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Au tour des fonctionnaires du Québec de vivre les ratés du système de paie

Des ratés dans le système informatique pour les rémunérations font craindre un Phénix québécois

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Heures non payées, augmentation salariale ignorée, relevés incompréhensibles, sommes versées en trop: des fonctionnaires québécois éprouvent d’importantes problématiques avec leur paie et blâment le ministère d’Éric Caire pour ce fiasco, qui a des airs de Phénix québécois. 

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«C’est le bordel», résume Martin Perreault, président du syndicat des agents de protection de la faune. 

Une autre tuile s’abat sur le ministère de la Cybersécurité et du Numérique (MCN), qui a déjà très mal paru dans les dernières semaines avec le déploiement catastrophique de la nouvelle plateforme en ligne SAAQclic.

Notre Bureau d’enquête s’est entretenu au cours des dernières semaines avec différents syndicats et employés de la fonction publique, qui ont soulevé plusieurs erreurs sur les paies des travailleurs de l’État. 

Des fonctionnaires sont ainsi payés 35 heures par semaine même s’ils en travaillent 37,5, d’autres se feraient réclamer sans explication des sommes versées en trop et plusieurs seraient dans l’attente de milliers de dollars en rétroactions salariales promises par Québec. 

«On voit ce qui se passe à la SAAQ présentement. On veut faire un virage numérique et on n’est même pas capable d’ajuster les paies des employés!» s’insurge Marc-André Martin, président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec.

Comme pour les fonctionnaires fédéraux

Des travailleurs québécois n’ont pas manqué de faire un parallèle entre leur situation et le système de paie Phénix, qui a engendré un lot de problématiques chez les fonctionnaires fédéraux au cours des dernières années.  

Depuis janvier 2022, c’est le MCN qui traite la rémunération de quelque 80 000 employés de l’État québécois, notamment par l’entremise du système SAGIR. Ce projet informatique, surnommé « ça chire » par des fonctionnaires, a fait les manchettes à de nombreuses reprises pour ses retards, ses ratés et l’explosion des coûts. 

  • Écoutez l'entrevue avec Justin Lawarée, expert en transformation numérique et professeur adjoint à l’École nationale d’administration publique à l’émission de Yasmine Abdelfadel diffusée chaque jour en direct 14 h 15 via QUB radio :

«On commence à l’appeler le bébé Phénix», commente Martin Perreault. 

«Il y a toujours eu des difficultés avec SAGIR. Le système n’est pas capable de traiter les particularités parce qu’il est trop rigide», renchérit Christian Daigle, président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ). 

Les employés qui constatent des erreurs sur leur paie doivent signaler le tout à une adresse courriel rattachée au MCN. Une réponse automatisée les informe alors que leur message sera traité au cours des prochaines semaines.  

«Pour nous, la rémunération du gouvernement, c’est comme un grand trou noir. Tu envoies une demande là et elle se perd dans le néant», image Mathieu Lavoie, président du syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. 

Plus d’employés 

Par courriel, le MCN assure avoir déployé des actions pour corriger le tir, dont l’embauche d’employés. 

Cette mesure aurait déjà permis des améliorations, affirme le ministère, qui fait face à une charge de travail additionnelle à la suite des nouvelles conventions collectives signées au cours des derniers mois entre le gouvernement et plusieurs syndicats. 

Payés 35 heures pour en travailler 37,5

Un relevé de paie d’un ingénieur de l’État montre qu’il est payé 70 heures toutes les deux semaines, même s’il en travaille au moins 75.
Photo fournie par une source
Un relevé de paie d’un ingénieur de l’État montre qu’il est payé 70 heures toutes les deux semaines, même s’il en travaille au moins 75.

Bien qu’ils travaillent au moins 37,5 heures chaque semaine, des ingénieurs de l’État ne sont payés que 35 heures depuis près de quatre mois, Québec étant incapable d’ajuster leur rémunération.

«C’est épouvantable ce qu’il se passe. N’importe quelle compagnie qui se respecte ne fait pas ce genre de choses là», dénonce Marc-André Martin, président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec. 

  • Écoutez l'entrevue avec Christian Daigle, président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec à l’émission de Philippe-Vincent Foisy via QUB radio : 

Depuis le 5 décembre, les ingénieurs de l’État ont augmenté leurs heures de travail à la suite de l’entrée en vigueur de leur nouvelle convention collective. Mais leur rémunération n’a jamais été ajustée en conséquence. Pire : les heures supplémentaires ne sont plus ajoutées à la paie et le salaire horaire – qui devait être augmenté – est demeuré le même. 

«Les gens qui font du 45 ou 50 heures par semaine, ils sont pris à 35 heures encore! Et non seulement ils ne sont pas payés le bon nombre d’heures, mais ils n’ont pas non plus le bon taux! C’est un vrai calvaire», s’insurge M. Martin. 

Neuf pages d’explications 

Mince consolation, les ingénieurs de l’État ont obtenu le paiement des montants forfaitaires rétroactifs promis par l’employeur. Le syndicat est toutefois dans l’incapacité de confirmer si ces sommes sont conformes à ce qui avait été négocié, les relevés de paie étant «incompréhensibles». 

«On est ingénieurs et on est incapables de comprendre notre paie», dénonce M. Martin, qui ajoute que le MCN a produit un document de neuf pages pour aider à comprendre leurs relevés. 

Dans une communication obtenue par notre Bureau d’enquête, le MCN estime pouvoir corriger toutes ces problématiques d’ici août.

 

Véritable cauchemar lors d’un arrêt de travail

Les erreurs de rémunération seraient particulièrement fréquentes chez les fonctionnaires qui se retrouvent en arrêt de travail, ces derniers devant jongler avec la réclamation de sommes versées en trop.

«Si tu impliques la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail] ou un autre organisme gouvernemental, c’est le bordel. On sait déjà généralement que quand un dossier tombe en accident de travail, il va y avoir des erreurs sur la paie», expose Mathieu Lavoie, président du syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. 

Réclamations illogiques

Cette situation résonne aussi chez les agents de protection de la faune, dont les membres ont eu à composer avec des réclamations de sommes «injustifiées ou illogiques» par le passé.

«À un certain moment, ils réclamaient presque 9000 $ à une personne et finalement, c’est l’employeur qui lui en devait 1000», illustre le président du syndicat, Martin Perreault. 

Le MCN assure qu’advenant des irrégularités dans les traitements, les corrections apportées sont faites de manière rétroactive et au cas par cas. 

 

Un homme attend 10 000 $ pour payer sa maison 

Un contrôleur routier qui comptait sur un montant forfaitaire de 10 000 $ se retrouve sans mise de fonds pour procéder à l’achat de sa nouvelle maison, Québec accusant du retard dans ses versements de sommes rétroactives.

«Ça faisait partie de ma mise de fonds, de mon déménagement et de ma taxe de bienvenue. Et sans ce montant-là, je me retrouve dans le trouble», confie ce fonctionnaire, qui a réclamé l’anonymat puisqu’il n’est pas autorisé à s’adresser aux médias. 

À la fin du mois de novembre, la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec officialisait une nouvelle entente collective, dans laquelle Québec s’engageait à payer des sommes rétroactives aux syndiqués.

«C’était garanti, c’était payé au plus tard le 23 février», expose le contrôleur routier, qui ajoute que des ajustements salariaux étaient aussi au menu de cette convention. 

Aidé par des proches

Ayant la garantie qu’il recevrait «entre 8000 et 10 000 $», le travailleur a procédé à l’achat d’une résidence, en décembre dernier. Mais l’argent n’est jamais rentré.

L’homme a dû faire appel à ses proches pour compléter sa mise de fonds.

«J’ai été capable de m’organiser pour ça, mais si la rétroaction n’est pas payée d’ici mon déménagement, il va falloir que je contracte un peu de crédit», déplore-t-il. 

La Fraternité des constables du contrôle routier du Québec a écrit au ministre Éric Caire ainsi qu’à la présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel pour dénoncer cette situation. 

«J’espère que mes membres ne vont pas vivre une version made in Québec du système Phénix qui a eu des impacts très négatifs sur les employés du gouvernement fédéral», peut-on lire dans cette missive rédigée par le président du syndicat, Jean-Claude Daignault. 

Le MCN assure que le dossier sera réglé «dans les prochaines semaines».

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