«La SAAQ est toujours là pour me faire des jambettes!»: cette accidentée de la route vit un cauchemar bureaucratique
Marie-Noëlle Leblond témoigne pour que les accidentés de la route soient mieux accompagnés par la SAAQ
Une femme des Laurentides est prise dans une situation digne de la maison des fous à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) depuis plus d’un an afin d’obtenir les remboursements auxquels elle dit avoir pourtant droit.
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«Au lieu de m’avoir accompagnée, on dirait que la SAAQ est toujours là pour me faire des jambettes!» s’insurge Marie-Noëlle Leblond. La femme de 40 ans a été victime d’un face-à-face d’une violence inouïe à Mirabel le 9 avril 2022 avec un homme qui avait dévié de sa voie parce qu’il s’était endormi au volant.
Traumatisme crânien léger, six côtes fracturées, déchirement de l’aorte, perforation de l’intestin et multiples lacérations au foie et au diaphragme: ses blessures l’ont laissée 4 jours dans le coma.
«On m’a dit que j’avais été très chanceuse d’avoir survécu», souffle la conseillère d’orientation au Centre de services scolaire de la Rivière du Nord.
Rencontrée chez elle à Saint-Colomban dans les Laurentides, elle nous accueille un an plus tard en marchant avec sa canne, qui a remplacé ses béquilles, sa marchette et son fauteuil roulant au fil des mois. Chez elle, où elle est retournée vivre depuis septembre 2022 après des mois à l’hôpital et en centre de réadaptation, un lit électrique dans lequel elle doit dormir pour limiter ses douleurs est installé dans son salon.
- Écoutez l'entrevue de Mélanie Patenaude, directrice générale de l’Association pour les droits des accidentés à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
«Je ne veux pas faire pitié, mais je veux envoyer le message qu’il faut que ça change à la SAAQ», soutient-elle.
Le «cauchemar» bureaucratique de Mme Leblond a commencé dès le lit de l’hôpital.
Alors qu’elle a peine à comprendre ce qui lui arrive pendant ses semaines de «déliriums» aux soins intensifs, sa mère prend contact avec la SAAQ. Elle apprend que sa fille n’a pas droit à l’indemnité qui couvre 90% du salaire, puisqu’elle était en arrêt de travail le jour de l’accident.
Mme Leblond, qui peine à organiser ses pensées, est alors forcée d’intervenir et de prendre le téléphone pour aider sa mère «paniquée». «On [la SAAQ] a dit à mes parents qu’ils n’étaient pas là pour avoir de l’empathie et qu’ils étaient une compagnie d’assurance. Ça ne faisait pas longtemps que ma mère avait failli perdre sa fille», se désole Mme Leblond.
À ce jour, la victime reçoit seulement 66% de son salaire, soit ce qu’elle recevait au moment de l’accident puisqu’elle était en arrêt de travail. Or, elle conteste cette décision, puisqu’elle affirme qu’elle était sur le point de recevoir son feu vert du médecin pour retourner au travail au moment du drame.
Un traitement dentaire non remboursable
Au Québec, tous les citoyens sont assurés avec la SAAQ, qui prétend couvrir de nombreuses dépenses que doivent faire les accidentés, comme des traitements de physiothérapie, des prothèses, de l’aide à domicile ou toutes autres dépenses liées aux séquelles de l’accident. En réalité toutefois, les accidentés doivent assumer une partie importante des frais et essuyer des refus de remboursement de la SAAQ, même s’ils croient y avoir droit.
C’est ce qu’a rapidement constaté Mme Leblond en voulant faire rembourser le traitement d’orthodontie de 8400$ qu’elle a dû subir après son accident.
«La chirurgienne maxillo-faciale m’a dit que mon occlusion avait été affectée. Je ne pouvais plus croquer dans des pâtes alimentaires. Il n’y avait plus de contact qui se faisait entre mes dents. Je ne pouvais pas rester comme ça. C’était inconcevable !» s’insurge-t-elle.
La SAAQ a refusé de rembourser un seul dollar du traitement, en prétextant que l’accident n’avait pas de lien avec l’état de sa dentition.
Mme Leblond a fourni des photos d’elle avant l’accident, notamment de l’époque où avait subi un premier traitement d’orthodontie, à 16 ans. Elle a également recueilli plus de 200 signatures dans une pétition adressée à la SAAQ attestant que sa dentition était normale avant l’accident, en vain.
Mme Leblond, qui vit seule avec 66% de son salaire, doit donc compter sur l’aide financière de ses parents qui ont décidé de payer son traitement d’orthodontie.
Pas d’argent pour les cadeaux de Noël
Mais son combat avec la SAAQ est loin de s’arrêter là, puisque d’autres demandes pour dépenses qu’elle a dû faire en lien avec sa réadaptation lui sont refusées. À l’été 2022, alors qu’elle vit dans un centre de réadaptation, l’établissement subit un bris de service en raison du manque de personnel.
Privée de ses traitements de physiothérapie à un moment crucial dans son cheminement, Mme Leblond fait appel à un physiothérapeute au privé. C’est seulement à la suite d’une plainte de Mme Leblond au CISSS des Laurentides que la SAAQ lui rembourse 880$ de ces frais de physiothérapie.
Or, le 12 décembre, l’accidentée reçoit une bien mauvaise surprise. Dans une volte-face, la SAAQ lui adresse une lettre lui réclamant «880$ versés en trop» pour des frais de physiothérapie «pas autorisés».
«J’étais découragée, relate Mme Leblond. Je ne suis pas un plancher inondé ou une auto brisée. Je suis un être humain! Je n’ai pas fait de cadeaux de Noël. J’ai dit à tout le monde je m’excuse, mais je dois rembourser 880$»
Exaspérée d’essuyer des refus de la SAAQ et de perdre de l’argent, Mme Leblond s’est résolue à contacter une avocate afin de contester chacune des décisions devant le tribunal administratif du Québec au cours des prochaines semaines.
«Ce n’est pas dans mes valeurs de justice de me laisser marcher sur les pieds», soutient l’accidentée, qui conteste même «par principe» un refus de réclamation pour une talonnette achetée à 11$ dans une pharmacie.
Un dollar sur trois remboursé
Selon son avocate, Me Sophie Mongeon, sa cliente a réclamé 15 900$ à la SAAQ pour diverses dépenses liées à sa réadaptation. La Société d’État a décidé de lui en rembourser seulement 5300$ (voir tableau de ses dépenses).
Marie-Noëlle Leblond dénonce également le manque d’aide et de soutien que des agents de la SAAQ.
«C’est par un groupe Facebook que j’ai su que j’avais droit au déneigement [de mon entrée]. L’agente au téléphone, elle le sait que je suis en béquille, et on ne me l’a jamais proposé». Elle affirme également qu’elle a découvert par ses propres moyens que la SAAQ remboursait en partie l’aide à domicile.
«Autrefois, dans les centres hospitaliers, il y avait des gens travaillant pour la SAAQ qui vous informaient de vos droits. Maintenant, ce n’est plus le cas. Ça s’est perdu, déplore Me Mongeon. Ne me faites pas croire que vous ne pouvez pas mettre sur pied une équipe plus dédiée qui va aider ces gens-là et prendre en charge la famille. C’est un organisme public auquel tout le monde cotise.»
Liste de dépenses de Mme Leblond remboursées et refusées par la SAAQ qu’elle ira contester
Accessoires de lit médical, comme des draps et des coussins
- Montant: 673,61$
- Décision de la SAAQ: Aucun remboursement, car la nécessité médicale n’est pas démontrée
Frais pour obtenir son rapport médical et le rapport de police
- Montant: 167,20$
- Décision de la SAAQ: Aucun remboursement, car ce n’est pas couvert
Frais pour 5 séances de physiothérapie
- Montant: 515$
- Décision de la SAAQ: Remboursement de 291$
Premiers frais pour le traitement d’orthodontie
- Montant: 4468$
- Décision de la SAAQ: Aucun remboursement, car la nécessité n’est pas démontrée et qu’il existe des traitements moins chers ailleurs