10 ans de bataille judiciaire pour faire fermer des logements dangereux affichés sur Airbnb
Un propriétaire d’immeubles prenait des réservations même après l’évacuation de locataires par la Ville
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La Ville de Montréal a dû se battre pendant plus de 10 ans afin de réussir à mettre au pas un propriétaire d’immeubles non conformes qui affichait ses logements sur Airbnb.
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C’est un véritable chemin de croix qui est décrit par le juge Louis Charette dans une décision qui donne raison à la Ville contre le propriétaire de deux immeubles dangereux dans le Sud-Ouest.
Le jugement expose que la Ville a multiplié les tentatives pour forcer le propriétaire à faire des travaux essentiels.
Visite des pompiers, inspections répétées, ordres d’évacuation à plusieurs reprises, barricade de logements, accès à l’eau coupé par les cols bleus, tout a été tenté pour forcer la main du propriétaire, sans succès.
- Écoutez l'entrevue de l'inspecteur David Shane au micro de Benoit Dutrizac via QUB radio :
Ce n’est que 10 ans plus tard, en 2022, que la Ville a finalement obtenu une injonction permanente pour contraindre le propriétaire, une compagnie à numéro, à faire les correctifs, selon un jugement.
«L’acharnement [du propriétaire] pour tenter d’éviter les exigences de la Ville depuis 2012 démontre son mépris pour tous les intervenants concernés, y compris les locataires qui logent dans ces Immeubles et pour la loi», affirme le juge Louis Charette, de la Cour supérieure.
La décision rendue en 2022 montre bien le parcours du combattant nécessaire pour mettre au pas des propriétaires d’immeubles délinquants. Même aujourd’hui, il semble que la partie ne soit pas tout à fait gagnée.
Craig Sauvé, conseiller de la Ville dans le Sud-Ouest, souligne que les travaux requis n’ont pas encore commencé. La Ville a selon lui envisagé récemment de s’adresser à la Cour pour réclamer un outrage au tribunal, avant qu’une demande de permis pour les travaux ne soit faite par le propriétaire.
Logements illégaux
Selon le jugement, les deux immeubles ont été illégalement redivisés dans les années 2000. Lors des travaux, des séparations coupe-feu obligatoires ont entre autres été retirées.
Un des immeubles comptait au départ six logements et deux locaux commerciaux, mais le propriétaire y a ajouté quatre logements sans autorisation.
Dans l’autre immeuble, qui avait à l’origine trois logements, trois autres logements ont été ajoutés sans permis.
- Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin diffusé chaque jour en direct 8 h 35 via QUB radio :
Au détriment de la sécurité
Les travaux effectués ont eu pour effet de créer des risques sérieux pour la sécurité des locataires.
«Les escaliers non conformes, les dénivellations des planchers, les revêtements muraux, séparations coupe-feu et portes n’ayant pas le degré de résistance au feu minimal illustrent ces risques», note le juge Charette.
À la fin 2017, après plusieurs démarches infructueuses, le Service d’incendie a inspecté le bâtiment et émis un avis de non-conformité.
En 2018, la Ville a évacué une première fois les locataires des immeubles, une mesure exceptionnelle, selon Craig Sauvé.
Pendant que la Ville tentait de forcer le propriétaire à régler le problème, des appartements ont toutefois été affichés sur Airbnb, et la Ville a dû intervenir à nouveau.
«En avril 2019, une inspection de l’immeuble de la rue Centre [...] permet de constater qu’une famille nouvellement arrivée au Canada occupe un logement [...] loué sur la plateforme d’Airbnb», souligne le juge.
«Quand on a vu ça, on a été estomaqués», relate Craig Sauvé.
Immeuble barricadé
Pour mettre fin à la location sur Airbnb, Montréal a dû barricader un immeuble et même couper l’eau courante, en pleine pandémie, selon le conseiller.
Ce n’était pas la première fois que les immeubles étaient barricadés, mais le propriétaire enlevait auparavant les barricades et continuait tout simplement à opérer. Il changeait aussi les serrures des portes.
Selon Craig Sauvé, la lenteur des démarches s’explique par la réticence de la Ville à retirer des logements pour la location, en pleine crise du logement. «C’est vraiment la dernière chose qu’on veut faire», dit-il, parlant ici d’un cas extrême.
CE QU’A ÉCRIT LE JUGE
«La version des faits d[u] [propriétaire] s’avère truffée de contradictions et de faussetés et digne d’aucune crédibilité.»
«[Le propriétaire] se présente en victime alors qu’il met en péril la sécurité des résidents et voisins.»