doublé les revenus de son unité – de 300 à 600 millions de dollars – en sept mois. Citigroup pas plus que Goldman Sachs n’ont de trace de son passage chez eux.
6) Il a «perdu quatre employés» dans la tuerie du bar gai Pulse à Orlando en Floride, le 12 juin 2016, où 49 personnes ont été tuées.
FAUX
Le New York Times n’a pu associer aucune des victimes aux compagnies pour lesquelles Santos indique avoir travaillé.
7) Il a fondé un organisme, Friends of Pets United, qui a sauvé 2500 chiens et chats entre 2013 et 2018.
FAUX
Les activités de l’organisme se retrouvent nulle part dans les médias sociaux. L’IRS, l’agence fédérale des impôts, n’a aucune trace de son existence et aucun organisme à but non lucratif du genre n’a été enregistré à New York ou dans le New Jersey où George Santos affirme avoir été actif.
QUELQUES INVRAISEMBLANCES DE PLUS...
- Il a fait campagne en tant que républicain ouvertement gai, bien qu'il ait toutefois été marié à une femme de 2012 à 2019.
- Il a évoqué une longue expérience dans l’immobilier, mais sa biographie dans le site en ligne de sa campagne électorale allègue que lui et sa famille géraient un portefolio de treize propriétés. En réalité, sa mère, sa sœur et lui ont plutôt mené une vie modeste dans différents logis dont ils ont plusieurs fois été chassés, incapables de payer leur loyer.
- Entre 2005 et 2008, il a dit s’être produit comme «drag queen» à Rio de Janeiro. Après avoir initialement nié l’histoire, il a fini par préciser : «Je me suis amusé à un festival. Emmenez-moi en cour pour avoir une vie !»
UN MYTHOMANE INDISPENSABLE
Ce qui est peut-être encore plus remarquable que toutes les inventions et réinventions de George Santos, c’est qu’il siège toujours à la Chambre des représentants des États-Unis.
Depuis que se multiplient les révélations sur les fabulations du fumiste en chef au Congrès, Kevin McCarthy, le «Speaker of the House», a enchaîné les contorsions pour ne pas avoir à le chasser de la délégation républicaine.
Avec une majorité d’à peine quatre sièges en Chambre, McCarthy ne peut pas se permettre de dilapider le moindre vote : quelques absences, un élu malade et c’est tout l’agenda rageur des républicains à l’égard de l’administration Biden qui se retrouvera émasculé.
«FOLLOW THE MONEY»
Ultimement, c’est le financement de sa campagne électorale qui risque de faire couler George Santos.
À sa première tentative pour se faire élire au Congrès en 2020, il a déclaré un salaire de 55 000 dollars en tant que vice-président d’une société de développement commercial.
Comme pour tout avec lui, il faut se méfier. Lors d’un procès en parallèle, le fondateur de la compagnie a juré sous serment que Santos n’était qu’un «pigiste» qui vendait des commandites d’événements et travaillait à la commission.
Cela dit, comme l’a relevé le North Shore Leader, la publication locale à l’origine de ce raz-de-marée de divulgations, ses avoirs ont fait un «bond inexplicable» de zéro à onze millions de dollars en deux ans.
Santos prétend qu’il gérait en 2020 un fonds d’investissement d’un milliard et demi de dollars chez Harbor City Capital, une firme de Floride. Il se vantait alors de «rendements records» de 12 à 26 %.
Un an plus tard toutefois, la Securities and Exchange Commission – l’Autorité américaine des marchés – a accusé Harbour City d’être un «Ponzi scheme», ayant volé 17 millions de dollars aux investisseurs.
On enquête maintenant au Congrès sur l’origine des 700 000 dollars qu’il a prêtés à sa campagne l’an dernier. «Je n’ai fait qu’embellir mon CV ; rien de criminel !» Pas si sûr, George... Ou est-ce plutôt Anthony ? On s’y perd dans ses menteries.