Où s’en va Hydro-Québec?: voici les questions à se poser sur l'avenir de la société d'État
Pannes de plus en plus nombreuses, errances dans les prévisions des besoins en électricité, flou entourant ses priorités, son indépendance et son prochain PDG. Les questions ne manquent pas sur l’avenir d’Hydro-Québec.
Pourquoi va-t-on manquer d’électricité d’ici 2050 ?
La « décarbonation » est sur toutes les lèvres. Québec s’est donné des objectifs ambitieux – décarboner les usages énergétiques actuels de la province pour être carboneutre à l’horizon 2050. Pour ça, Hydro-Québec estime avoir besoin de plus de 100 térawattheures (TWh) additionnels d’électricité d’ici là. C’est plus de la moitié de sa capacité de production annuelle. Une autre étude chiffrait les besoins à 137 TWh d’ici 2050. Quoi qu’il en soit, on est loin des « surplus » de 40 TWh dont on parlait encore en 2021... La conversion des bâtiments à l’électricité, l’électrification des transports, l’énorme demande des entreprises et les contrats d’exportation d’électricité au sud de la frontière expliquent le manque à gagner. La demande en électricité des industries diminuait depuis 20 ans, mais aujourd’hui Hydro-Québec est submergée. En janvier, on apprenait que des entreprises, notamment dans les secteurs des batteries et de l’hydrogène vert, avaient déjà transmis à Hydro-Québec des demandes d’alimentation totalisant 23 000 mégawatts, soit l’équivalent de construire 13 complexes comme celui de la rivière Romaine. Sur ce total, 10 000 MWh sont pour des projets « sérieux » et sont considérés par le gouvernement.
Vaut-il mieux construire de nouveaux barrages ou opter pour d’autres solutions énergétiques ?
Aucun projet de nouvelle centrale n’est encore confirmé, mais Hydro-Québec étudie en ce moment le potentiel hydroélectrique de la rivière du Petit Mécatina, sur la Côte-Nord. Mais outre l’ajout de nouvelles centrales ou barrages – qui pourraient prendre 10 à 15 ans à construire –, Hydro a d’autres options. L’éolien, entre autres. Hydro a récemment retenu six projets de parc éolien dans différentes régions du Québec, pour près de 1150 MW de puissance installée, et a lancé un nouvel appel d’offres visant 1500 MW d’énergie éolienne. L’objectif est de doubler d’ici 2030 la capacité éolienne au Québec. Aussi, réparer et moderniser les 62 centrales hydrauliques existantes, dont la moitié ont plus de 50 ans, permettra d’aller chercher des mégawatts supplémentaires sans avoir à toucher à de nouvelles rivières. Trois centrales sont d’ailleurs déjà en cours de réfection, mais ça va coûter cher : 5 milliards $ annuellement, selon la société d’État. Enfin, Hydro mise sur l’efficacité énergétique en invitant les Québécois à la « sobriété » et à diminuer leur consommation d’énergie.
Est-ce qu’Hydro-Québec devrait exporter moins d’électricité?
Au même moment où le ministre Pierre Fitzgibbon invite les citoyens à la « sobriété énergétique », deux énormes contrats d’exportation vers les États-Unis feront en sorte d’envoyer bientôt quelque 20 TWh d’électricité dans le nord-est américain pendant 20 et 25 ans. La garantie d’obtenir des revenus de plusieurs milliards de dollars est certes bienvenue, mais le timing laisse songeur. Le projet de fournir de l’électricité à la Ville de New York va bon train et les travaux ont déjà débuté. Mais celui du Massachusetts, dans lequel Hydro-Québec s’est engagée à fournir 9,4 milliards de kilowattheures par année pendant 20 ans, est embourbé dans des batailles juridiques. La société d’État devrait-elle en profiter pour revoir cette entente, au lieu de continuer à dépenser des millions en frais juridiques pour se battre contre les opposants au projet, notamment les groupes environnementaux ? C’est une question à laquelle le prochain grand patron devra réfléchir.
Faudra-t-il imposer la sobriété énergétique aux Québécois ?
Démarrer son lave-vaisselle la nuit, baisser le chauffage à la maison, voilà des idées que suggérait le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en décembre, alors qu’il annonçait le dépôt d’un projet de loi en ce sens au cours de l’année 2023. Le ministre penche notamment vers la tarification dynamique, où l’électricité coûtera plus cher en périodes de pointe. Hydro-Québec souhaite aussi convaincre le plus de Québécois possible d’adhérer à son programme Hilo d’appareils intelligents. Le but : économiser plus de 8 TWh d’ici 2029, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de la taille de Québec. Des voix discordantes commencent toutefois à se faire entendre face à l’impératif de décarbonation et à la « sobriété énergétique ». Le professeur Daniel Gill, entre autres, publiait une lettre dans La Presse, le 11 avril dernier, où il soulignait que le Québec s’apprête à décarboner à coups de milliards « pour des résultats, avouons-le, pratiquement nuls à l’échelle mondiale, alors que nos besoins en santé, en éducation et en logement sont énormes ».
Pourquoi les pannes sont-elles aussi fréquentes et nombreuses ?
Le plus récent épisode de verglas nous a montré la faiblesse du réseau électrique, et la lenteur à rebrancher rapidement les usagers. Pénurie de monteurs de lignes (notamment à Montréal), difficulté à trouver des sous-traitants pour exécuter des travaux, déficit d’investissement dans le contrôle de la végétation pendant plusieurs années, installations désuètes... Pas surprenant que la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, ait révélé en décembre que la durée moyenne des pannes avait augmenté de 63 % entre 2012 et 2021. Et ce, même en excluant les événements météorologiques majeurs. Certains experts, comme le professeur Normand Mousseau, estiment que la société d’État devrait penser à enfouir les lignes électriques aériennes à certains endroits névralgiques. Tout un chantier attend Hydro et son prochain PDG, qui devront rattraper des années de retard d’entretien des infrastructures.
Quelle est la vraie stratégie ?
Au fil des ans, plusieurs déclarations ont laissé songeur, et témoignent d’une absence de consensus sur la vision et la stratégie à long terme de la plus importante société d’État.
« [ ...] il faut changer les habitudes. Peut-être laver la vaisselle, bon, on la fera à minuit »
–Pierre Fitzgibbon
« Le Québec est à une place où on peut choisir, pas être le magasin à une piastre de l’électricité dans le monde »
– Sophie Brochu
« Si les gens commencent à autoproduire avec du solaire, ils consommeront moins [...] c’est ça, la spirale meurtrière »
– Éric Martel