Ratisser les métros avec «Mme Navette» pour offrir le gîte aux itinérants
Notre chroniqueur a passé une soirée de froid extrême avec la femme qui gère le minibus des refuges pour itinérants
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À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
On la surnomme parfois «Mme Navette», mais certains vont jusqu’à l’appeler «Maman» ou, par affection, «Matante».
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Yolette Jean mesure à peine 5 pieds. Son sourire est radieux, lorsqu’elle est de bonne humeur... Mais son regard peut se charger de colère, si on lui manque de respect, et intimider des gaillards plus costauds qu’elle.
«Ma clientèle est capable de brusques changements d’humeur», raconte l’intervenante de 64 ans.
«Pour des raisons psychiatriques ou à cause de la drogue, une personne gentille avec moi depuis des années peut soudainement piquer une crise.»
Employée par la Mission Old Brewery, Yolette dirige depuis sept ans la navette appelée Solidaribus, laquelle transporte les itinérants vers les refuges.
Sa ronde de surveillance comprend notamment les stations Atwater, Bonaventure et Berri-UQAM.
«Je vais voir s’il y a des gens qui ont besoin d’un lit pour la nuit.»
Mme Navette les conduit ensuite là où il y a de la place.
«Je deviens le garde du corps si un usager se montre agressif», me raconte Jean-Pierre Kamgang, le chauffeur.
Avec son bonnet de fourrure, Jean-Pierre fait penser au personnage de Dick Hallorann au volant de l’autoneige dans le film Shining.
Épeurant
En descendant un escalier de béton lugubre de la station Bonaventure, je demande à Yolette si elle a peur, parfois.
«Bien sûr, ça m’arrive d’avoir peur... Il y a des endroits épeurants dans le métro!», répond-elle.
Un homme entouré de canettes vides ronfle sur un banc. Pas question de le réveiller: «Ça pourrait le fâcher, alors on repassera», dit Yolette.
«J’enfile plusieurs pantalons et je m'assois au Square Victoria en patientant, éveillé, jusqu’à la réouverture du métro», raconte Jean-Bertrand, 52 ans.
«Mes nuits de sommeil commencent donc toujours à 5 h.»
Yolette convainc Jean-Bertrand de la suivre.
L’accueil est chaleureux dans le refuge d’urgence, ouvert pour le grand froid par la Ville de Montréal dans un ancien YMCA.
«Quand les gens sont réticents à l’idée de dormir ici, tu peux leur dire qu’ils peuvent venir ici juste pour avoir des bas secs», suggère à Yolette Luigi Prato, qui dirige le centre.
«Une fois ici, ils n’ont plus envie de sortir et ils restent pour la nuit.»
Plusieurs de ceux à qui Yolande s’adressait affirmaient s’être loué une chambre d’hôtel: «Ils ont eu leur chèque d’aide sociale il y a trois jours, alors ils en profitent.»
Donc, si le froid extrême actuel avait eu lieu un 13 ou un 23 février, ça aurait été une autre histoire: des refuges auraient peut-être débordé.