Aide médicale à mourir: la question ne doit pas être simplement médicale
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Quand on dit que le Québec forme une société distincte, on fait généralement référence à son statut politique à l’intérieur du Canada. Mais il faut croire que la question de l’aide médicale à mourir, qui refait surface ces derniers jours, contribue peut-être elle aussi à nous différencier du reste du pays, voire du monde dans son entier.
Quelques heures avant le dépôt du projet de loi visant à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, on apprenait jeudi dernier que 7% des décès dans la province découlent aujourd’hui de l’euthanasie. Ces chiffres sont saisissants. En à peine quelques années, le Québec est donc devenu l’endroit dans le monde où ce soin de fin de vie est le plus pratiqué.
S’il est absolument nécessaire de rappeler que la loi permettant l’accès à l’aide médicale à mourir a été votée par l’Assemblée nationale et que près de quatre Québécois sur cinq sont aujourd’hui en faveur de son élargissement, peut-on tout de même constater que cet enjeu ne suscite pas le débat qu’il mériterait sans doute ?
Solution de premier recours?
Quand certains citoyens laissent savoir que le risque de l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir est que ce soin soit désormais exigé comme premier recours par des patients découragés par la maladie, ils sont automatiquement qualifiés de mal informés ou pire, d’insensibles. Pourtant, il se trouve que le docteur Michel Bureau, président de la Commission sur les soins de fin de vie, a exprimé la même crainte la semaine passée en prenant connaissance des récentes données. Il a affirmé que « là où il y a un risque, c’est que c’est tellement enjolivé dans la population que bien des personnes souffrantes vont dire au médecin : ‘Moi, je veux l’aide médicale à mourir’ même si elles ne sont pas admissibles ».
Le projet de loi déposé jeudi dernier circulera dans les couloirs de l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines et il y a fort à parier qu’il sera adopté dans sa forme actuelle, sans aucune intervention majeure de l’opposition.
Mais cela signifie-t-il que le débat est clos ? Le docteur Pierre Viens, qui pratique depuis les années 1960, affirmait la semaine dernière que le consensus québécois s’explique par des éléments socioculturels et par notre rapport à la religion.
Ce point de vue très sommaire ressort du lot, pousse le débat à l’extérieur du cadre sentimental et médical. Mais comment se fait-il qu’il s’exprime de façon si discrète depuis toutes ces années ? Où étaient les historiens, les sociologues, les anthropologues et même les artistes ? Ces derniers auraient pu approfondir la réflexion dans l’espace public.
En France
En France, on rapporte que plus de 90% des citoyens se disent en faveur de l’aide médicale à mourir. Pourtant, l’adoption d’une loi autorisant cette intervention se fait toujours attendre là-bas.
Ce décalage entre une apparente volonté populaire et sa manifestation politique s’explique sans doute par la nature même de l’enjeu. Alors qu’au Québec, nous semblons associer de façon consensuelle l’aide médicale à mourir à une mesure pratique et clinique, la France, elle, a compris que l’enjeu est hautement philosophique, civilisationnel peut-être. Par conséquent, elle prend la mesure de sa responsabilité et ose réfléchir.
Michel Houellebecq – qui, sans être médecin, sonde le vivant comme peu d’auteurs contemporains savent le faire – a récemment associé l’euthanasie à une rupture anthropologique. Selon lui, avec les progrès de la médecine, la souffrance physique ne constituerait plus la menace à la dignité qu’elle a déjà été pendant trop longtemps. En réalité, la morphine, par exemple, étoufferait presque toutes les catégories de la souffrance si bien que l’aide médicale à mourir soulage peut-être souvent bien plus l’entourage des malades que les malades eux-mêmes. Toujours selon Houellebecq, la vie serait un sanctuaire qu’il faut protéger et réapprendre à célébrer malgré les pièges de la modernité. Par conséquent, les opposants à l’aide médicale à mourir peuvent tout autant se réclamer de la compassion que le font ses défenseurs.
Que l’on soit d’accord ou pas avec Houellebecq, la commission aurait tout intérêt à réunir d’autres voix que celles uniquement des centaines de médecins qu’elle prévoit convoquer à la suite de l’annonce des récentes données.
Car la mort, mais surtout la vie, ne sauraient se résumer à leur dimension clinique.
Rémi Villemure, Auteur et étudiant à la maîtrise en histoire, Montréal