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Des milliers d’élèves québécois ne mangent pas à leur faim à l’école

Des enseignants achètent de la nourriture avec leur propre argent

Cantine pour tous
Photo Pierre-Paul Poulin / Le Journal de Montréal Plusieurs élèves québécois se rendent à l’école avec un lunch dégarni ou pas assez nutritif, et ont du mal à se concentrer pour leur journée en classe. Sur cette photo, ces enfants profitent d'un repas de la Cantine pour tous à l'école Édouard-Laurin, à Montréal.

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Sandwich au ketchup, viande avariée, boîte à lunch à moitié vide : beaucoup d’élèves québécois ne mangent pas à leur faim à l’école ou n’ont carrément rien à se mettre sous la dent. Une inquiétante réalité qui s’accentue avec la hausse faramineuse du panier d’épicerie.  

« Des enfants qui ne mangent pas, j’en vois tous les jours », confie anonymement une éducatrice en service de garde d’une école défavorisée de Trois-Rivières.  

« Les boîtes à lunch ne sont plus aussi pleines qu’avant », ajoute une autre éducatrice, qui travaille dans un milieu favorisé de St-Basile-le-Grand, en Montérégie.  

Depuis un an, la hausse du panier d’épicerie se répercute directement dans les boîtes à lunch des petits Québécois. Résultat : de plus en plus d’écoliers n’ont pas un repas complet et des collations pour le soutenir durant leur journée d’école, constatent plusieurs intervenants scolaires.  

« Si on ne répond pas à ce besoin de base, comment peut-on demander à l’enfant d’être disponible pour faire des apprentissages ? » questionne Julie St-Jean, directrice de l’école primaire Édouard-Laurin, à Montréal.  

EXEMPLES DE
LUNCHS OBSERVÉS Sandwich

  • Tartine au ketchup
  • Sandwich au beurre
  • Restant froid de Mcdo (même s'il n'y a pas de micro-ondes)
  • Une tranche de pain pliée en deux avec une tranche de baloney
  • Sandwich de la veille, déjà croqué, qui a passé la journée dans le casier sans glace pour le conserver.
Sandwich
  • Croquettes de poulet froides dans une boite à lunch sale
  • Sandwiches avec de la viande ou du pain moisi
  • Nouilles instantanées dans l'eau chaude, rien d'autre
  • Uniquement des collations, aucun repas principal
Nouilles

La faim est partout  

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’insécurité alimentaire n’est pas réservée aux quartiers défavorisés de Montréal.  

«Chaque lundi, l’école me fournit une dizaine de collations (compotes, pommes, barres tendres). Au mercredi, je n’ai plus rien. Après je vais voir les réserves (de l’école), ou je pige dans les miennes. [...] Quand tu vois qu’ils ont faim, tu prends la collation de ta poche, et tu la donnes.» 

-Enseignante en 4e année, à Rivière-du-Loup, qui achète environ 10$ de collations par semaine de sa poche pour ses élèves   

«Les boîtes à lunch ne sont plus aussi pleines. Avant, il y avait souvent quatre collations. Maintenant, c’est juste une pomme.» 

-Éducatrice en service de garde au primaire, à St-Basile-le-Grand 

« Il y en a dans toutes les écoles, dans toutes les villes », dit Frédéric Côté, directeur général de l’organisme le Partage, qui nourrit gratuitement 72 élèves défavorisés par jour, sur la Rive-Sud de Montréal.  

En plus de la complexité d’une telle organisation, l’organisme se donne la mission de livrer les boîtes à lunch en cachette dans les écoles, pour éviter que les enfants soient victimes de moqueries.  

Certaines écoles offrent le service de traiteur, mais les repas sont dispendieux (8 $ ou plus). Autrement, les parents doivent fournir le lunch. 

«Un enfant est arrivé avec le même sandwich que la veille, pas de ice pack. Le sandwich a traîné tout l’après-midi dans son casier.» 

-Éducatrice en service de garde au primaire à Saint-Amable 

Pour plusieurs, il est grand temps de se doter d’un programme universel de dîners, comme on voit dans tous les autres pays du G7 (voir autre texte). Parmi les avantages, ce service permettrait d’assurer que tous les enfants mangent un repas et des collations saines tous les jours.  

Actuellement, le ministère de l’Éducation paie des collations (et parfois des berlingots de lait), mais l’aide varie beaucoup d’une école à l’autre, a-t-on constaté. Du côté des organismes, qui nourrissent des milliers d’élèves à faible coût, la pression est plus forte que jamais.  

« On nous dit souvent que le repas qu’ils reçoivent ici, c’est le meilleur de leur journée, souligne Mélissa Bellerose, directrice de Toujours ensemble, à Verdun, qui nourrit 50 élèves défavorisés tous les midis. Notre crainte, c’est que des jeunes tombent entre les mailles du filet. » 

Des repas en dépannage 

Au moins, la plupart des écoles ont des repas congelés pour dépanner un enfant qui n’a pas de lunch. Tous les intervenants interrogés assurent ne pas laisser un élève retourner en classe le ventre vide en après-midi.  

Autre fait troublant, des enseignants achètent de la nourriture avec leur propre argent. 

« Plus ça va, pire c’est, constate Frédéric Robert, enseignant au primaire à Montréal, qui dépense au moins 500 $ par année pour nourrir ses élèves. Il y a beaucoup d’enseignants qui achètent de la nourriture. »  

« Quand je vois des fruits en spécial, j’en achète. [...] Aussitôt qu’on leur sort des fruits, ils capotent, ils se jettent dessus », dit-il.  

« Ils ragent de faim »  

« Depuis deux mois, je vois des élèves qui entrent de la récréation et qui ragent de faim ! Je me dis : est-ce qu’ils dînent assez ? Se questionne une enseignante de quatrième année, à Rivière-du-Loup. Avant, j’étais à cheval sur les collations santé. Maintenant, je ne regarde plus la qualité. Tant qu’ils en ont, c’est correct. »  

Autre constat : les boîtes à lunch contiennent davantage de produits transformés ultra-sucrés, qui coûtent moins cher.  

« Des fruits et des légumes frais, il y en a de moins en moins, note une éducatrice des Laurentides. On essaie de ne pas juger, mais ce n’est pas nourrissant. » 

Des élèves qui restent sur leur appétit 

Le Journal s’est entretenu avec plusieurs intervenants scolaires qui travaillent auprès des élèves au quotidien pour comprendre la réalité des repas du midi, dans les écoles. 

Voici leurs constats au sujet des écoliers qui ne mangent pas à leur faim. La plupart ont témoigné anonymement, par peur de représailles de leur employeur. 

«Il y a une différence dans la quantité et la qualité. Au lieu d’acheter du jambon, des parents vont dans le jambon en canne.» -Éducateur au service de garde à Greenfield Park.  

«Un enfant de première année est arrivé avec de la laitue dans un sac de plastique. Avec rien d’autre. Il était tellement fier, il avait fait son lunch lui-même.» -Éducatrice de garde d’une école défavorisée de Trois-Rivières 

«Dans une école secondaire, j’ai vu des enfants qui séparaient leur dîner en deux, dans un petit sac Ziploc, et ils ramenaient ça à la maison pour pouvoir souper. Ce sont des enfants qui vivent de l’insécurité alimentaire majeure dans certains cas. Ils avaient le réflexe de prévoir le prochain repas.» -Julie St-Jean, directrice de l’école Édouard-Laurin, à Montréal  

«Il y a le maudit sentiment de culpabilité. Est-ce que je dois manger ma barre tendre en cachette ? [...] Des fois, j’en amène deux. L’autre, je sais que je vais la donner.» -Frédéric Robert, enseignant au primaire à Montréal 

«Il y a des enfants qui mangent la même chose tous les jours : Un petit plat de macaroni au fromage pris en pain. [...] Il n’y a presque plus de fruits dans les boîtes à lunch. C’est des puddings, ça coûte moins cher. Après c’est le boost de sucre.» -Gabrielle Messier, présidente du syndicat (CSN), qui représente le personnel de soutien pour la région de Trois-Rivières 

«Des enfants qui ont faim, ils vont aller voler, ça arrive dans des écoles. Il y a des boîtes de céréales volées, des frigos ouverts.» -Claudine Dessureault, conseillère aux achats et inventaires du Club des petits déjeuners. 

Fini les micro-ondes

Beaucoup d’écoles ont retiré les micro-ondes depuis la pandémie de COVID-19. Résultat : les élèves qui veulent manger un repas chaud doivent apporter un thermos.  

Selon plusieurs éducatrices, le thermos n’est pas toujours de bonne qualité ou bien utilisé, et certains enfants mangent leur lunch froid.  

Comment faire une boîte à lunch ? 

Plusieurs éducateurs en service de garde doivent expliquer aux parents comment faire un lunch adéquat pour leur enfant, au début de l’année. Entre autres, des écoliers n’ont pas de glace pour conserver la nourriture à la bonne température.  

« Il faut leur dire de mettre des ustensiles, de ne pas mettre la nourriture directement dans le fond de la boîte à lunch », explique Gabrielle Messier, présidente du syndicat (CSN), qui représente le personnel de soutien pour la région de Trois-Rivières.  

... Et la nettoyer 

Certains enfants ont une boîte à lunch tellement sale que les éducateurs doivent aviser les parents.  

« Il a fallu que je dise à un parent de nettoyer la boîte à lunch. Elle était dégueulasse après trois ou quatre ans. Elle était à la veille de marcher toute seule », se rappelle une éducatrice en service de garde de St-Amable. 

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