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Québec n'a jamais prévu échantillonner les tuyaux d'eau potable en amiante... et a tenté de le camoufler

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Photo Agence QMI / Joël Lemay Des canalisations en amiante-ciment transportent de l’eau jusqu’aux robinets des résidences. Si ces canalisations s’effritent, elles peuvent libérer des fibres dans l’eau et celles-ci se retrouvent ensuite dans l’eau qu’on boit.

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Le ministère de l’Environnement a tenté de camoufler qu’il n’a jamais prévu échantillonner les tuyaux d’eau potable en amiante-ciment de différentes villes, même s’il avait affirmé le contraire à deux reprises par le passé.

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Informé de ce cafouillage par notre Bureau d’enquête, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, est intervenu à la fin avril de façon formelle auprès de son ministère et a «mandaté les équipes [afin] d’élaborer un calendrier de réalisation du projet», précise le cabinet.

En 2019, le ministère assurait au Bureau des audiences publiques sur environnement (BAPE) qu’il «envisage[ait] de mettre en place d’ici deux ans» un projet pour évaluer la présence de fibres d’amiante dans l’eau potable des conduites en amiante-ciment.

Puis en 2021, il confirmait au Journal que le projet était même «déjà amorcé» et que l’eau de ces tuyaux allait être échantillonnée dans différentes villes.

«Le ministère compte sélectionner des municipalités en fonction du nombre de kilomètres de conduite en amiante-ciment en priorisant celles qui en ont le plus », nous avait-on répondu. 

C’est que des experts du ministère considèrent les conduites amiante‐ciment comme un «contaminant d’intérêt émergeant», c’est-à-dire un contaminant dont on ne connaît pas encore bien les impacts sur la santé et l’environnement. 

Incohérences

Or en 2023, lorsque nous avons tenté de faire un suivi de ce dossier, le ministère a mis deux mois pour répondre que le plan d’action du gouvernement «ne prévoit pas l’échantillonnage des conduites d’eau en amiante-ciment».

En raison de ces incohérences, nous avons formulé une demande d’accès à l’information auprès du ministère. Selon des échanges de courriels obtenus, on apprend ainsi que le dossier n’a pas été jugé «prioritaire» et qu’aucune équipe de scientifiques n’a hérité du dossier.

On comprend aussi que le ministère hésite à affirmer clairement que le projet est abandonné – pire, qu’il n’a même jamais existé – en raison notamment des apparences. «Risque‐t‐on qu’elle [la journaliste] sorte en disant que le ministère trouve que ce n’est pas important?», s’inquiétait d’ailleurs la directrice de la protection des eaux, dans un de ces courriels.

Le ministère travaille alors à nous remettre une réponse «plus vague et moins engageante», selon les propos tenus par la direction de l’analyse chimique.

Le cabinet s’en mêle

La question a suscité un tel branle-bas de combat qu’il a impliqué les employés de quatre sous-ministres adjoints, le bureau de la sous-ministre en plus du cabinet du ministre de l’Environnement, Benoit Charrette.

Les courriels obtenus démontrent que le ministère a rapidement abandonné le projet puisque le BAPE, dans son rapport final de 2020, ne lui intimait pas formellement de le faire. Au surplus, avec la Fonderie Horne qui a fait la manchette dans la dernière année, le ministère a mis tous ses efforts sur les dossiers de qualité de l’air et la présence de fibre d’amiante dans l’air. 

Le cabinet va de l’avant

Au cabinet, on confirme maintenant que le ministre Charette a réitéré sa volonté d’aller de l’avant avec ce projet. Mais le ministère devra d’abord présenter un échéancier «réaliste», nous a-t-on précisé. Il n’est donc pas possible pour le moment de savoir à quel moment l’échantillonnage dans les conduites en amiante-ciment se fera ni quelle ampleur aura cette campagne.

Aux yeux de la députée libérale Désirée McGraw, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’environnement, cet épisode est: « une autre démonstration patente d’un gouvernement qui est brouillon et de son insouciance face aux enjeux environnementaux».

«Il aura fallu que les médias s’intéressent au dossier des conduites en amiante-ciment pour que le ministre Charette agisse et accepte enfin de procéder à de l’échantillonnage de l’eau qui y circule, a-t-elle déclaré. Son ministère a ainsi joué avec la santé de la population et a tenté de cacher la vérité sur l’inaction caquiste dans ce dossier. C’est inacceptable. »

Autopsie d’un cafouillage 

  • Décembre 2019

Le ministère de l’Environnement déclare au Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qu’il envisage de créer, d’ici deux ans, un projet pour d’évaluer la présence de fibres d’amiante dans l’eau potable des conduites en amiante-ciment.

  • 16 mars 2021

Le ministère affirme à notre Bureau d’enquête qu’il a amorcé le projet pilote et qu’une campagne d’échantillonnage dans les villes est prévue.

  • 19 janvier 2023

Le chef de la direction de l’eau potable du ministère informe ses supérieurs: «En gros, on n’a pas débuté. L’eau potable n’était pas priorisée par rapport à d’autres problématiques d’amiante. On a pas de date.»

  • 26 janvier 2023

Dans un échange de courriels internes, le ministère explique qu’une méthode pour analyser les fibres d’amiante dans l’eau potable sera développée d’ici l’été 2024 et que le ministère pourra ensuite élaborer un plan d’échantillonnage avec les municipalités choisies dans le cadre d’un projet-pilote.

  • 1er février 2023

Le directeur de l’eau fait part d’un inconfort. Le projet impliquerait seulement de «voir si les conduites sont émettrices d’amiante dans l’eau.» «Il en reste donc beaucoup à faire avant de dire qu’un projet-pilote est débuté et encore plus avant de pouvoir dire si tous les réseaux du Québec doivent être testés. »

  • 7 février 2023

Le cabinet du ministre s’en mêle. Il demande à bonifier la réponse avec davantage d’information à propos des prochaines actions et cherche à savoir si des équipes de scientifiques y travaillent.

  • 8 février 2023

Une conseillère stratégique explique: «Ce dossier n’a pas été priorisé [...] Les enjeux rencontrés pour la Fonderie Horn[sic] ont fait en sorte de prioriser le développement de la méthodologie analytique dans l’air au lieu de celle de l’eau. [...] Il n’y a aucune équipe de recherche, ni même de ressource humaine attitré[sic] au dossier des conduites d’eau en amiante‐ciment.» Elle ajoute le lendemain « Nous sommes conscients que ce n’est pas la réponse que veut recevoir [...] le cabinet, mais c’est la réponse.»

 

24 février 2023

Un urbaniste et adjoint exécutif d’un sous-ministre adjoint tranche:« Nous n’avons pas formellement prévu faire cette démarche. Nous avons simplement évoqué cette possibilité lors des audiences du BAPE en 2019 [...] Nous n’avons pas prévu l’échantillonnage des conduites d’eau en amiante‐ciment et ne prévoyons pas le faire à court terme.» 

Fin avril

Questionné par notre Bureau d’enquête, le cabinet du ministre de l’Environnement assure avoir maintenant mandaté des équipes afin d’élaborer un calendrier pour procéder à l’analyse de l’eau potable dans les tuyaux en amiante-ciment. 

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