/investigations

[PHOTOS] Québec a toléré une garderie insalubre pendant des années

Le ministère de la Famille a pourtant jugé que la santé et la sécurité des enfants y étaient compromises

Vous voyez cet article car vous êtes connecté.

Article réservé aux utilisateurs connectés. Se connecter

Le p'tit monde d'Annanou
Photo Pascal Dugas Bourdon Le propriétaire de la garderie espère rouvrir bientôt dans le même local de Mascouche.

Coup d'oeil sur cet article

Cadavres de coquerelles, excréments de bestioles, enfants négligés ; Québec a toléré pendant des années une garderie de Mascouche insalubre qui croulait sous les plaintes et les reproches.

«Je n’y aurais pas envoyé mon chien tellement c’était sale», témoigne Marie-Belle Charron, une mère de trois enfants qui a visité en janvier 2022 Le p’tit monde d’Annanou, une garderie non subventionnée qui pouvait accueillir 72 enfants.  

De la saleté importante a été constatée partout dans l’établissement.
Photo fournie par le ministère de la Famille
De la saleté importante a été constatée partout dans l’établissement.

Cet établissement a reçu 45 plaintes au ministère de la Famille et a fait l’objet de 52 inspections depuis 2012. Grâce à loi d’accès à l’information, notre Bureau d’enquête a obtenu copie de plusieurs de ces documents, qui ont révélé des situations troublantes.  

Les inspecteurs ont notamment observé une «accumulation de saleté de niveau très élevé», des fourmis mortes sur le plancher, des coquerelles sans vie à plusieurs endroits et des excréments dans un berceau s’apparentant à ceux de rongeurs.

Des coquerelles mortes ont été trouvées à plusieurs endroits dans la garderie.
Photo fournie par le ministère de la Famille
Des coquerelles mortes ont été trouvées à plusieurs endroits dans la garderie.

Des enjeux quant à la santé et à la sécurité des enfants ont aussi été observés.

En 2019, Le p’tit monde d’Anannou a privé un enfant de repas et omis d’isoler un enfant qui avait subi un «accident sérieux».

Le p'tit monde d'Annanou
Photo Pascal Dugas Bourdon

La garderie a été condamnée à payer une amende de quelque 8000 $ en lien avec ces accusations, pour lesquelles elle a reconnu sa culpabilité. 

De plus, en décembre 2020, un enfant aurait été attaché sur une chaise pour l’isoler, a conclu une enquête du Ministère. 

Le p'tit monde d'Annanou
Photo fournie par le ministère de la Famille

Finalement, des enfants ont été laissés sans surveillance à au moins deux reprises à l’été 2022. 

Le ministère tarde à agir

Malgré ces événements, ce n’est qu’en novembre 2022 que le Ministère a conclu que la garderie avait agi de sorte «à compromettre la santé, la sécurité et le bien-être des enfants».

Le p'tit monde d'Annanou
Photo fournie par le ministère de la Famille

Québec a alors signifié son intention de ne pas renouveler le permis du milieu de garde qui venait à échéance, sans pour autant le révoquer.  

En effet, la garderie a pu continuer d’accueillir durant encore trois mois des petits, et ce, en toute légalité. L’établissement n’a fermé ses portes que le 17 février, car le permis était définitivement échu. Le Ministère explique par courriel que «la garderie n’a pas fourni les documents exigibles» pour le renouvellement. 

Le p'tit monde d'Annanou
Photo fournie par le ministère de la Famille

Désolant

«Une garderie comme celle-là, ça ne devrait pas exister au Québec, ni dans quelconque autre société qui se respecte», lance Émilie Tanya Thibaudeau, qui a travaillé durant huit mois comme éducatrice à cet endroit. Elle se désole que Québec n’ait pas été plus proactif pour corriger la situation.  

Le p'tit monde d'Annanou
Photo Pascal Dugas Bourdon

Le Ministère se défend d’avoir négligé la sécurité des enfants qui fréquentaient Le p’tit monde d’Annanou et assure avoir effectué un suivi serré, particulièrement depuis l’automne 2022, indique sa porte-parole Esther Chouinard.

Elle affirme que suspendre ou révoquer un permis est une mesure «extraordinaire». «L’objectif premier» est d’amener la garderie à se conformer à la loi, et ce, «afin de permettre le maintien des places accessibles aux parents», insiste Mme Chouinard.  

Convaincu d’être victime d’une injustice, le propriétaire de la garderie, Anourak Chang, a entrepris des démarches pour rouvrir son service de garde.

DES SITUATIONS PRÉOCCUPANTES

Octobre 2019
Seulement cinq éducatrices étaient présentes pour prendre soin de 66 enfants, alors qu’il en aurait fallu 10. Trois mois plus tard, il n’y avait qu’une seule éducatrice pour 11 enfants dans la pouponnière.

Décembre 2019
La garderie a «privé un enfant d’un repas» et a omis d’isoler un enfant qui avait subi un «accident sérieux». Pour ces manquements, la garderie a écopé d’une amende de 7864 $. 

Décembre 2020
Un enfant aurait été attaché à une chaise pour l’isoler, selon le Ministère.  

Novembre 2021
Une inspectrice constate la présence de «fourmis mortes sur le plancher» de la cuisine, d’un meuble réparé avec de l’adhésif, de médicaments périmés et de produits toxiques qui sont accessibles aux enfants. 

Juin 2022
Une inspectrice remarque une «accumulation de saleté de niveau très élevé», des «cadavres de coquerelles en plusieurs endroits» et «ce qui semble être des excréments de rongeurs», notamment sur le matelas d’un des lits de bébé.

On a vu ce qui semble être des excréments de rongeur, dont sur le matelas d’un poupon.
Photo fournie par le ministère de la Famille
On a vu ce qui semble être des excréments de rongeur, dont sur le matelas d’un poupon.

Le ministère aurait dû agir, dit une employée

Une ex-éducatrice du P’tit monde d’Annanou peine à comprendre comment cette garderie a pu accueillir des enfants durant des années sans que Québec ne mette la clé sous la porte.

«Ça n’a aucun bon sens que ça ait pu rester ouvert aussi longtemps. Je suis soulagée que ce soit enfin fermé», lance Émilie Tanya Thibaudeau, qui a travaillé là d’octobre 2021 à mai 2022.

L’éducatrice qualifiée a été aux premières loges des frasques quasi quotidiennes de cette garderie de Mascouche pendant les quelque huit mois où elle y a travaillé. Elle déplore l’insalubrité qui y régnait et l’« incompétence » du propriétaire et des autres éducatrices, dont aucune n’était qualifiée pendant son passage, selon elle.

«Leur corps était là, mais leur tête était ailleurs, comme sur leur téléphone. J’ai vu ça souvent», assure-t-elle.

Cuisine épouvantable

La malpropreté de la cuisine, où sont préparés les repas des enfants, l’a particulièrement marquée. Une infestation de fourmis y aurait d’ailleurs existé pendant des mois, se souvient-elle. 

«Le frigo était atroce. En ouvrant les portes, ça sentait la mort. Je ne peux pas concevoir qu’on y mettait des commandes de nourritures sans le nettoyer», se rappelle Mme Thibaudeau. 

Repas «abominables»

En général, la qualité des repas était «abominable», juge-t-elle. À un point tel qu’elle dit n’avoir jamais osé manger la nourriture qu’on y servait. C’est sans compter le manque de variété du menu et les choix douteux de collation. 

«Des pâtes, en veux-tu, en v’là. Donner de la tarte au sucre à un enfant de 18 mois qui se réveille d’une sieste, ça n’a aucun bon sens», souligne-t-elle. 

Selon elle, le propriétaire de la garderie, qui « venait faire de petits tours de temps en temps », est à blâmer. « Côté gestion, c’était un gros zéro », regrette-t-elle. 

Mme Thibaudeau a elle-même dénoncé à plusieurs reprises cette garderie au Ministère. 

«Malgré toutes mes plaintes, rien n’a vraiment bougé. Les inspecteurs n’ont jamais pris le temps de s’asseoir avec moi pour savoir ce qui doit être apporté comme changement. Ça aurait dû être fait», se désole-t-elle.

Le propriétaire prêt pour la réouverture 

Le propriétaire du P’tit monde d’Annanou balaie du revers de la main les critiques envers sa garderie et est même déjà en démarche pour la rouvrir. 

«On se bat [pour ravoir un permis]», explique au bout du fil Anourak Chang, propriétaire de l’établissement privé de Mascouche, qui a dû fermer ses portes en février.

Questionné sur les lacunes de son établissement, le propriétaire se défend d’avoir compromis la santé et la sécurité des enfants qu’il accueillait. 

«Je pense que c’est une garderie qui est acceptable. Tu peux faire le tour des garderies et tu vas en avoir des surprises!» plaide-t-il. 

En ce qui a trait à la salubrité des lieux, M. Chang affirme qu’il n’y aurait eu «que deux coquerelles» et que la présence de fourmis est somme toute normale dans une garderie, selon la saison. 

«[L’inspectrice] a trouvé une crotte qui ressemblait à une crotte de rongeur. [...] Je dis pas qu’il n’y en a pas, de rongeurs, [...] mais j’en ai pas pogné», explique-t-il.

M. Chang, qui n’a jamais cru bon d’appeler un exterminateur, assure avoir « appliqué un produit » pour tenter de régler la situation. «On n’est pas assez innocents pour laisser les bibittes en plein où les enfants sont», rassure-t-il. 

Demande de permis

Sur le plan de l’alimentation, le propriétaire reconnaît qu’à une certaine période, la nourriture n’était « pas nécessairement satisfaisante ». La situation se serait améliorée en septembre 2022 dernier avec l’embauche d’un traiteur. 

M. Chang juge par ailleurs «injuste» que le permis de sa garderie n’ait pas été renouvelé. Il attribue sa fermeture à un malentendu bureaucratique avec les fonctionnaires. 

Il a donc déposé le 8 mars dernier une nouvelle demande de permis au Ministère. Ce dernier confirme qu’il analyse actuellement ce dossier, notamment en fonction de «l’historique du demandeur». Au terme de l’analyse, le ministère pourra soit délivrer un nouveau permis, soit signifier un avis de refus.

Vous avez un scoop à nous transmettre?

Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?

Vous avez un scoop qui pourrait intéresser nos lecteurs?

Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.

Commentaires

Vous devez être connecté pour commenter. Se connecter

Bienvenue dans la section commentaires! Notre objectif est de créer un espace pour un discours réfléchi et productif. En publiant un commentaire, vous acceptez de vous conformer aux Conditions d'utilisation.