Affaire Laurent Turcot : «Il a repris 3 ans de travail sans me créditer»
L’historien vedette aurait plagié le travail de cette femme méconnue du public
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Une autrice québécoise soutient que l’historien vedette Laurent Turcot aurait plagié son travail de longue haleine sur la grippe espagnole, sans lui donner de crédit.
«J’ai trouvé ça assez choquant qu’il dise, mot à mot, mes phrases sans donner la référence à mon livre. Il a repris trois ans de mon travail sans me créditer», dénonce Monique Tremblay Giroux, historienne amatrice de Chesterville, dans le Centre-du-Québec.
Le Journala révélé la semaine dernière que Laurent Turcot aurait notamment copié plusieurs extraits d’un de ses articles sur la grippe espagnole.
Il a en effet publié une vidéo en 2020 nommée «Grippe espagnole au Québec (1918-1920)» sur sa populaire chaîne YouTube qui a près de 445 000 abonnés. Dans celle-ci, on entend l’historien dire des passages presque identiques à un article de Mme Tremblay Giroux publié en 2018.
• À lire aussi: Nouvelles allégations de plagiat dans les capsules de Laurent Turcot sur YouTube et à Radio-Canada
Voici un des exemples repérés:
Extrait 1:
Mots de Laurent Turcot:
«À Victoriaville, 2,1% de la population périt entre le 1er août le 31 décembre 1918. Imaginez, dans une ville de 40 000 habitants, on perd 840 citoyens en dix semaines!»
Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville: épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique» :
«C’est 2,1% de la population de Victoriaville et Arthabaska qui a péri entre le 1er août et le 31 décembre 1918 [...] imaginez une ville de 40 000 habitants perdant 840 de ses citoyens en dix semaines!»
Il s’approprie le travail d’une femme
Monique Tremblay Giroux avoue être surprise de voir un homme aussi populaire dans les médias s’approprier son travail, lui qui est de surcroît professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
«Le fait que je ne suis pas connue et que je suis retraitée, c’est peut-être plus facile de reprendre mes textes sans me créditer, constate-t-elle. Si j’avais eu une réputation publique, c’est sûr qu’il aurait réagi différemment.»
L’autrice a d’abord écrit un livre nommé Les versions de la vérité pour raconter, entre autres, que l’origine de la grippe espagnole en Amérique du Nord était à Victoriaville. Elle a ensuite publié plusieurs articles sur le sujet, dont celui qui aurait été plagié par Laurent Turcot.
«S’il m’avait au moins citée comme référence, ça me donnerait une reconnaissance et une publicité pour mon travail. Je ne demande pas d’argent. [...] J’ai passé des années à me documenter et je me suis même déplacée dans 46 paroisses du Québec pour répertorier 1489 noms de personnes mortes durant cette période», explique l’historienne amatrice.
- Écoutez son entrevue à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
Une «omission»
Le professeur d’histoire à l’UQTR mentionne qu’il s’agit d’une simple «omission involontaire». Notons que le crédit a été donné à l’autrice après que Laurent Turcot a été contacté par Le Journal à ce sujet.
«La capsule avait été rédigée par un précieux collaborateur. Lors de la transcription du fichier sur YouTube, la référence semble ne pas avoir suivi», explique l’historien dans un courriel.
Ce cas n’est toutefois pas unique. M. Turcot aurait aussi répliqué les sous-titres francophones d’une vidéo diffusée sur TED-Ed en lien avec l’histoire des tatouages, a révélé notre enquête la semaine dernière.
En plus de ces récentes allégations, Le Journal avait révélé en avril 2022 que le professeur faisait l’objet d’une enquête pour au moins 13 passages qui auraient été plagiés dans son livre nommé Sport et loisirs: une histoire des origines à nos jours. Depuis, une deuxième enquête a été ouverte à l’UQTR pour 120 cas allégués de plagiat contre lui.
«En principe, un historien crédible met ses sources. Ce n’est pas un amateur. Il a ses diplômes et enseigne à l’université. C’est la première fois que ça m’arrive», laisse tomber Monique Tremblay Giroux.
Turcot signalé à l’UNEQ
L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) mentionne qu’elle «prend très au sérieux les questions de plagiat».
«Nous sommes en contact avec Madame Tremblay-Giroux afin de l’accompagner au mieux et étudier les démarches qui pourraient être entreprises», confirme dans un courriel l’UNEQ.
Autres exemples de plagiat allégué dans les vidéos de M. Turcot:
Extrait 2:
Mots de Laurent Turcot:
«Toutes proportions gardées, les gens de Victoriaville ont à déplorer deux fois plus de décès que ceux de Montréal et de Québec. C’est encore pire dans certains villages. À Laurierville, c’est 8% de la population qui est décimée. Le canton d’Inverness quadruple son taux de mortalité!»
Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville : épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique»:
«Toutes proportions gardées, les gens de Victoriaville et d’Arthabaska ont à déplorer deux fois plus de décès que ceux de Montréal et de Québec [...] Saint-Louis-de-Blandford et Sainte-Élisabeth-de-Warwick ont triplé le leur et Inverness presque quadruplé le sien! À Laurierville, près de 8% de la population est décimée.»
Extrait 3
Mots de Laurent Turcot:
«Cette catastrophe a démontré la nécessité de s’organiser pour être en mesure de faire face à d’autres fléaux du genre [...] L'épidémie a été à l'origine de la création du Bureau municipal de Santé de Montréal en 1918, ainsi que de l'hôpital d'Asbestos et du ministère fédéral de la Santé qui entrèrent en fonction en 1919».
Article de Monique T. Giroux, «Victoriaville : épicentre de la pandémie de la grippe espagnole en Amérique» :
«Cette catastrophe a démontré la nécessité de s’organiser pour être en mesure de faire face à d’autres fléaux du genre. Elle a été à l’origine de la création du Bureau municipal de Santé de Montréal dès 1918, ainsi que de l’hôpital d’Asbestos et du Ministère fédéral de la Santé qui entrèrent en fonction en 1919».