«On veut juste travailler»: plus de 3000 migrants logés à l’hôtel à nos frais
Une vingtaine de ces hébergements de Montréal, Laval et la Rive-Sud sont pour les demandeurs du chemin Roxham
L’achalandage au chemin Roxham est tel que plus de 3600 demandeurs d’asile sont actuellement logés et nourris dans 20 hôtels et un site d’hébergement temporaire du grand Montréal.
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«On peut dire qu’on est dépassés. On n’a personne dans notre organigramme pour s’occuper des migrants», s’inquiète Andrée Bouchard, mairesse de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Seulement dans cette ville, les 112 chambres du Quality Hotel servent à loger des migrants en continu depuis plus d’un an, malgré le peu de ressources disponibles (voir autre texte plus bas).
Au total, 2475 demandeurs d’asile vivaient au début mars dans des hôtels payés par le fédéral, d’après Immigration Canada.
Si la plupart sont hébergés autour de l’aéroport de Dorval et au centre-ville de Montréal, des hôtels les accueillent aussi à Brossard, à Boucherville ou à Laval.
10 % des chambres
Actuellement, le fédéral écrit louer 2164 chambres dans la métropole et ses environs, soit environ 10 % des 20 000 chambres de la région, selon l’Association hôtelière du Grand Montréal.
Plusieurs établissements sont entièrement réservés par Ottawa pour les semaines à venir, compliquant la tenue de tournois sportifs (voir autre texte plus bas).
À cela, s’ajoutent les 1200 lits du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), qui est au maximum de sa capacité, selon son porte-parole, Carl Thériault.
Ces chiffres seraient encore plus élevés si des centaines de personnes arrivées par Roxham n’avaient pas été récemment transférées en Ontario pour soulager le système d’accueil ici.
Ali (nom fictif), un demandeur d’asile originaire du Nigeria, occupe l’une des chambres d’un hôtel en bordure de la voie de desserte de l’A-520, à Montréal.
«Je suis traité comme un roi ici», raconte l’homme qui a fui son pays au péril de sa vie, avec sa femme.
Les nouveaux arrivants sont néanmoins soumis à des règles strictes pendant leur hébergement temporaire, et un garde de sécurité est posté dans le lobby de chaque établissement (voir autres textes plus bas).
Dans le néant
Des migrants déplorent aussi d’être dans le néant.
«Je ne sais pas pourquoi ils ne nous donnent pas d’information. On veut juste travailler et ne pas être un poids pour la société», laisse tomber en espagnol Josué, 35 ans, arrivé du Venezuela il y a plus d’un mois.
Ce dernier se tourne les pouces dans un hôtel de l’ouest de l’île, en attendant de recevoir son permis de travail.
En règle générale, les demandeurs d’asile quittent l’hôtel au bout de deux ou trois mois, après avoir reçu leur permis ou une aide financière du gouvernement.
– Avec Nicolas Brasseur et Jules Richer
♦ Devant l’afflux des migrants, Justin Trudeau a affirmé qu’il planifiait aborder le sujet des entrées irrégulières lors de sa rencontre avec Joe Biden, à la fin du mois.
DEMANDEURS D’ASILE HÉBERGÉS ENTRE JANVIER ET NOVEMBRE 2022
- Au Québec : 24 385
- En Ontario : 3980
Interceptions par la GRC en 2022 au Québec : 39 171
Source : IRCC, PRAIDA
DEMANDEURS D’ASILE HÉBERGÉS AU 5 MARS
DES REPAS SERVIS FROIDS
Dans plusieurs hôtels, des repas froids sont servis aux demandeurs d’asile dans des barquettes de plastique, de styromousse ou d’aluminium.
Au menu : sandwich, riz et poulet, ou encore viande en sauce accompagnée de légumes cuits, selon les photos qu’on nous a envoyées.
«Si on veut les réchauffer, on doit utiliser des micro-ondes», précise un jeune Vénézuélien hébergé à l’hôtel Radisson, à Dorval.
STRICTES RÈGLES
Les migrants sont soumis à toute une série de règles, qui varient d’hôtel en hôtel.
Il est interdit de boire de l’alcool dans sa chambre. Le couvre-feu est à 22 h ou à 23 h pour tout le monde. Le port d’un bracelet d’identification est obligatoire en tout temps. Et il est interdit de recevoir de visite ou d’aller à la piscine.
«Ici, c’est très restrictif. On ne peut même pas aller dans la chambre de nos amis», regrette Sayed (nom fictif), un Afghan de 28 ans hébergé au Quality Hotel de Dorval.
UNE SÉCURITÉ OMNIPRÉSENTE
Des gardiens de sécurité ont été embauchés dans chacun des hôtels pour surveiller les allées et venues des demandeurs d’asile.
«Moi, je me sens comme un prisonnier», témoigne Josué, qui habite à l’hôtel depuis plus d’un mois.
Le Journal s’est d’ailleurs systématiquement fait refouler par des gardiens de sécurité dès le lobby dans tous les établissements qu’il a tenté de visiter pour ce reportage.
LOIN DU CENTRE-VILLE
Si la proximité des hôtels à l’aéroport Montréal-Trudeau facilite la vie des voyageurs, il en tout autre pour les centaines de migrants qui y vivent temporairement.
«Il n’y a rien autour!», s’exclame Raymond, un Haïtien qui attendait l’autobus quand Le Journal l’a rencontré.
Ce dernier s’apprêtait à faire plus d’une heure de transport en commun pour se rendre à un rendez-vous d’aide juridique au centre-ville, où de nombreux organismes qui viennent en aide aux migrants sont situés.
Il est impossible de louer des chambres
Des sportifs se butent à des hôtels entièrement réservés par le fédéral pour les demandeurs d’asile, ce qui les oblige à changer leurs plans malgré la saison basse.
«L’hôtelier est peut-être content de louer toutes ses chambres, mais moi, je ne peux pas accueillir personne quand il y a des tournois», regrette Andrée Bouchard, mairesse de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Les participants doivent donc se tourner vers un hôtel en bordure de l’autoroute, ou encore se loger à Brossard, à 20 minutes de là, explique-t-elle.
La facture pour héberger temporairement tous ces gens s’élève à plus de 90 M$ depuis l’élection de septembre 2021, selon des données obtenues par le quotidien Globe and Mail.
Jean-Sébastien Boudreault, PDG de l'Association hôtelière du Grand Montréal, estime que l’hébergement des migrants est une expérience largement positive.
«Ça démontre que l’hôtellerie est une industrie qui a à cœur l’être humain et qui n’est pas juste là pour faire de l’argent», affirme-t-il.
Des demandeurs d’asile dépourvus
Le séjour de centaines de demandeurs d’asile dans un hôtel de Saint-Jean-sur-Richelieu depuis l’an dernier a pris de court autant les organismes communautaires que les autorités locales. Le Quality Hotel de Saint-Jean-sur-Richelieu a vu passer plus de 1935 migrants entre janvier et novembre 2022, selon un document d’Immigration Canada.
Et l’établissement qui les héberge en périphérie du centre-ville continue d’afficher complet pour les prochaines semaines.
«Ils sont parqués à l’hôtel, c’est comme ça que je le ressens», déplore Andrée Bouchard, mairesse de cette ville de 100 000 habitants.
« l y a des femmes enceintes, des enfants, des gens avec des problèmes de santé... Ils ont besoin de tous les services», poursuit l’élue, qui n’a pas été avisée par le fédéral avant la signature du contrat avec l’hôtel.
Des migrants dépourvus
Dépourvus, plusieurs demandeurs d’asile se sont tournés vers L’Ancre, un organisme communautaire qui aide les nouveaux arrivants.
«On a essayé d’aider du mieux qu’on pouvait, mais sans aucun financement supplémentaire», raconte la coordonnatrice Khadija Aoutil, sollicitée de partout.
Son organisme a récemment réussi à obtenir de peine et de misère de quoi payer la moitié du salaire d’une employée qui animera des séances d’information à l’hôtel jusqu’en juin.
Cela représente une minuscule fraction des 3,5 M$ distribués d’urgence par Québec, après un cri du cœur de certains organismes en janvier.
En parallèle, L’Ancre doit sensibiliser les intervenants de Saint-Jean-sur-Richelieu aux services auxquels les demandeurs d’asile ont droit.
«À Montréal, les médecins sont rodés, ils connaissent le fonctionnement de l’assurance-santé [des demandeurs d’asile]. Ici, ce n’est pas du tout le cas», illustre-t-elle.
La banque alimentaire locale doit aussi s’ajuster aux besoins criants des migrants qui ont quitté l’hôtel.
«C’est des gens qui n’étaient pas là l’an passé. Seulement depuis janvier, j’ai 50 nouvelles personnes...», remarque Ian Labelle, directeur général de la Saint-Vincent-de-Paul de Saint-Jean.
Alors que Saint-Jean-sur-Richelieu subit un cours accéléré pour prendre soin des centaines de demandeurs d’asile qui s’y installent, Khadija Aoutil est déterminée à les accueillir dignement.
«Ce que je dis à mon équipe, c’est que je ne veux personne dans la rue, sans vêtements, ou affamé», martèle la coordonnatrice de l’Ancre.