Air Canada: les unilingues anglophones se sentent pénalisés par «trop de bilinguisme»
Le syndicat a mené une guérilla pendant 4 ans
OTTAWA | Le syndicat des employés d’Air Canada a traîné la compagnie aérienne devant un arbitre pour se plaindre qu’elle exige trop de bilinguisme de la part des agents de bord, ce qui nuit aux unilingues anglophones.
En conflit avec l’entreprise depuis plus de quatre ans dans cette affaire, le syndicat d’Air Canada a été débouté par l’arbitre Michelle Flaherty mardi, à Ottawa.
Dès les premières lignes de sa décision, l’arbitre souligne que la compagnie a « l’obligation légale d’assurer des services dans les deux langues officielles » et que l’employeur et les syndiqués ont une entente négociée pour s’assurer de respecter cette obligation.
Le grief remonte à 2018 après que la compagnie aérienne a introduit un nouveau système de gestion des horaires du personnel de bord.
D’après le syndicat, ce système accroît le nombre d’agents bilingues assignés sur les vols et, de fait, « réduit les opportunités pour les agents de bord unilingues », peut-on lire dans la décision rendue publique.
De quoi faire sursauter sachant qu’Air Canada est connue pour être un cancre en matière de bilinguisme.
- Écoutez la chronique économique avec Sylvain Larocque, journaliste économique au Journal de Montréal et du Journal de Québec au micro de Richard Martineau sur QUB radio :
Jumelage des vols
Devant l’arbitre, la partie syndicale a expliqué que la compagnie jumelle désormais les vols ce qui lui permet d’assigner la même équipe à bord d’un vol Vancouver-Calgary qu’à bord d’un vol Calgary-Montréal, par exemple.
Dans un tel cas de figure, Montréal étant francophone, un arrêt chez nous exige un nombre plus élevé d’agents bilingues. En raison du jumelage des deux vols, les agents de bord ne sont plus assignés à partir de Calgary seulement, mais dès Vancouver.
Le syndicat évalue ainsi qu’en février 2023, pas moins de 2143 vols comptaient à ses yeux trop d’agents de bord bilingues, alors que c’était le cas pour seulement deux vols en octobre 2022.
L’Ancienneté pas une excuse
En raison de ce système, un des 17 syndiqués plaignants, l’hôtesse de l’air Gail Carson, une unilingue anglophone de Toronto à l’emploi d’Air Canada depuis 1974, ne peut plus travailler à bord de la plupart des vols domestiques et transfrontaliers, malgré son ancienneté.
Pour le syndicat, ceci contrevient à l’entente de principe sur le bilinguisme qui le lie à l’entreprise.
L’arbitre conclut que le système accroît en effet le nombre d’agents bilingues requis au sein des équipes d’agents de bord, ce qui peut affecter les unilingues comme Mme Carson.
Mais Mme Flaherty statue que ceci ne viole pas la convention collective, et que l’ancienneté ne peut pas être utilisée pour outrepasser les exigences linguistiques. Elle conclut donc que la compagnie est pleinement dans son droit et peut continuer d’agir de la sorte.
Quelles sont les règles ?
D’après l’entente de principe liant Air Canada à ses syndiqués et détaillée par l’arbitre Flaherty, les agents de bord des vols qui partent, se terminent ou transitent par le Québec et vont vers l’Europe, le sud ou la Floride doivent tous être bilingues.
Quant aux vols internationaux, ils doivent compter un agent bilingue si le vol compte un équipage de cinq personnes ou moins, et deux agents bilingues si l’équipage est formé de plus de cinq personnes.
L’entreprise s’est cependant mainte fois fait taper sur les doigts pour non-respect de ses obligations en matière de bilinguisme. Elle a même été condamnée par la Cour fédérale à verser des dommages et intérêts à des citoyens dont les droits avaient été enfreints.
Débat en cours à Ottawa
L’affaire surgit alors qu’à Ottawa le débat autour du projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles (C-13) se poursuit.
Les trois partis d’oppositions souhaitent qu’il soit amendé, afin que la Charte québécoise de la langue française s’applique à toutes les entreprises privées de compétence fédérale qui opèrent au Québec, comme Air Canada. Mais les libéraux s’y opposent.
La saga Michael Rousseau, un rappel
3 NOVEMBRE 2021
Michael Rousseau, nouveau président et chef de la direction d’Air Canada, livre sa première grande allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain en anglais seulement. Dans la foulée, le Commissariat aux langues officielles reçoit un record de plus de 2000 plaintes.
8 NOVEMBRE 2021
La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, écrit au président du conseil d’administration d’Air Canada pour exprimer la déception du gouvernement et demander que la maîtrise du français soit un critère important pour l’obtention de promotions.
1er MARS 2022
La ministre des Langues officielles dépose le projet de loi C-13 visant notamment à renforcer la gouvernance des langues officielles et à accorder plus de pouvoirs au commissaire aux langues officielles. Le Bloc Québécois veut que la loi exige que les PDG des entreprises de juridiction fédérale, comme Air Canada, soient bilingues partout au pays, mais les libéraux et les conservateurs s’y opposent.
– Avec Raphaël Pirro, Agence QMI