Qu’est-ce qu’un féminicide?: un service de police en Ontario veut voir le terme ajouté au Code criminel
Des organismes québécois saluent l’initiative de la Commission du service de police de London
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Des organismes de lutte contre la violence conjugale espèrent que les corps policiers québécois suivront l’exemple du Service de police de London qui milite pour que le terme féminicide soit reconnu et ajouté au Code criminel.
«Je suis tellement fatiguée de comptabiliser les meurtres de femmes, car le gouvernement pourrait prendre des mesures pour mettre fin à ces atrocités. Ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais si on légifère et définit le féminicide, on peut ensuite prendre de véritables actions», estime Megan Walker, vice-présidente de la Commission du service policier de London en marge de la Journée internationale des droits des femmes.
Depuis un an, la Commission multiplie les efforts afin que le terme féminicide soit officiellement défini et ajouté au Code criminel, «pour que ça soit reconnu comme le crime grave qu’il représente», dit-elle.
L’idée lui est venue quand un chef adjoint du Service de police de London (SPL) a présenté un rapport sur les homicides survenus dans cette ville ontarienne d’environ 380 000 âmes.
«Je lui ai demandé combien parmi ces meurtres étaient des féminicides et on m’a répondu qu’on ne les comptabilisait pas de cette façon», se souvient-elle.
Optimiste
Mme Walker est sortie «optimiste, mais prudente» après une première rencontre avec la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Marci Ien. Une autre rencontre doit avoir lieu d’ici la fin avril, cette fois avec le ministère de la Justice.
La Commission tente également de mobiliser d’autres corps policiers à travers le Canada en plus du SPL «qui travaille dans l’ombre pour les appuyer», se réjouit la vice-présidente.
«Chaque fois que nous pouvons, en tant que service de police, sensibiliser à la violence à l’égard des femmes, nous devons le faire. L’initiative de la Commission a fourni cette opportunité et nous nous réjouissons de poursuivre le dialogue sur la question», a renchéri la cheffe par intérim du SPL, Trish McIntyre.
Au Québec, des organismes réclament depuis longtemps que le terme féminicide soit reconnu. «De la même façon que l’on doit nommer un meurtre raciste. C’est important de le nommer parce que ça met en lumière un enjeu, une problématique. Ça ne prend pas un traitement individuel pour empêcher les féminicides, mais des actions sociales sur les inégalités», explique Claudine Thibaudeau, responsable du soutien clinique et de la formation à SOS violence conjugale.
Inclure cette notion au Code criminel permettrait également d’éviter «des sentences bonbon comme on voit trop souvent», estime Gaëlle Fédida, coordinatrice provinciale de L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape.
«C’est excellent que l’initiative vienne d’un corps policier, ça veut dire qu’ils comprennent l’utilité de l’outil juridique dans leur lutte contre la violence faite aux femmes. Ça donne d’autant plus de force à la revendication», ajoute-t-elle.
Difficile à compter
Sans définition officielle, il est difficile de comptabiliser les féminicides et de faire de la prévention à la hauteur de la problématique, explique Myrna Dawson, directrice de l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation.
«Chaque corps policier les compte un peu à leur façon selon leur propre définition. Mais nous n’avons pas vraiment les données nécessaires dans les rapports annuels [sur les homicides] de Statistiques Canada pour savoir s’il s’agit du meurtre d’une femme ou vraiment d’une féminicide, c’est-à-dire qu’elle a été tuée à cause de son genre», fait savoir la professeure de sociologie à l’Université de Guelph, en Ontario.
«Si nous devons investir tout cet argent pour collecter des données, alors l’objectif principal devrait être de faire de la prévention. Il y a plusieurs groupes de femmes, comme les autochtones, pour qui le risque de féminicide est plus grand, mais on n’a pas de données pour le documenter», insiste-t-elle.
20 ans en avance
Manon Monastesse, directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, n’est pas surprise que la police de London soit derrière l’initiative.
«C’est une ville extrêmement progressiste et en avance de facilement 20 ans, en ce qui concerne les pratiques policières en contexte de violence conjugale», dit celle qui espère voir des corps policiers du Québec suivre l’exemple.
De son côté, le Service de police d’Ottawa «supporte qu’une définition formelle soit mise en place», a fait savoir Mélanie Winwood, conseillère principale pour la violence faite aux femmes.
Après une sombre année marquée par une hausse de femmes victimes de meurtre, le corps policier ontarien est d’ailleurs devenu l’un des premiers cet automne à utiliser le terme féminicide dans ses déclarations publiques et communications avec les médias.
La Sûreté du Québec a décliné notre demande d’entrevue tandis que le Service de police de la Ville de Montréal ne souhaite pas se prononcer sur le sujet, a indiqué la porte-parole Caroline Labelle. Quant au président de l’Association des directeurs de police du Québec, le chef de police à Laval Pierre Brochet, il n’était pas disponible pour répondre à nos questions.