Initiations: d'autres exemples horribles, pas seulement au hockey
Des hockeyeurs forcés de manger une tranche de pain gorgée de sperme, mais aussi un footballeur sodomisé avec un manche à balai ou une joueuse de soccer emmenée d’urgence à l’hôpital après avoir été intoxiquée à l’alcool. Certes si, comme l’a décrié la ministre Isabelle Charest, le milieu du hockey est «toxique», les témoignages glanés par Le Journal au cours des derniers jours démontrent que lorsqu’il est question d’initiations dégradantes, notre sport national n’est pas le seul à faire mauvaise figure.
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«On m’a déshabillé, ne me laissant que mes sous-vêtements à ma demande. On m’a ligoté pieds et mains et traîné sur le dos comme un veau», a confié plus tôt cette semaine l’ancien escrimeur Sandro Di Cori, qui s’apprêtait alors à vivre ses premiers Championnats canadiens à Ottawa.
«On m’a traîné dans l’ascenseur, on a cogné à toutes les portes pour inviter tous les résidents des autres étages à me lancer de l’eau. Verre, seau, poubelles pleines d’eau. J’ai demandé et même supplié qu’ils arrêtent. Mais ils avaient bien trop de plaisir. Surtout l’instigateur qui, je me souviens encore, semblait jouir de me tourmenter.»
M. Di Cori n’avait que 16 ans lorsqu’il a subi ce qui a développé chez lui un «sentiment de méfiance» qui perdure aujourd’hui, explique-t-il.
Pas une surprise
Le passionné d’escrime, qui a pris sa retraite sportive en 2000, s’est confié à la suite du dévoilement des détails entourant la demande d’action collective déposée par les ex-hockeyeurs Daniel Carcillo, Garrett Taylor et Stephen Quirk contre la Ligue canadienne de hockey et ses 60 équipes.
Le juge Paul Perell, de la Cour supérieure de l’Ontario, a rejeté la demande qui couvrait une période de 50 ans, mais a précisé qu’il croyait les 19 victimes alléguées.
Plusieurs des ex-hockeyeurs qui ont livré des témoignages déconcertants ont évolué dans une ligue junior du pays au début des années 1980.
Mais certains faits allégués remontent à moins de 10 ans et certaines des recrues avaient alors à peine 14 ans. Ces faits n’ont d’ailleurs pas surpris les athlètes, entraîneurs ou psychologues à qui Le Journal a parlé.
«Je suis issu du milieu du hockey et ce sont des choses dont on entendait parler. Je ne les ai jamais vécues ni subies, mais ces histoires, on les entendait», a pointé Dany Bernard, le fondateur du programme de sports-étude hockey à Québec, qui est aussi docteur en psychologie sportive.
M. Bernard s’explique d’ailleurs mal ces rituels de bizutage. «Ça me dépasse qu’on puisse penser que de telles initiations vont solidifier l’esprit d’équipe», a-t-il martelé.
Mauvaise façon d’intégrer
La docteure Linda S. Pagani, professeure à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et chercheuse au CHU Sainte-Justine, critique également la contre-productivité de ces rites coercitifs.
«C’est une mauvaise façon d’intégrer une personne qui a travaillé si fort pour arriver dans un groupe», a-t-elle signalé.
La Dre Pagani indique que «les rites d’accueil dans le monde du sport sont très souvent menés par la testostérone».
«On assiste alors à des événements où il y a une forte dominance et des abus de pouvoir», explique celle qui est aussi chercheuse à Sports Canada.
L’effet de groupe
Les femmes ne sont toutefois pas épargnées, comme le montrent ces exemples (voir autres textes) provenant du Québec, mais également du reste du Canada, des États-Unis et de l’Europe.
Joëlle Carpentier, docteure en psychologie et professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQÀM, estime que ces rituels sont souvent provoqués par un effet de groupe.
«Rares sont ceux qui feraient pareil hors du contexte d’initiation», a-t-elle noté. «Il y a une perte de conscience. [Les agresseurs] dépersonnalisent les gestes, car il s’agit d’un groupe.»
Conséquences à long terme
Et selon les experts en psychologie sondés, les conséquences peuvent être nombreuses, tant à court qu’à très long terme. Les impacts sont souvent sous-estimés.
«J’ai de la peine pour les jeunes qui ont subi ça. C’est dégradant pour eux, pour le hockey et pour le sport. C’est triste à tous les niveaux», a ajouté le Dr Dany Bernard.
Ce dernier estime que la solution se trouve en grande partie du côté des entraîneurs, qui doivent encadrer leurs jeunes. «Je demeure persuadé que les sports d’équipe sont un moyen d’éducation formidable. Mais si on les utilise pour déformer, il va aussi déformer de façon formidable...»
– Avec la collaboration de François-David Rouleau
►Par ailleurs, la LHJMQ a annoncé hier qu’elle participera aux consultations particulières et aux auditions publiques de l’Assemblée nationale dans le cadre du mandat portant sur les révélations de violence lors des initiations dans le milieu du hockey junior et la possible situation dans d’autres sports.
Des cas partout, dans tous les sports d’équipe
En 2005, de lourdes sanctions tombaient sur l’équipe de football de l’Université McGill. Une recrue de 18 ans, D'Arcy McKeown, affirmait avoir été sodomisée par un balai lors de son initiation, lors d’un rituel appelé «Dr Broom», pratiqué par des vétérans et qui, apparemment, durait depuis des années. Aucune accusation criminelle n’a été déposée, mais l’Université a mis la clé dans son programme de football pour une partie de la saison afin de punir les coupables. Près de 20 ans plus tard, force est de constater que cette décision n’a pas découragé les athlètes d’ici et d’ailleurs de faire subir des initiations dégradantes.
Le supplice de la tranche de pain
L’histoire remonte à avant les faits de McGill, mais elle lève le cœur. Au début des années 2000, des vétérans d’une équipe de hockey midget AAA de la région de Québec auraient obligé les recrues – de 15 ou 16 ans – à vivre une initiation à connotation sexuelle et répugnante.
Les faits ont été rapportés au Journal non pas par une victime ou un témoin, mais par un ami des jeunes joueurs, demeuré sans voix lorsqu’on lui avait raconté la scène. «Les nouveaux étaient dans la douche, autour d’une tranche de pain. Ils devaient venir [éjaculer] sur la tranche de pain le plus vite possible. Le dernier devait la manger.»
«Mes amis ont trouvé ça stupide et dégueulasse, mais pour eux, c’était des jokes de gars. C’était monnaie courante, c’était la norme. Sauf qu’ils n’ont pas eu de fun.»
Transportée d’urgence à l’hôpital
Une autre joueuse de soccer, cette fois de l’Université de Carleton à Ottawa, a dû être transportée à l’hôpital en ambulance après avoir été contrainte de boire une importante quantité d’alcool lors d’un rituel d’initiation en 2009. Selon une porte-parole de l’établissement universitaire, le party, amorcé dans une résidence privée, s’est transporté dans un bar. Les jeunes joueuses ont dû «boire une quantité excessive d’alcool» et se soumettre à des jeux d’alcool «dégradants». L’équipe a été suspendue pour deux matchs, en plus de devoir préparer les repas d'une banque d’aide alimentaire locale.
À l’Université McGill, encore une fois
Les équipes tant masculines que féminines de basketball de l’Université McGill ont été en probation pendant de nombreux mois, voire une saison complète, au terme d’initiations qui ont mal tourné, 10 ans après la suspension du club de football du campus. Sous la pression de coéquipiers plus âgés, un joueur dit avoir été forcé de boire d’importantes quantités d’alcool. Il a dit s’être intoxiqué au point d’avoir été retrouvé endormi dans ses vomissures par un ami. Selon son récit, des jeux sexuels avaient aussi été organisés avec des membres de l’équipe féminine, qui étaient peu vêtues.
Arrosées d’urine alors qu’elles étaient nues
Une joueuse de soccer de l’Université du Nouveau-Mexique, à Albuquerque, s’est retrouvée hospitalisée après un rituel d’initiation qui a mal tourné, en 2014. Selon son avocat, l’athlète, dont le nom n’a pas été révélé, a été forcée de boire de grandes quantités d’alcool. À l’instar de certaines de ses coéquipières, la jeune femme a aussi dû se déshabiller, avant d’être aspergée d’urine. Un entraîneur de basketball d’une autre université du Nouveau-Mexique, la New Mexico State University, a d’ailleurs été congédié cette semaine. Certains joueurs de Greg Heiar auraient été impliqués dans des rituels d’initiation, ce qui est strictement défendu sur le campus.
Bientôt interdit par la loi au Kentucky ?
Si plusieurs organisations et ligues ont banni les initiations dans les dernières années, celles-ci pourraient bientôt être interdites par la loi au Kentucky, si elles impliquent des mineurs ou des étudiants. Un projet de loi, nommé en l’honneur de Thomas «Lofton» Hazelwood, a été déposé au courant de la dernière semaine. Hazelwood est décédé l’an passé après avoir bu une grande quantité d’alcool lors d’un rituel de bizutage dans une fraternité de l’Université du Kentucky. Toute personne impliquée dans une initiation qui mènerait vers des blessures sérieuses ou à la mort pourrait faire face à une peine de prison. Actuellement, des lois semblables sont en place dans 13 États américains.