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Laurent Turcot: nouvelles allégations de plagiat dans ses capsules sur YouTube et à Radio-Canada

On l’entend reprendre mot à mot du contenu sans en mentionner la provenance

Portrait de Laurent Turcot avec un prix obtenu de YouTube au moment d'atteindre plus de 100 000 abonnés. C'est sur cette chaîne, nommée «L'Histoire nous le dira», que l'historien a diffusé du contenu qui aurait été plagié.
Photo tirée du Facebook de Laurent Turcot Portrait de Laurent Turcot avec un prix obtenu de YouTube au moment d'atteindre plus de 100 000 abonnés. C'est sur cette chaîne, nommée «L'Histoire nous le dira», que l'historien a diffusé du contenu qui aurait été plagié.

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L’historien Laurent Turcot aurait une fois de plus plagié du contenu appartenant à des intellectuels et des créateurs en ligne, pour réaliser des capsules diffusées sur sa populaire chaîne YouTube avec plus de 440 000 abonnés et par Radio-Canada.

• À lire aussi: Une autre enquête pour plagiat vise l'historien vedette Laurent Turcot

Le Journal a obtenu une vingtaine de cas où le professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) semble reprendre le travail des autres sans leur donner le crédit.  

La majorité de ces cas ont été puisés dans les capsules publiées sur sa chaîne YouTube baptisée «L'Histoire nous le dira», où il se met en vedette. Un autre provient aussi d’au moins un balado nommé «Fan d’histoire». Ce dernier, animé par Laurent Turcot, est diffusé sur l’application OHdio de Radio-Canada.

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Copier-coller de l’anglais

Une de ses vidéos YouTube publiées en 2020, ayant pour titre «Tatouage, mythes et histoire», en fait bien la démonstration. 

Au moins six passages du texte récité par Laurent Turcot dans cette séquence sont presque identiques à une autre vidéo publiée six ans plus tôt, soit en 2014. Celle-ci se nomme «L'histoire des tatouages». Elle est archivée en anglais sur la chaîne YouTube TED-Ed.

Selon nos observations et nos sources, les mots de Turcot sont presque identiques aux sous-titres francophones de cette vidéo diffusée sur TED-Ed. Il ne leur donne d'ailleurs aucun crédit.

Voici quelques cas répertoriés, ci-dessous.

Extrait 1 :

Mots de Laurent Turcot

«Premièrement, une momie de la culture Chinchorro dans le Pérou pré-inca a une moustache tatouée sur la lèvre supérieure. Deuxièmement, Ötzi, l'homme momifié dans les glaces des Alpes, a des motifs tatoués au charbon le long de la colonne vertébrale, derrière le genou et autour des chevilles, ce qui pourrait provenir aussi d'un genre primitif d'acupuncture. Troisième exemple, La momie Amunet, une prêtresse du Moyen Empire égyptien, arbore des tatouages que l'on associe à la sexualité et à la fertilité».

Sous-titres en français de TED-Ed sur YouTube

«Une momie de la culture Chinchorro dans le Pérou pré-inca a une moustache tatouée sur la lèvre supérieure. Ötzi, l'homme momifié dans les glaces des Alpes, a des motifs tatoués au charbon le long de la colonne vertébrale, derrière le genou et autour des chevilles, ce qui pourrait provenir aussi d'un genre primitif d'acupuncture. La momie Amunet, une prêtresse du Moyen Empire égyptien, arbore des tatouages que l'on associe à la sexualité et à la fertilité.»

Extrait 2 :

Mots de Laurent Turcot :

«Il s'agirait d'une adaptation anglophone du mot “tatau”, un mot polynésien utilisé à Tahiti où le capitaine Anglais James Cook a débarqué en 1769 et a rencontré des hommes et des femmes recouverts de tatouages ».

Sous-titres en français de TED-Ed sur YouTube

« Le mot est une adaptation anglophone de “tatao”, un mot polynésien utilisé à Tahiti où le capitaine Anglais James Cook a débarqué en 1769 et a rencontré des hommes et des femmes recouverts de tatouages ».

Extrait 3 :

Mots de Laurent Turcot :

«Pour les Maori, ces tatouages étaient une tradition établie largement répandue. Si vous vous dégonfliez face à une incision douloureuse de votre motif moko, votre tatouage incomplet était le témoin de votre couardise».

Sous-titres en français de TED-Ed sur YouTube

«Pour les Maori, ces tatouages étaient une tradition établie largement répandue. Si vous vous dégonfliez face à une incision douloureuse de votre motif moko, votre tatouage incomplet était le témoin de votre couardise».

Toujours par rapport à cette vidéo de 2020 sur l’histoire des tatouages, certaines phrases de Laurent Turcot semblent aussi identiques à celles dans un article publié en 2002 par Yvon Larose.

Extrait 4 : 

Mots de Laurent Turcot :

«Du 16e au 18e siècle, la pratique très répandue du tatouage chez les Premières Nations impressionnait les Français. Le tatouage sert ici de rappel des exploits guerriers. Serpents, lézards, écureuils et tortues, ou bien fleurs, feuilles, soleils et lunes constituent les principales images tatouées. On tatouait aussi de simples traits. Plus l'homme était tatoué, plus le guerrier était reconnu comme valeureux».

Extrait de «La mémoire sur la peau», article publié par Yvon Larose :

«Aux 16e, 17e et 18e siècles, la pratique très répandue du tatouage chez les Amérindiens impressionnait fortement les Français [...] Les hommes, quant à eux, s'en servaient comme rappel de leurs exploits guerriers. Serpents, lézards, écureuils et tortues, ou bien fleurs, feuilles, soleils et lunes constituaient les principales images tatouées. On tatouait aussi de simples traits [...] Plus l'homme était tatoué, plus le guerrier était reconnu comme valeureux».

«Omission bien involontaire»

Notons que l’article d’Yvon Larose et la vidéo de TED-Ed n’étaient même pas cités dans ou sous la capsule YouTube de Laurent Turcot. L’historien, qui aurait plagié leur contenu, a ajouté ces deux références après avoir été questionné à ce sujet par le Journal

«On vient de nous faire remarquer une omission bien involontaire de ces sources», peut-on lire désormais sous la vidéo de M. Turcot. 

Portrait de Laurent Turcot avec un prix obtenu de YouTube au moment d'atteindre plus de 100 000 abonnés. C'est sur cette chaîne, nommée «L'Histoire nous le dira», que l'historien a diffusé du contenu qui aurait été plagié.
Capture d'écran de la chaîne YouTube «L'histoire nous le dira»

Ce dernier monétise d’ailleurs son contenu. Il suggère aux fans de sa chaîne YouTube de lui envoyer jusqu’à 7,50$ par mois via la plateforme «Patreon».

Plagiat allégué repris à Rad-Can

Plusieurs passages de la vidéo «L'histoire des tatouages» de TED-Ed semblent avoir été repris dans leur intégralité par Laurent Turcot dans au moins un balado du diffuseur public. 

Le 28 août 2021, dans l’émission «Les Tatouages» sur l’application OHdio de Radio-Canada, des textes lus par l’historien ressemblent à s'y méprendre aux sous-titres en français de cette capsule sur YouTube. À aucun moment, le professeur ne cite ou ne crédite les créateurs de TED-Ed

Extrait 5 :

 

Mots de Laurent Turcot lus dans l’émission «Les Tatouages» sur OHdio à Radio-Canada :

«On ne peut s’empêcher ici de penser aux nazis qui tatouaient des numéros sur le torse ou le bras des juifs et des autres prisonniers dans les camps de concentration pour identifier les cadavres nus. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, on va assister à des détournements de ces tatouages forcés. Par exemple, Primo Levi, auteur à succès et survivant d'Auschwitz, portait des manches courtes en Allemagne après la guerre pour rappeler aux gens locaux les crimes que son chiffre tatoué représentait. Aujourd’hui encore, des descendants de l’Holocauste arborent les numéros de leurs proches tatoués sur leurs bras.»

Sous-titres en français de TED-Ed sur YouTube :  

«Les Nazis tatouaient notoirement des numéros sur le torse ou les bras des Juifs et des autres prisonniers dans le camp de concentration d’Auschwitz pour identifier les cadavres nus. Mais on peut redéfinir les tatouages forcés sur les détenus et les exclus, alors que les gens s'approprient ce statut ou passé. Primo Levi, survivant d'Auschwitz, portait des manches courtes en Allemagne après la guerre pour rappeler aux gens les crimes que son chiffre incarnait. Aujourd'hui, des descendants de survivants de l'Holocauste arborent les numéros de leurs proches tatoués sur leurs bras.»

Radio-Canada réagit

Marc Pichette, porte-parole de Radio-Canada, a réagi dans un courriel à ces allégations de plagiat sur OhDio. 

«Dans l’univers de l’audio et des balados, les ajouts de références à des textes ne font pas partie des pratiques courantes, comme peuvent l’être les notes de bas de page dans le monde de l’édition, pour ne pas alourdir le propos et nuire à l’écoute. De telles références sont faites lorsqu’on insère des extraits audio tirés d’émissions de radio ou de télévision», écrit-il.

M. Pichette ajoute que «Radio-Canada a toutes les raisons de croire en la bonne foi de Laurent Turcot et poursuit sa collaboration avec lui». 

Notons que les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de Radio-Canada sont pourtant claires sur ce sujet. 

«Nous sommes conscients de la portée de notre travail et de notre devoir d'honnêteté auprès des auditoires. [...] Nous ne plagions pas», garantit le diffuseur public dans ses NPJ.

Encore plus d’allégations

 Une autre capsule sur la chaîne YouTube de M. Turcot contiendrait des passages apparemment plagiés, toujours selon nos sources et nos observations.

Cette fois-ci, il s’agit de la vidéo nommée «Grippe espagnole au Québec (1918-1920)» publiée le 15 mars 2020. 

Des parties du texte récité par le prof vedette de l’UQTR sont presque identiques à des paragraphes d'un article de 2018 publié par l’autrice et journaliste Monique T. Giroux. 

À aucun moment l’historien ne lui donne le crédit dans cette séquence d’environ 12 min.

Extrait 6 :

 

Mots de Laurent Turcot :

«À Victoriaville, c'est 2,1 % de la population qui périt entre le 1er août le 31 décembre 1918 ; imaginez, une ville de 40 000 habitants qui perd 840 de ses citoyens en dix semaines!».

Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville : épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique»

«C’est 2,1 % de la population de Victoriaville et Arthabaska qui a péri entre le 1er août et le 31 décembre 1918 [...] imaginez une ville de 40 000 habitants perdant 840 de ses citoyens en dix semaines !»

Extrait 7 :

Mots de Laurent Turcot :

« Toutes proportions gardées, les gens de Victoriaville ont à déplorer deux fois plus de décès que ceux de Montréal et de Québec. C'est encore pire dans certains villages. À Laurierville, c'est 8 % de la population qui est décimée ! Le canton d'Inverness quadruple son taux de mortalité !»

Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville : épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique» :

«Toutes proportions gardées, les gens de Victoriaville et d’Arthabaska ont à déplorer deux fois plus de décès que ceux de Montréal et de Québec (...) Saint-Louis-de- Blandford et Sainte-Élisabeth-de-Warwick ont triplé le leur et Inverness presque quadruplé le sien ! À Laurierville, près de 8 % de la population est décimée.»

Extrait 8 :

 

Mots de Laurent Turcot :

« Cette catastrophe a démontré la nécessité de s’organiser pour être en mesure de faire face à d’autres fléaux du genre (...) Elle a été à l'origine de la création du Bureau municipal de Santé de Montréal en 1918, ainsi que de l'hôpital d'Asbestos et du Ministère fédéral de la Santé qui entrèrent en fonction en 1919 ».

Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville : épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique» :

«Cette catastrophe a démontré la nécessité de s’organiser pour être en mesure de faire face à d’autres fléaux du genre. Elle a été à l’origine de la création du Bureau municipal de Santé de Montréal dès 1918, ainsi que de l’hôpital d’Asbestos et du Ministère fédéral de la Santé qui entrèrent en fonction en 1919».

Une fois de plus, Laurent Turcot a inscrit comme source l’article de Monique T. Giroux après avoir été contacté par le Journal. «On vient de nous faire remarquer une omission involontaire de ces sources», a-t-il ajouté sous sa vidéo. 

Portrait de Laurent Turcot avec un prix obtenu de YouTube au moment d'atteindre plus de 100 000 abonnés. C'est sur cette chaîne, nommée «L'Histoire nous le dira», que l'historien a diffusé du contenu qui aurait été plagié.
Capture d'écran de la chaîne YouTube «L'histoire nous le dira»

 

Turcot ne répond pas

Le 30 décembre 2022, le Journal avait demandé à M. Turcot, dans un courriel détaillé, de réagir aux nouvelles informations qui laissaient croire que certains passages de ses vidéos avaient été plagiés. 

L’historien n’a jamais répondu à cette première demande.

Cette semaine, Laurent Turcot est sorti de son mutisme dans une vidéo publiée sur sa page Facebook. Il s’est notamment excusé pour ses «erreurs involontaires» qui se sont glissées dans son livre Sport et loisirs: une histoire des origines à nos jours

Le Journal avait révélé en avril 2022 que le professeur faisait l’objet d’une enquête pour 13 passages qui auraient été plagiés dans ce bouquin. 

L’historien a refusé de commenter jeudi les cas qui se retrouvent sur sa chaîne YouTube et dans au moins un balado de Radio-Canada.

«Tout est déjà expliqué dans ma vidéo du 7 mars 2023», écrit-il brièvement dans un courriel.

Dans cette publication Facebook, l’historien tente toutefois de s'expliquer sur son livre et non ses vidéos. 

Notons que l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) confirme que le professeur est toujours à son emploi, mais refuse de préciser si la deuxième enquête pour plagiat dont il fait l’objet, enquête entamée il y a près d’un an, est terminée. L’UQTR a aussi refusé de commenter les allégations de plagiat exposées plus haut.

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