Le Centre antipoison du Québec en danger
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Monsieur le Ministre Christian Dubé,
Monsieur le Premier Ministre François Legault,
Je vous écris à titre de directrice médicale du Centre antipoison du Québec (CAPQ) accompagnée de collègues médecins toxicologues, interniste et spécialistes en médecine d’urgence afin d’obtenir de votre part une écoute active et proactive dans la résolution d’une situation mettant à risque le CAPQ. Notre rôle consiste notamment à nous assurer du respect de nos missions en clinique, en enseignement et en recherche.
Nous avons à cœur la qualité des soins prodigués à la population, notamment en ce qui a trait à la prévention des consultations en centres hospitaliers, à l’orientation des patients aux bons services de santé, au soutien actif à la prise en charge par les équipes au chevet du patient; et ce, sans compter notre implication avec la sécurité civile lors des événements de masse et dans la prévention d’autres épisodes d’intoxication en collaboration avec les autorités de santé publique.
Le CAPQ est un exemple de collaboration interprofessionnelle depuis plus de 30 ans entre le personnel infirmier, les pharmaciens et les médecins spécialistes pour améliorer la qualité et l’accessibilité aux soins d’urgence.
Retrait de la prime de soins critiques
En août dernier, les autorités ministérielles ont demandé au CIUSSSCN de retirer la prime de soins critiques (14% du salaire) aux infirmières du CAPQ qui était versée sans être conventionnée depuis une dizaine d’années. Le CIUSSSCN a d’abord fait des démarches pour repousser l’échéance au 31 mars 2023, puis a fait de multiples approches auprès de divers partenaires pour tenter de trouver une solution. L’objectif étant de faire reconnaître le statut particulier du CAPQ desservant l’ensemble de la province et demandant une formation sur mesure de longue haleine. La moitié du personnel s’est d’ailleurs certifié aux États-Unis vu l’absence de formation officielle canadienne. Vous avez reçu une lettre des employés décrivant la problématique et des lettres d’appui d’organisations appuyant notre démarche: l’Association des infirmières et infirmiers d’urgence du Québec, l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, l’Association canadienne pour les centres antipoison et la toxicologie clinique, et de l’«America’s Poison Centers». Le 16 janvier dernier, les médias ont également mis en lumière la problématique qui a été largement appuyée par les partis de l’opposition.
Les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la Santé sont claires: «Les intoxications constituent une urgence dépendante du temps et, comme pour les maladies, elles peuvent nécessiter l’avis d’un spécialiste pour poser le bon diagnostic et proposer le traitement ad hoc. [...] Les centres d’information antipoison doivent être officiellement reconnus par les autorités publiques pour assurer la pérennité du service.» En 2021, l’organisme Parachute a estimé que chaque dollar investi dans un centre antipoison sauvait huit dollars au système de santé. En 2021, parmi les 50 945 cas pris en charge en moins de 30 secondes par le CAPQ, la demande d’assistance a été initiée par les centres hospitaliers dans 13 999 cas. La même année, 36 218 appels du grand public ont été répondus dont près de la moitié pour des expositions impliquant des enfants. Seulement 3960 ont été référés à l’urgence grâce à l’intervention de cette équipe spécialisée, donc 32 358 consultations ont été évitées. Le personnel infirmier en première ligne traite environ 90% des appels sur la base de leur expertise, environ 10% étant référés au médecin toxicologue de garde.
La rétention de personnel
Considérant les volontés actuelles de favoriser la rétention du personnel infirmier et de désengorger les urgences, il avait été sous-entendu le 16 janvier dernier que les autorités ministérielles régleraient les enjeux de reconnaissance du statut du CAPQ et de rétention de personnel. Cependant, aucune proposition concrète n’a été à ce jour présentée au personnel du CAPQ.
Nous avons 22 infirmières actuellement actives pour un idéal de 27. Quatre postes sont en affichage, mais personne n’a postulé. Deux personnes ont déjà quitté le CAPQ avec la situation actuelle. Deux autres pourraient quitter pour des raisons plus personnelles. Parmi les 18 restantes, tous ont appliqué sur d’autres postes dont la dotation est débutée depuis le 1er février dernier. Le tiers du personnel compte faire l’essai des postes. Au moins trois personnes ayant plus de 10 ans d’expérience m’ont souligné avoir trouvé un poste à salaire égal sans fin de semaine et voudraient y rester s’ils perdaient la prime.
Nous pouvons assurément dire que cela induira une rupture de services dont nous aurons de la difficulté à nous relever considérant le minimum de personnel requis pour être capable d’en former d’autres, et ce, sans compter la durée de la formation pouvant s’étaler sur un an. Dans l’intérim, nous anticipons une atteinte significative de la qualité des services.
Nous sommes convaincus de votre bonne volonté et de vos horaires chargés. Il est difficile de faire reconnaître la contribution d’un groupe de moins de 30 personnes dans notre système de santé, même si la contribution bien documentée par la littérature et divers organismes est à l’échelle de la province, pour toute la population.
Pour être conséquent avec la politique de faire plus avec moins, nous vous demandons ouvertement de protéger nos services qui s’investissent auprès de la population québécoise depuis 1986. Il y a urgence d’agir et vous êtes en position pour faire la différence. Nous estimons que l’expertise unique du personnel infirmier œuvrant au CAPQ doit être reconnue et rémunérée à sa juste valeur.
Maude St-Onge, MD, PhD, FRCPC
Spécialiste en soins intensifs et toxicologue médicale, clinicienne-chercheure
Directrice médicale du Centre antipoison du Québec
Sophie Gosselin, MD, CSPQ, FRCPC, FACMT, FAACT
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médicale
Guillaume Lacombe, MD, FRCPC
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médical
Martin Laliberté, MD, MSc, FRCPC, FACMT
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médical
Alexandre Larocque, MD, FRCPC
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médical
Maxime Nadeau, MD, FRCPC
Spécialiste en médecine interne et toxicologue médical
Anne-Éricka Vermette-Marcotte, MD, FRCPC
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médical
Josh Wang, MD, FRCPC
Spécialiste en médecine d’urgence et toxicologue médical