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Féminicide: brûlée vive, sa mort a transformé l’Espagne

Son ex-mari l’a tuée en la brûlant vive devant leur domicile, en banlieue de Grenade

Francisco Javier Orantes
Francisco Javier Orantes se trouve dans le parc nommé en mémoire de sa mère, Ana Orantes, à Grenade. Photo Erika Aubin


MADRID, Espagne | «Ma mère a touché l’Espagne, car elle a raconté quelque chose qui ne se racontait pas. À l’époque, la violence conjugale était un tabou qui ne devait pas sortir de la maison.»  

En quelques mots, Francisco Javier Orantes illustre pourquoi l’assassinat de sa mère par son père a été l’électrochoc dont avait besoin le pays pour s’attaquer au fléau de la violence conjugale.

Ana Orantes est largement connue comme étant la femme qui a lancé le dialogue en Espagne sur la violence conjugale, au coût de sa propre vie. La mère de famille avait témoigné à la télévision pour raconter les abus physiques et psychologiques de son ex-mari.    

Celui-ci l’a tuée treize jours plus tard, le 17 décembre 1997, en la brûlant vive devant leur domicile, en banlieue de Grenade. Cela avait provoqué la colère et des manifestations dans tout le pays.    

« Beaucoup de femmes se sont reconnues dans son témoignage », estime Francisco, benjamin d’une fratrie de 11 enfants.    

Vingt-cinq ans après le meurtre de sa mère, Le Journal l’a rencontré dans un parc de Grenade, au sud de l’Espagne, qui a été renommé en sa mémoire. Une promenade traverse le sol aride du parc, d’où on peut observer au loin les sommets enneigés des montagnes de la Sierra Nevada. 

Famille isolée 

Pour son fils aujourd’hui âgé de 44 ans, Ana était une femme forte qui a toujours su « remplir le vide » laissé par son père, José Parejo Avivar, dans la maisonnée. « Elle était un amour, dit-il doucement. Elle s’assurait que tous nos besoins étaient comblés. Elle savait parfaitement si on avait un problème à l’école. Lui, il ne savait même pas quel cours on avait. »   

Pendant son enfance, sa famille a déménagé à plusieurs reprises quand il commençait à y avoir trop de voisins dans le quartier. Son père voulait constamment isoler davantage sa famille, illustre-t-il.   

Francisco Javier Orantes
Francisco Javier Orantes est assis sur un banc au parc Ana Orantes, à Grenade, en Espagne. Erika Aubin / JdeM

Son père était violent physiquement et psychologiquement avec sa femme, mais aussi avec ses enfants. « On étudiait le soir avec la porte fermée et une couverture sous la porte pour cacher la lumière, sinon il nous battait », confie-t-il.    

Ana Orantes avait demandé le divorce et dénoncé son mari à plusieurs reprises, mais en vain. Francisco Javier Orantes se souvient d’un moment où il était assis dans le bureau du juge : « Quand il a refusé le divorce, je regardais par la fenêtre. J’aurais voulu m’y jeter plutôt que de retourner vivre à la maison avec lui. »      

Nouvelle vie

Après plusieurs tentatives, elle a finalement obtenu le divorce en 1996, mais le magistrat lui a ordonné d’habiter le même immeuble que son ex-mari, dans la commune de Cúllar Vega. Elle vivait dans l’appartement du haut avec deux de ses enfants encore à la maison, tandis qu’il occupait celui en bas.   

« Il avait convaincu le juge qu’il n’allait rien faire, mais cette période a été un cauchemar, décrit Francisco Javier Orantes, qui avait 19 ans et vivait avec sa mère. Il faisait tout pour déranger : mettre la musique forte le soir, frapper dans le plafond, lancer des œufs à la fenêtre. »

Francisco Javier Orantes
Ana Orantes lors de son entrevue le 4 décembre 1997 à la chaîne Canal Sur Televisión. Photo capture d'écran de la chaine Youtube Memoranda

Malgré cela, Ana Orantes a pu commencer à « réellement vivre » à partir de ce moment, estime son fils. Elle pouvait désormais voir ses enfants, fréquenter ses amis, aller chez le coiffeur et à la montagne. C’est ce qui lui avait d’ailleurs donné envie de partager son histoire publiquement.   

« Elle a bien vu tout ce qu’elle avait perdu. Elle savait que plein de femmes étaient encore dans cette situation et elle voulait les aider à ouvrir les yeux, pour qu’elles cessent de souffrir », explique Francisco Javier Orantes, qui a fait changer son nom de famille pour retirer celui du meurtrier.   

Même s’il savait que de livrer un témoignage à la télévision à heure de grande écoute pouvait être dangereux pour sa mère, il l’a toujours soutenue. « C’était sa décision », dit-il.   

Le 4 décembre 1997, elle a accordé la longue entrevue dans laquelle elle a décrit « l’enfer » vécu auprès de son ex-mari pendant leurs 40 années de mariage. « Il me jetait parfois sur une chaise et il me frappait avec un bâton. [...] Tout ce qu’il voulait était de me prendre par les cheveux et de me cogner contre le mur », a-t-elle notamment raconté en espagnol. 

Pressentiments 

Treize jours plus tard, la femme âgée de 60 ans s’est réveillée « angoissée et triste », se rappelle son fils. Elle revenait de faire des courses en après-midi quand son ex-mari l’a attaqué en pleine rue. Il l’a aspergé d’essence avant de mettre en feu son corps.   

José Parejo Avivar s’est rendu à la police le jour même. Au terme d’un procès, il a été condamné à 17 ans d’emprisonnement. Il est décédé quelques années plus tard d’un infarctus en prison.   

Francisco Javier Orantes, aujourd’hui marié et père de deux enfants, raconte avec un ton calme son histoire. Malgré le sentiment de tristesse qu’il le hantera pour toujours, il ressent aussi une grande fierté en pensant à sa défunte mère.  

« Quand j’entends que les lois deviennent plus strictes et que je pense au fait que ma mère a fait quelque chose pour changer ça, je ressens de l’admiration », dit-il en félicitant aussi les femmes qui osent prendre la parole pour dénoncer.  

« Toute sa vie, il [son père] a voulu rendre ma mère invisible en la faisant déménager d’une maison à une autre et quand il ne la laissait pas sortir. Elle a réussi à faire tout le contraire, car maintenant tous les gens connaissent son nom et son histoire », laisse tomber Francisco Javier Orantes. 

Des espaces publics pour Ana Orantes 

Diverses municipalités espagnoles ont renommé rues, places publiques, parcs et ronds-points pour rendre hommage à Ana Orantes. Voici quelques-uns de ces espaces que l’on retrouve un peu partout en Espagne.

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