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Recul alarmant de la glace aux Îles-de-la-Madeleine

Il n’a pas fait assez froid dans le golfe du Saint-Laurent cet hiver pour que ce bouclier naturel se forme

Îles-de-la-Madeleine
La glace qui s’avance dans la mer près de L’Étang-du-Nord était fine et fragile, le 1er mars dernier, alors qu’autrefois, les Madelinots pouvaient marcher à cet endroit tant le couvert de glace était épais. Photo Dominique Scali


La glace qui permettait aux Madelinots de marcher pendant des heures autour des îles est pratiquement inexistante cet hiver, un symptôme flagrant du réchauffement qui touche tout le golfe du Saint-Laurent et empire l’érosion côtière.

À quoi ressemblent les effets des changements climatiques l’hiver dans le golfe du Saint-Laurent ? Il suffit de jeter un coup d’œil aux photos côtières prises aux Îles-de-la-Madeleine par Le Journal la semaine dernière et de les comparer à d’autres prises en 2014. 

Il y a moins de dix ans, on pouvait encore se rendre à pied à l’île aux Goélands, située à moins d’un kilomètre de la rive de l’île centrale de Cap-aux-Meules. 

Îles-de-la-Madeleine
En 2014: Il était possible de se rendre à pied à l’île aux Goélands à partir de l’île de Cap-aux-Meules. Photo fournie par Jasmine Solomon

Cet hiver, ce petit pignon rocheux est ce qu’il est le reste de l’année : une île entourée d’eau, inaccessible à pied. 

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En 2023: L’île aux Goélands cet hiver. Photo Dominique Scali

« À ma connaissance, cette année, il n’y a aucun couvert de glace » autour des Îles-de-la-Madeleine, indique Jasmine Solomon, chargée de projet en érosion côtière pour la municipalité. 

Des étendues de glace s’avancent sur l’eau, par-ci par-là, mais elles restent de toute évidence fragiles. « Ça va partir au premier coup de vent », se désole-t-elle. 

Quand elle parle de couvert de glace, elle fait référence à cette couche compacte de glace et de neige qui ressemble parfois à un empilement de blocs. 

Mme Solomon se souvient que dans les années 1990, on pouvait traverser à pied jusqu’à l’île d’Entrée, située à environ 5 kilomètres de Havre-Aubert. 

« Les gens y allaient en skidoo, en ski... Et même avec leur char. » 

  • Écoutez l'entrevue de Mario Dumont avec Gilles Thériault, directeur de l'Association des chasseurs de phoques des Îles-de-la-Madeleine sur QUB radio :

Pas un record, mais...

Les données du Service canadien des glaces le confirment : c’est un hiver plus chaud que la normale dans le golfe du Saint-Laurent. 

« Cette année fait partie des 3 ou 4 années où les niveaux de glace sont les plus bas » depuis 1969, explique Jason Ross, prévisionniste principal des glaces à Environnement Canada.

Avec un pourcentage de couverture de glace de 6 %, ce n’est toutefois pas une année record comme l’a été l’hiver 2021, où la couverture avoisinait les 3 %... alors que la moyenne historique est de 21 %. 

Normalement, la glace de mer se forme vers la fin janvier et s’étend avant la fin février. Cette année, elle a donc un mois de retard.

Évidemment, le phénomène n’est pas linéaire. Des soubresauts de forte glace sont encore possibles d’une année à l’autre. 

Mais sur 50 ans, la tendance à la baisse est claire, surtout depuis les années 1990, note M. Ross. 

Pas de rempart

La disparition du couvert de glace qui protégeait les côtes est une mauvaise nouvelle pour les Îles-de-la-Madeleine, qui sont déjà aux prises avec d’importants problèmes d’érosion. 

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L’épais couvert de glace de 2014. Photo fournie par Jasmine Solomon

« Je suis pas mal sûr qu’on va encore avoir perdu une partie de terrain » à la fin de l’hiver, déplore Richard Leblanc, qui vient tout juste de terminer son mandat comme maire suppléant.

La glace protège les côtes de deux façons. D’abord, au quotidien, en servant de bouclier à l’action des vagues.

Elle fait aussi figure de premier rempart lors des tempêtes ou lorsqu’il y a de grands vents, explique Jasmine Solomon. 

« Une seule tempête peut causer un taux de recul allant jusqu’à 20 mètres », illustre-t-elle. 

Or, la glace n’a pas eu le temps de s’épaissir suffisamment pour jouer pleinement ce rôle, cet hiver. 

Gel-dégel

À cela viennent s’ajouter les nombreux épisodes de gel et dégel, un phénomène souvent négligé, mais déterminant dans la détérioration des côtes rocheuses de grès, rappelle Mme Solomon. 

Avec le dégel, l’eau s’infiltre dans la roche, puis va ensuite prendre de l’expansion quand elle regèle, ce qui fait éclater la roche.   

Un capitaine qui préfère affronter la banquise

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Le Capitaine Bernard Langford. Photo Dominique Scali

Un capitaine qui navigue depuis les années 1980 préférait l’époque des grands hivers glacés, même si son traversier risquait de rester pris lors de chaque sortie.

« Chaque jour, c’était un défi. Là, en 2023, ce n’est plus un gros défi », avoue le capitaine Bernard Langford de la Coopérative de transport maritime et aérien. 

« Des fois, c’est plus plate de naviguer quand il n’y a pas de glace [...] Ça a toujours été une passion [affronter la glace]. Ça stimule », dit ce Madelinot de 61 ans qui navigue depuis quatre décennies dans le golfe du Saint-Laurent.

Le Journal l’a rencontré à bord du Madeleine II, le traversier qui effectue la liaison entre les Îles-de-la-Madeleine et l’Île-du-Prince-Édouard. 

Complètement coincés

La dernière fois que son traversier s’est retrouvé complètement coincé dans les glaces, c’était en 2015.

« On est partis un bon matin et on est restés jammés sur l’heure du midi. On était à peu près à mi-chemin », raconte-t-il.  

Le traversier Vacancier est resté coincé dans les glaces pendant plus de quatre jours, alors que l’été, cette traversée prend moins de 5 heures.

Il n’a pas été capable d’obtenir rapidement l’aide des brise-glace de la garde côtière, tous occupés un peu partout dans le golfe. 

Heureusement, le navire était rempli de nourriture pour les passagers... qui ont dû pour la plupart annuler leurs vacances. 

Cette fois-là, le Vacancier ne s’est pas rendu à destination. Quand les courants se sont mis à changer et le bateau à se libérer, il est plutôt rentré aux îles. 

Ce genre de mésaventure est encore possible, mais la fréquence n’est plus la même. « Avant, les gros hivers de glace, c’était tous les ans. » 

« Maintenant, on peut avoir une année plein plein de glace, où ça bouche partout, puis ensuite, 4-5 ans sans glace ou presque. »

Comme cet hiver, par exemple.

Superficielle

Le capitaine Langford sort les cartes émises par le Service canadien des glaces.

En date du 2 mars 2023, on peut voir un golfe rempli de rouge, c’est-à-dire de zones glacées.

Mais en décortiquant les chiffres, on constate qu’il s’agit d’une glace plutôt superficielle. 

« [Contre] 6 pouces de glace, un bateau comme celui-là ne perdra pas de vitesse », explique-t-il. 

En ce début mars, le couvert de glace a probablement déjà atteint son apogée. « Les journées rallongent, le soleil est plus fort. Il va faire de moins en moins froid », prédit le capitaine. 

LA CHASSE AUX PHOQUES INCERTAINE

Îles-de-la-Madeleine
Photo d’archives courtoisie

Des Madelinots se demandent chaque année si la chasse aux phoques et l’observation de blanchons seront possibles au large des îles en raison de la diminution des glaces. 

Pêches et Océans Canada a annoncé mercredi l’ouverture de la chasse au phoque du Groenland pour jeudi prochain. 

Cela ne garantit pas que les chasseurs sortiront à la chasse, selon les mouvements des troupeaux sur les glaces, précise le ministère par courriel. 

Le phoque du Groenland est une espèce qui migre de l’Arctique vers les côtes des îles au cours de l’hiver. 

Leurs petits, appelés blanchons, naissent par milliers sur les banquises au début mars, ce qui attirait autrefois de nombreux touristes. 

Cette année, la saison d’observation des blanchons aux îles a été annulée pour un troisième hiver d’affilée. 

« Si la couverture des glaces continue de diminuer, la fraction de la population qui se reproduit dans le golfe devrait également baisser », indique Pêches et Océans Canada. 

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