La montée de la haine envers les drag queens inquiète les experts
L’activité d’une drag queen a été ciblée par des manifestants
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Des experts s’inquiètent d’une montée de la haine contre les drag queens au Québec, pendant que des activités tenues par une de ces artistes doivent se dérouler sous surveillance policière.
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«Les drag queens n’ont pas leur place dans nos écoles. Leur place est dans les établissements 18 ans et +! Opposons-nous», peut-on lire sur une affiche qui circule abondamment sur les médias sociaux depuis quelques semaines.
On y invite les gens à participer à une manifestation le 2 avril devant une bibliothèque de la ville de Sainte-Catherine, où se tient une heure du conte destiné aux enfants par la drag queen Barbada.
La manifestation est promue par le complotiste François Amalega Bitondo, qui s’était fait connaître pendant la pandémie pour son opposition aux mesures sanitaires.
«On voit de plus en plus de discours haineux [envers les drag queens au Québec], communiqués directement dans les médias sociaux», s’inquiète Pascal Vaillancourt, directeur général de l’organisme Interligne.
Son constat est partagé par David Myles, directeur du Laboratoire de recherche sur les cultures LGBTQ+, de l’INRS.
Quelques personnes incluant M. Amalega Bitondo ont d’ailleurs perturbé dimanche dernier une heure du conte de Barbada dans une bibliothèque de Westmount. Des images circulant sur les médias sociaux montrent que des agents de la police de Montréal ont dû intervenir.
Les élus de l’arrondissement Saint-Laurent avaient décidé en juillet 2022 d’annuler un conte de Barbada craignant les sujets qui y seraient abordés.
Un mois plus tard, l'administration s'était ravisée et avait décidé de réintégrer l'artiste dans sa programmation d'automne.
Écoutez la rencontre Dutrizac – Dumont diffusée chaque jour en direct 7 h via QUB radio :
«Choqués» par la tenue du rassemblement de Sainte-Catherine, des membres de la communauté LGTBQ+ ont décidé d’organiser une contre-manifestation.
L’organisateur Jules Lessard, soutient que des artistes drag et des personnes trans qui se sentent heurtées comptent y prendre part.
«Toute discussion contre les drag queens, c’est un peu une attaque contre la communauté LGBTQ en général, soutient-il. [...] Ça n’a pas sa place au Québec.»
Contactée par Le Journal, la Ville de Sainte-Catherine a indiqué que l’activité se déroulera sous surveillance policière, en réaction à la manifestation prévue.
«Nous trouvons dommage que certaines personnes souhaitent troubler l’événement [...]. Nous demandons ainsi aux gens de respecter le choix des parents», a déclaré la directrice des communications, Amélie Hudon.
«Nous pensons que cette activité permettra aux enfants d’en apprendre plus sur la tolérance, la diversité et l'acceptation de toutes les personnes», a-t-elle ajouté.
L’artiste Barbada a préféré décliner notre demande d’entrevue.
- Écoutez l'entrevue de Richard Martineau avec Alex Verville alias Jessie Précieuse sur QUB radio :
Des chiffres préoccupants
- Au moins 141 cas de menaces ou de manifestations contre des «événements drag» sont survenus en 2022 aux États-Unis selon GLAAD, une association de défense des droits LGBTQ+.
- GLAAD a également noté un discours et des incidents « de plus en plus violents » à mesure que l’année 2022 s’écoulait.
- Si une majorité (58 %) d’Américains s’opposent aux lois restreignant les performances de drag queens, 39 % disent être en faveur, selon un récent sondage.
- Chez nous, Statistique Canada a noté une hausse de 64 % du nombre de crimes haineux visant l’orientation sexuelle rapportés entre 2019 et 2021 à travers le pays.
Un enjeu de société pour la droite américaine
La montée de la haine contre les drag queens au Québec coïncide avec le guerre que la droite conservatrice américaine mène contre ces artistes avec des lois dans plusieurs États.
Chez nos voisins du sud, le débat sur la visibilité des drag queens fait rage depuis quelque temps.
Le Tennessee est devenu en début mars le premier État à légiférer contre ces artistes en bannissant leurs performances dans les lieux publics et tout endroit où elles pourraient être vues par des enfants.
Plus d’une dizaine d’autres États contrôlés par des républicains, dont le Kansas et le Texas, ont proposé des lois similaires, que ses supporters croient nécessaires pour limiter l’accès aux enfants à du divertissement qu’ils estiment inapproprié.
Il s’agit de lois «hyper homophobes et transphobes pour faire en sorte que les drag queens ne soient pas en contact avec des enfants», dénonce Pascal Vaillancourt, directeur général de l’organisme Interligne.
La montée de l’intolérance contre ces artistes qu’il observe au Québec (voir texte ci-contre) pourrait être inspirée du sud de la frontière, selon lui.
Rupaul et Madonna ripostent
Cette guerre contre les drag queens a semé la controverse dans les dernières semaines, alors que des artistes comme Madonna ont pris la parole pour défendre ces artistes.
Rupaul, producteur de la populaire compétition télévisée de drag queens qui porte son nom, a appelé ses fans à voter aux prochaines élections pour déloger les élus derrière ces lois.
David Myles, directeur du Laboratoire de recherche sur les cultures LGBTQ+ de l’INRS, croit également que ce nous vivons ici est influencé par ce débat américain.
«Le mouvement qui vient des États-Unis est une montée de la droite qui utilise tous les moyens du bord pour essayer de limiter les droits des personnes LGBQ+», fait-il valoir.
Un «backlash»
M. Myles argue également que ce phénomène est une réponse à une nouvelle popularité dont bénéficient les drag queens.
«[Elles] sont de plus de plus en plus visibles, entre autres parce que ces personnes-là utilisent les médias sociaux. [...] C’est vraiment parce qu’il y a une nouvelle visibilité, donc c’est un peu un backlash.»
«Je trouve que ça témoigne d’une mauvaise compréhension du développement psychosocial des enfants. On sait que les enfants, dès la maternelle et même avant, se posent déjà des questions sur leur sexualité», conclut le professeur.