«Le monde ne veut plus venir dans le Village, ils ont peur»
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Des commerçants craignent plus que jamais pour l’avenir du Village à Montréal et déplorent l’inaction des autorités pour sauver ce quartier festif et touristique.
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«C’est comme un élastique. Plus on l’étire, plus il a de chances de casser, et je pense qu’on est rendu au moment où ça va casser, avec comme conséquence que le quartier va se vider de son essence», résume Jamin Chtouki, propriétaire du théâtre La comédie de Montréal, sur le boulevard Maisonneuve.
Ce dernier a réalisé son rêve en 2016 de quitter l’Europe pour une salle de spectacles d’humour dans le Village qu’il a choisi pour «son histoire, son dynamisme et sa mixité». Aujourd’hui, le quartier n’est plus l’ombre de lui-même, déplore M. Chtouki.
Il doit régulièrement ramasser des excréments et des seringues autour de son établissement et perçoit de plus en plus l’inquiétude de ses clients et de ses employés en raison de la présence croissante de personnes en situation d’itinérance, présentant des signes de problèmes de santé mentale ou de consommation de drogues dans les environs.
Le Montréalais est exaspéré que ses appels à l’aide ne soient pas entendus du côté de la Ville.
«On a beau tirer la sonnette d’alarme depuis trois ans, mais rien avec un grand R n’a été fait et à ce jour, rien», s’insurge-t-il.
- Écoutez Peter Sergakis à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
«Le monde ne veut plus venir»
«Ça va en s’aggravant. Même ma fille ne veut plus prendre le métro à la station Beaudry parce qu’elle est confrontée aux itinérants dans un certain état», se désole M. Chtouki.
«C’est pire que jamais, constate aussi Peter Sergakis, propriétaire du complexe Sky, sur la rue Sainte-Catherine. Après 18 h, le monde ne veut plus venir dans le Village. Ils ont peur. On ne comprend pas pourquoi les paliers de gouvernements font rien pour aider ces gens-là.»
Pedro Medina, qui possède entre autres l’enseigne de la Cantine Emilia, n’aime pas du tout ce que devient la rue Sainte-Catherine depuis qu’il a pris la décision d’y installer un restaurant il y a un an et demi.
«En ce moment, ça n’a jamais été aussi pire dans cette rue-là, dit celui qui a grandi à Montréal. C’est quand même Sainte-Catherine!», ajoute celui qui se dit « déçu de l’inaction de la Ville » pour s’attaquer aux nombreux immeubles abandonnés sur l’artère.
Fermeture d’un «point de ralliement»
Si la fermeture d’un magasin Archambault dans ce quartier a fait couler beaucoup d’encre dans les deux dernières semaines, une autre entreprise qui a mis la clé sous la porte le 13 janvier dernier a beaucoup fait jaser dans le Village: le Tim Hortons sur la rue Sainte-Catherine au coin de la rue Beaudry.
Si l’entreprise elle-même a refusé d’expliquer sa fermeture au Journal, son motif est un secret de Polichinelle pour d’autres commerçants.
«On le savait qu’il était pour fermer», raconte Danny Jobin, propriétaire des bars voisins Date Karaoke et du District Video Lounge.
«On m’a raconté que des itinérants faisaient sécher leurs choses sur des chaises, il y en a même un qui a sorti son poêle au gaz et qui s’est fait cuire une soupe dans le Tim Hortons, poursuit-il. Ils avaient vraiment pris le contrôle de la place.»
Depuis cette fermeture, les itinérants sont encore plus présents autour des établissements de M. Jobin, dit-il, puisqu’ils ont perdu leur «point de ralliement». «Ils sont partout. Ils viennent se réchauffer dans nos toilettes», explique-t-il.
De son côté, le cabinet de la mairesse de Montréal, laquelle est aussi mairesse de Ville-Marie où est situé le Village, souhaite «élargir le réseau d’aide» sur le territoire montréalais, notamment pour réduire la concentration des ressources dans le centre-ville.
«C’est certain que les ressources pour les soutenir sont surtout concentrées à cet endroit, car le besoin est là et est criant, explique l’attachée de presse de Valérie Plante, Marikym Gaudreault. Mais on sait aussi qu’on doit veiller à réduire la pression sur le centre-ville au niveau des services offerts aux plus vulnérables, ce n’est pas soutenable pour les commerçants et pour les familles qui habitent le secteur.»
Une «stratégie du Village» devrait être annoncée sous peu.
Plus d’itinérants, mais moins de ressources
Il n’y a pas assez de ressources pour suivre la cadence de la hausse du nombre de personnes itinérantes dans le quartier Centre-Sud, selon un organisme communautaire.
«Les ressources ne suivent pas le rythme de l’augmentation du phénomène en nombre, mais aussi en complexité des enjeux qui sont vécus par les personnes en situation d’itinérance», explique Annie Savage, directrice générale du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).
Depuis les dernières années, il est tenu pour acquis par plusieurs organismes que le nombre d’itinérants a bondi à Montréal, car les chiffres officiels du décompte effectué en octobre se font toujours attendre.
À la fin 2020, la mairesse de Montréal avait indiqué qu’il y en avait « deux fois plus » depuis la pandémie.
«Les cas se complexifient vraiment. Les personnes qui ont besoin d’aide ont des problèmes de santé mentale, de consommation et de logis. On sent que la crise est à plusieurs niveaux », soutient Gabrielle Rondy, directrice générale de la Société de développement commercial (SDC) du Village.
«Il y a vraiment besoin d’une action urgente et forte. Ça va prendre une force intergouvernementale et des équipes dédiées au Village », continue-t-elle.
Une détresse qui rend inconfortable
«C’est aussi le résultat de la crise du logement et de la COVID, mais la COVID a le dos large parce que des enjeux étaient déjà présents avant la COVID», souligne Mme Savage, qui pointe également du doigt la hausse du coût de la vie.
Elle soutient qu’il «manque cruellement d’infrastructures pour accueillir 24/7 les personnes dans des espaces dédiés à répondre à leurs besoins».
Quant aux témoignages des commerçants inquiets dans le Village [voir autre texte], Mme Savage reconnaît qu’il peut être « inconfortable, voire problématique » d’être témoin de la détresse de ces personnes.
«On oublie que ces personnes ont des droits et qu’elles peuvent occuper l’espace public», ajoute-t-elle.