Déménager à Verdun dans les années 1960
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Historien minutieux et conteur extraordinaire, Jean-Pierre Charland plonge dans le Québec du début des années 60 dans sa nouvelle série, Maître chez soi. À travers la vie de la famille Chevalier, des gens de Nicolet qui abandonnent la vie rurale pour s’installer à Verdun, l’écrivain raconte ce que beaucoup de familles québécoises ont vécu dans les années 60: le déracinement.
Déménagement, exode rural, changements majeurs dans les mœurs et les rapports amoureux, émancipation des femmes, changements religieux: les ingrédients sont réunis pour une décennie de grands changements.
En 1961, un agriculteur de Nicolet, Romain Chevalier, est aux prises avec des difficultés financières, comme beaucoup d’agriculteurs québécois de l’époque. À contrecœur, il se résout à vendre sa ferme pour déménager à Verdun. Sa femme, qui ne rêve qu’à la «grande ville», se fait une joie de quitter la campagne.
Romain trouve un emploi comme homme de ménage à l’Hôpital du Christ-Roi à Verdun, pour un salaire de misère. Sa femme Viviane se réjouit de se rapprocher de son frère aîné, le curé de la famille, qu’elle admire. Leur relation connaîtra des hauts... et des bas puisque quelques petits changements dans la vie du curé sont à prévoir.
Les enfants, Antoine et Marie-Paule, s’adaptent à leur nouvelle vie. Antoine, ravi de pouvoir enfin regarder le Ed Sullivan Show à la télé, poursuit ses études. Marie-Paule rêve de devenir institutrice et constate qu’elle ne laisse pas les garçons indifférents...
Quitter la campagne
Jean-Pierre Charland, qui a grandi à Sainte-Cécile-de-Lévrard, confie que Maître chez soi est un peu l’histoire de sa famille. «On est six enfants chez nous et les six sont partis vivre en ville. Les plus âgés ont quitté la maison au début des années 60. Moi et mon jeune frère, on est partis au début des années 70», confie-t-il en entrevue.
C’était ce qu’il appelle «le scénario typique». «On partait seul, on arrivait en ville et on se louait une chambre pour se chercher un emploi. Moi, c’était pour étudier. Mais le scénario n’était pas différent : on débarquait de l’autobus et on essayait de se débrouiller.»
L’histoire des Chevalier est typique de celle des cultivateurs, dans les campagnes, explique-t-il. «On a pris à peu près quatre fermes pour en faire une, dans les années 60. Dans mon coin, c’est typique. Il y avait 80 fermes et en 1975, il devait en rester maximum 20. Actuellement, je serais surpris qu’il y en ait plus que 10.»
Jean-Pierre Charland a terminé son secondaire à Nicolet et avait des amis qui habitaient dans les environs du rang Grand-Saint-Esprit, qu’il décrit dans le roman.
Un «quatre et demie»
Dans Maître chez soi, l’écrivain décrit le déplacement de la famille Chevalier vers Montréal et son installation dans un petit «quatre et demie» de Verdun, où le frère de Viviane Chevalier est curé d’une paroisse.
Il sera beaucoup question, dans ces tomes, des mutations dans les rapports amoureux, explique l’auteur. «C’est la première génération qui a eu accès à la pilule. La fille a 17 ans en 1961 et le garçon en a 18. Quand elle arrive à l’âge d’avoir des “chums steady”, la pilule est sur le marché, au Québec. C’est l’enjeu: qu’est-ce qu’on fait avant le mariage, qu’est-ce qu’on ne fait pas avant le mariage, et dans quelle condition on le fait?»
«C’est un changement des mœurs. Au Québec, on va adopter les lois sur le mariage civil. En 1967, le droit au divorce est aussi accordé au Québec.»
Jean-Pierre Charland fait remarquer que des personnages, dans son roman, attendent le droit au divorce comme d’autres attendent l’arrivée du Seigneur. «Ça vient beaucoup plus tard que prévu.»
♦ Jean-Pierre Charland est titulaire d’un doctorat en histoire et d’un autre en didactique.
♦ Il est aujourd’hui un professeur d’université à la retraite.
♦ Il a publié plusieurs séries historiques à succès, notamment Génération 1970, La pension Caron et Odile et Xavier.
♦ Le deuxième tome de la série Maître chez soi paraîtra le 5 avril.
♦ Les lecteurs pourront suivre les péripéties des personnages de Maître chez soi dans une autre série, Les Chevalier, à venir l’année prochaine.
EXTRAIT
«Romain Chevalier était dans sa grande maison, derrière une fenêtre grande ouverte. L’encanteur se tenait sur la galerie. Tout autour de lui, il avait placé des outils et des seaux pour faire les sucres.
— Ça te sera d’aucune utilité en ville, dit sa femme. T’as fini de t’esquinter la santé en fendant du bois de chauffage. Là-bas, on va avoir une fournaise à l’huile. Enfin, on aura une température égale dans la maison.
— La maison... Les enfants auront même pas chacun leur chambre.
L’épouse, Viviane, décida de se tenir coite. La mauvaise humeur de son mari durait depuis quelques semaines déjà.»