«J’ai perdu 10 livres à cause du stress»: des locataires craignent être victimes de «rénoviction»
Plusieurs ne pourront pas se reloger dans le quartier du centre-ville de Montréal qu’ils habitent depuis 28 ans
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Des locataires d’un immeuble du centre-ville de Montréal dénoncent être victimes de « rénoviction » et craignent ne jamais pouvoir se reloger en pleine crise du logement.
« Ils essaient de me mettre à la porte parce que mon loyer est bas pour un appartement du centre-ville. Je ne dors plus, j’ai perdu 10 livres à cause du stress. [...] Même si j’avais envie de partir, je ne pourrais pas ! Je n’ai pas les moyens de déménager à Montréal », laisse tomber Linda Grenier, une locataire de 68 ans qui réside au 2150 rue Tupper, dans le centre-ville de la métropole.
Vivant depuis 28 ans dans son 3 1/2 situé à quelques pas du square Cabot, Mme Grenier paie 730 $ par mois. Selon elle et plusieurs résidents de l’immeuble avec qui Le Journal s’est entretenu, la plupart des 18 loyers ne dépassent pas les 1300 $.
« Quand on a su que l’immeuble avait été acheté [en septembre], on se préparait déjà à se faire rénovicter. On se demandait quand allait être notre tour », laisse tomber la retraitée.
600 $ de plus
Cette pratique consiste à expulser des locataires d’un immeuble pour des rénovations majeures, sans qu’elles soient forcément réellement réalisées, et relouer les logements à des prix beaucoup plus hauts qu’originellement, explique Philippe Desmarais, de POPIR–Comité logement.
« L’idée, c’est de tirer profit du marché immobilier en se débarrassant des locataires », indique-t-il.
Et si les locataires suspectent d’être des victimes de cette pratique, c’est parce qu’après les départs de plusieurs et quelques rénovations, trois appartements ont été remis en location entre 1500 $ et 1780 $ par mois, soit plus de 600 $ d’augmentation pour certains d’entre eux.
Sur les 18 locataires, onze auraient reçu des avis d’évictions ou ont été poussés à partir, affirment plusieurs résidents de l’immeuble.
De la pression
« Ils disent aux gens qu’ils doivent partir sans même leur offrir de compensation. Certains ont accepté parce que c’était trop de stress pour eux », déplore Mme Grenier, qui affirme être aussi appelé régulièrement au téléphone par l’un des propriétaires qui lui demandent de partir avant la fin du mois.
Une ex-locataire de 83 ans, qui a demandé à garder l’anonymat de peur de représailles, a justement décidé de quitter après avoir subi des pressions, soutient-elle.
Après avoir eu une inondation dans son logement, des travaux devaient être effectués.
« Ils m’ont dit que je devrais vivre à l’hôtel pendant trois mois ou que je devais aller vivre dans un autre 3 1/2 vacant [dans l’immeuble] à 1550 $ par mois », explique celle qui payait 825 $ pour son appartement.
À l’heure d’écrire ces lignes, aucun des propriétaires n’avait répondu aux questions du Journal.
Plus d’un million de profit
Acheté en septembre 2022 à 3,42 millions de dollars, l’immeuble situé au 2150 rue Tupper est déjà remis à la vente pour la coquette somme de 4,895 millions $. En moins de six mois, les propriétaires pourraient donc se faire un profit de plus de 1,4 million de dollars.
L’immeuble appartient depuis le mois de septembre à une compagnie à numéro, elle-même détenue par deux compagnies à numéro. L’une de ces dernières est une société d’« exploitants de bâtiments résidentiels et de logements » basée aux Bahamas.
1780 $ pour 600 pieds carrés
Certains appartements, dont les loyers n’excédaient pas 1000 $ il y a encore quelques mois, ont été remis sur le marché après quelques rénovations pour 780 $ de plus.
Sur internet, l’un des 3 1/2 disponibles, d’une superficie de 600 pieds carrés, a été affiché à 1780 $. Un studio de la même taille a, de son côté, été affiché à 1700 $. Un autre à 1500 $.
« Généralement, les propriétaires font de petites rénovations et augmentent considérablement les prix des logements », explique Gaétan Roberge, du Comité logement Ville-Marie.
Plusieurs locataires ont affirmé au Journal payer entre 730 $ à 1000 $ pour des appartements de la même taille.
Évictions en hausse dans le quartier
Dans l’arrondissement Ville-Marie, notamment, le phénomène est en hausse, constate M. Roberge.
« Depuis deux ans, ce qu’on voit ce n’est que la pointe de l’iceberg parce qu’il y a plein de dossiers dont on n’est pas au courant. Il y a sûrement beaucoup plus de rénovictions qu’on le pense parce que les gens ne connaissent pas leur droit et ça passe sous le radar », explique-t-il.
Entre 2021 et 2022, l’organisme a recensé une quinzaine d’immeubles touchés par des « rénovictions ».
« Pour le moment on en a déjà cinq ou six pour cette année », ajoute-t-il