Appelez le gouvernement si vous parlez le Cobol
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La perte de l’expertise à l’interne du langage Cobol est vraisemblablement la principale raison expliquant les problèmes de payes que vivent les employés du gouvernement du Québec et rien n’est toujours fait pour enrayer le problème.
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La semaine dernière Le Journal a évoqué les nombreux cafouillages du système de paye du gouvernement du Québec.
Quelques jours plus tard, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique Éric Caire ciblait le langage Cobol comme la source de ces ratés.
« Chaque fois qu’on fait des changements, qu’on signe de nouvelles conventions collectives, les dispositions, on doit les appliquer. Mais pour les appliquer, on doit modifier le code. Mais pour modifier le code, ça nous prend des programmeurs Cobol. Il ne s’en forme plus dans nos écoles. C’est une ressource qui est extrêmement rare », avait-il indiqué.
À l’abandon
Si le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) reconnaît que le Cobol n’est plus enseigné, il pointe davantage la perte d’expertise à l’interne comme principale source du problème. Un phénomène déjà bien entamé avant l’arrivée au pouvoir de la CAQ.
« L’expertise en Cobol est très rare maintenant chez nos professionnels. Il y a eu un moment où on remplaçait un départ à la retraite sur deux, on n’a pas fait nécessairement de mentorat, de transfert d’expertise envers les personnes qui entraient », estime Olivier Parent, analyste au gouvernement et secrétaire du SPGQ.
Pourtant, à une certaine époque, le maintien de cette expertise était important.
« Au début des années 2000, des formations se donnaient en soutien technique pour la plateforme centrale par les personnes les plus anciennes. Ç’a été un peu abandonné, l’expertise se perd de plus en plus », explique pour sa part Martin Trudel, aussi analyste et troisième vice-président du SPGQ.
Impartition impossible
« À une certaine époque, j’ai eu des discussions avec des gestionnaires qui voyaient le problème de l’expertise venir. La solution a été de donner cela en sous-traitance. Mais les sous-traitants me répondaient qu’ils n’avaient plus l’expertise pour fournir le service parce qu’ils n’avaient plus assez de demandes », souligne M. Parent.
Et même si le gouvernement accélère le remplacement du système, le langage Cobol devra continuer à être utilisé pour un certain temps.
Les problèmes d’implantation des systèmes SAGIR et à la SAAQ rappellent cruellement que les objectifs poursuivis ne sont pas nécessairement rapidement atteints en matière informatique au gouvernement du Québec.
« Le délaissement de ces plateformes ne peut pas se faire en un an, on parle de plusieurs années, soutient M. Parent. À Revenu Québec il y a 10 ans on parlait déjà de délaisser le central. Mais plusieurs systèmes fonctionnent encore sur cette plateforme. »
« Je pense que si on faisait des équipes mobiles qui travaillent sur deux ou trois langages en même temps, par exemple deux ou trois jours par semaine sur le Cobol, on aurait peut-être la chance d’intéresser des gens », croit Olivier Parent.
Lui et Martin Trudel estiment aussi que l’instauration d’une prime pour la maîtrise du Cobol est une avenue qui pourrait être envisagée.
Pas assez élégant
Si le langage Cobol n’est plus enseigné dans les écoles, ce n’est pas nécessairement qu’il est dépassé techniquement, mais surtout parce qu’il n’est pas sexy.
« Ce n’est pas un langage qui est très graphique. Ceux qui apprennent aujourd’hui la programmation vont être plus sur du Java, du DotNet, qui sont plus graphiques, plus séducteurs », avance M. Parent.
« On voit ça dans les films [le Cobol], avec l’écran noir, l’écriture verte, renchérit Martin Trudel. En 2000 j’ai fait partie de la dernière cohorte ayant appris le Cobol au Cégep de Rouyn-Noranda. Je crois que ça fait près de 10 ans qu’aucun cégep ne l’enseigne. »
Solide
Et pourtant, le Cobol est reconnu pour sa stabilité et son efficacité.
« Les banques, les gouvernements fonctionnent encore avec ça. Ce sont souvent les systèmes névralgiques qui sont branchés là-dessus. Mais ils sont difficilement adaptables aux nouvelles technologies parce qu’ils demandent énormément de transactions [suite d’opérations]. Les ordinateurs de maintenant ont de la difficulté à atteindre le niveau de performance de ces ordinateurs du passé », dit M. Trudel.
« Ces systèmes sont dits fermés, précise M. Parent. Ils ne sont pas ouverts à l’infonuagique ni à l’internet. Ils sont très stables et beaucoup plus sécuritaires que certaines technologies de maintenant. »
En raison de la demande, IBM continue à offrir du soutien pour les systèmes fonctionnant en Cobol parce qu’il y a encore de la demande. Par contre, il n’y a pas de solution de rechange à cette entreprise. « On est dépendant de ce fournisseur depuis des années », souligne Martin Trudel.
Un précédent
En novembre dernier Le Journal évoquait déjà les problèmes rencontrés par les membres du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ).
Ceux-ci devaient faire face à d’importants délais pour faire les ajustements aux payes à la suite de plus de deux ans de négociations de la convention collective.
« Je n’ai eu aucune explication sur les raisons. Des gens qu’on connaît nous disent qu’il y aurait des problèmes de programmation, que la machine est rigide, que c’est difficile de modifier les choses. Le problème de manque d’effectifs en informatique doit aussi être présent au Conseil du trésor », avait alors expliqué Christian Daigle, président du SFPQ.
Les ingénieurs ont testé la machine !
À cette époque, Le Journal s’était aussi informé sur l’expérience vécue par les ingénieurs du gouvernement.
« Il y a quatre ans, les représentants de tous les syndicats ont été rencontrés [par le gouvernement]. Ils nous ont dit qu’ils voulaient changer le système de paye », disait alors Marc-André Martin, président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ).
« On nous a expliqué que c’était un système de paye archaïque utilisant une programmation des années 1960 que plus personne n’utilise, que c’était super compliqué de changer une virgule dans ce système. Ils voulaient rouler un nouveau système en parallèle. Mais ça avait comme avantage que ça ne se fait pas pirater parce que plus personne ne parle ce langage », ironise M. Martin.
Ce dernier avait évoqué les craintes de vivre les problèmes de Phénix, le système de paye du fédéral qui cafouille toujours depuis sa mise en place en 2016.
L’APIGQ avait d’ailleurs mis le système de paye à l’épreuve.
« En 2017, nous avions fait une grève de 41 minutes pour tester la machine. Ils n’ont pas été capables de l’enlever sur nos payes. Cette année [en 2022] quand nous avons fait la grève, nous sommes revenus au travail 30 minutes avant la Saint-Jean. Ils nous ont dit qu’ils n’étaient pas capables de payer cela et nous ont demandé de mettre ça en crédit d’horaire. Les ministères ont été obligés de donner des crédits de congés parce qu’ils n’étaient pas capables d’ajuster les payes », avait lancé Marc-André Martin.
Un informaticien d’expérience au gouvernement du Québec, qui a requis l’anonymat, nuance les propos émis par le gouvernement devant les représentants syndicaux au sujet du Cobol.
« Ce n’est pas archaïque. Ça fonctionne très bien. Ça peut effectuer simultanément des millions d’opérations sans baisse de performance. Les banques l’utilisent encore », plaide-t-il.
—Avec la collaboration de Nicolas Lachance
Qu’est-ce que le Cobol ?
- Langage informatique créé en 1959
- Créé à la demande de l’armée américaine pour procurer un langage commun aux entreprises et aux gestionnaires
- Reconnu pour son efficacité et sa stabilité
- N’est plus enseigné dans les institutions scolaires
- Toujours utilisé dans des infrastructures critiques dans le monde
- La pénurie de spécialistes du Cobol était si criante dans des organisations gouvernementales des États-Unis que IBM a créé une formation gratuite en ligne en 2020