Plusieurs liens entre les présumés postes de police montréalais et le régime communiste chinois
Les deux centres communautaires soupçonnés d’être des «postes de police» chinois par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) ont des liens avec le régime communiste de Pékin, a découvert notre Bureau d’enquête.
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Le Service à la Famille Chinoise du Grand Montréal et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud sont soupçonnés d’être, à l’instar de quatre autres centres recensés ailleurs au pays par l’ONG espagnole Safeguard Defenders, des « postes de police » clandestins pour le compte des autorités chinoises. La GRC a évoqué la semaine dernière que des citoyens de la diaspora chinoise pourraient être intimidés ou menacés par le régime communiste chinois en lien avec ces centres.
Des allégations qui ont été formellement démenties par l’avocate des deux centres mardi. Dans un communiqué, ces derniers ont indiqué avoir appris « avec étonnement » la tenue de cette enquête et se sont dit prêts à y collaborer.
Différents liens
Au cours des dernières semaines, nous avons recensé différents liens entre ces centres sociocommunautaires et le Parti communiste chinois (PCC) tant au Québec qu’à l’international :
- Jusqu’à la publication de notre reportage la semaine dernière, le « Gouvernement de la République populaire de Chine » figurait parmi les partenaires du Service à la Famille Chinoise du Grand Montréal sur leur site web, aux côtés notamment des gouvernements du Québec et du Canada. La mention a depuis été effacée.
- Les deux centres ont été aussi désignés comme des centres de services aux chinois d’outremers.
- En 2015, la directrice des deux centres et conseillère municipale de Brossard, Xixi Li, a rencontré lors d’une visite en Chine le président de la Fédération provinciale des chinois d’outre-mer de la province de Gansu, Fan Xiangqin.
- Durant la même période, elle a rencontré un vice-ministre du Département du travail sur le front uni en Chine.
- Mme Li est devenue vice-présidente de l’Association d’amitié outremer de la province de Gansu en Chine, en 2018. La Fédération des associations d’amitié outremer est sous l’égide du Département du travail sur le front uni, une aile répressive du PPC selon plusieurs rapports internationaux (voir autre texte).
- En 2018, elle a aussi été personnellement invitée par le Premier ministre de la Chine à participer aux festivités entourant la Fête nationale de la Chine, mention depuis effacée du site web du Centre Sino-Québec de la Rive-Sud.
Inquiétude
Des experts de la question chinoise et représentants de groupes luttant pour la démocratie en Chine se disent inquiets de cette proximité entre des centres communautaires montréalais et le régime communiste de Pékin.
« Il n’y a pas de raisons qui pourraient justifier pourquoi le gouvernement chinois prête assistance à un centre de services sociaux à Montréal. Ça n’a rien à voir avec la Chine. On ne peut s’empêcher de se demander quelle est la réelle motivation du gouvernement chinois d’investir des ressources dans un organisme qui n’a pas le mandat de servir les intérêts de la Chine », soulève Charles Burton, de l'Institut Macdonald-Laurier, et ex-conseiller à l'ambassade du Canada en Chine.
« La Fédération des associations d’amitié fait clairement partie des opérations du Département du travail sur le front uni (DTFU). Les Instituts Confucius, les associations d’amitié; toutes ces soi-disant associations « douces » sont en réalité le visage invisibles du DTFU (...) Ce n’est pas unique à Montréal ou Brossard. Il existe ailleurs d’autres organisations comme celles-là qui ont des liens questionnables avec le gouvernement chinois. Ça éveille des soupçons », affirme Cheuk Kwan, coprésident de l'Association de Toronto pour la démocratie en Chine.
Elle nie
Par le biais de leur avocate, les deux centres communautaires ont refusé de répondre à nos questions sur leurs apparences de liens avec la Chine.
La semaine dernière, lors d’une courte entrevue téléphonique qu’elle nous avait accordée, Xixi Li avait nié être près du Parti communiste chinois. Elle avait aussi indiqué que sa vice-présidence de l’Association d’amitié outremer de la province de Gansu était seulement à titre « honoraire ».
« Je n’ai jamais été impliquée. Je n’ai jamais participé. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait », a-t-elle indiqué, affirmant ne pas savoir que l’association pouvait être liée au Parti communiste chinois.
Elle a aussi dit avoir rencontré les membres de cette association lorsqu’ils sont venus visiter Montréal « vers 2015 ».
« Ça fait des années que nous n’avons pas de contacts avec la Chine avec la Covid. Je ne suis pas retournée en Chine depuis des années (...) depuis longtemps », a-t-elle indiqué.
- Avec la collaboration de Yves Lévesque
Le Front Uni et les associations d’amitié
Le Département du travail sur le front uni (DTFU) inquiète depuis déjà un certain temps sur la scène internationale.
Il s’agit d’un département du Parti communiste chinois utilisé par Pékin dans ses actions d’ingérence étrangère.
« Pékin se sert du DTFU pour étouffer les critiques et infiltrer les partis politiques étrangers, les diasporas, les universités et les multinationales. L’importance du DTFU, pour le Parti communiste chinois, s’est étendue ces dernières années sous le régime du président Xi; ; en effet, 40 000 nouveaux employés y ont été ajoutés », a écrit à ce propos Sécurité Publique Canada sur son site web.
D’autres rapports et témoignages d’experts ont fait état des liens entre le DTFU et les associations d’amitié chinoises, qui constitueraient l’un des outils de l’arsenal du DTFU en matière d’ingérence étrangère.
C’est le cas notamment d’un rapport du Australian Strategic Policy Institute, publié en 2020. En 2018, le rapport «China’s Overseas United Front Work: Background and Implications for the United States» de la U.S.-China Economic and Security Review Commission sonnait déjà l’alarme.
« La stratégie du Front uni comporte une gamme de méthodes pour influencer les communautés chinoises à l'étranger, les gouvernements étrangers et d'autres acteurs à prendre des mesures ou à adopter des positions favorables aux politiques préférées de Pékin. Un certain nombre d'entités officielles et quasi officielles mènent des activités à l'étranger guidées ou financées par le Front uni, y compris les organisations gouvernementales et militaires chinoises, les associations culturelles et "d'amitié"», indiquait le rapport.
« Les principaux groupes du Front uni comprennent des organisations de premier plan (...) À l'étranger, il s'agit (...) des associations d'étudiants et de chercheurs chinois, et de nombreuses associations d'amitié et de villes d'origine chinoises à l'étranger. En cooptant ces organisations sous l'égide du Front uni, le parti cherche à façonner le récit et à étendre son influence à l'étranger », soulevait également la professeure de science politique à l’Université de Toronto Lynette H. Ong au comité parlementaire sur les relations sino- canadiennes en mai 2021