Crise du logement: de plus en plus de locataires ne peuvent plus se nourrir après avoir payé leur loyer
Les demandes explosent dans les banques alimentaires où des centaines de gens vont chercher quotidiennement de quoi se mettre sous la dent
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Les banques alimentaires de Toronto et de Vancouver sont débordées de personnes obligées de mettre 100% de leur revenu dans leur loyer et qui n’ont plus les moyens de se nourrir.
«On a de plus en plus de gens qui doivent choisir entre se nourrir et payer son loyer. Avant la pandémie, on avait environ 2000 visites par mois [à la banque alimentaire], mais maintenant, on est rendu à environ 8000», déplore Gemma Donn, coordinatrice chez Parkdale Community Food Bank.
Entre les pertes d’emploi, la hausse du prix des loyers, l’inflation qui touche les besoins essentiels comme la nourriture, de plus en plus de gens n’ont plus les moyens de se nourrir avec leur pension et même avec leur salaire, particulièrement ceux qui travaillent au salaire minimum.
«Les loyers sont tellement élevés que beaucoup de gens mettent tout ce qu’ils gagnent dedans et n’ont plus rien pour se payer à manger pour le mois», affirme Mme Donn.
Des files à n’en plus finir
Alors que la distribution de nourriture n’a pas encore commencé, une longue file se dessine devant l’organisme, rue Queen ouest, à Toronto, lors du passage du Journal en mars dernier.
Chaque minute, le nombre de gens sans rendez-vous qui attendent patiemment dans le froid augmente. Pendant ce temps, une quinzaine de bénévoles s’affairent à préparer des paniers garnis de légumes, de produits laitiers et autres aliments. Pour la plupart, ce sera la seule chose qu’ils pourront se mettre sous la dent pendant plusieurs jours.
«Chaque jour, nous avons de nouvelles personnes qui se présentent», explique la jeune femme.
Un peu partout à Toronto, il était assez facile de trouver les banques alimentaires: il suffisait de voir les longues files, comme celle devant l’organisme Parkdale Community Food Bank, remplies de personnes aînées, de familles avec leurs enfants, de jeunes adultes avec des sacs vides et des chariots à provisions.
L’organisme offre aussi un service de rendez-vous qui est, lui aussi, très demandé par ceux qui veulent s’assurer d’avoir un peu de nourriture.
«À la même période en 2022, on avait environ dix rendez-vous par jour. Aujourd’hui, on en compte de 70 à 100 par jour», explique Mme Donn, qui s’inquiète que cette crise empire dans les prochains mois.
Débordés
Le son de cloche est le même à Vancouver, affirme Cynthia Boulter, cheffe des opérations de la Greater Vancouver Food Bank, la plus grande banque alimentaire de la grande région de Vancouver.
«La plupart des gens qui viennent nous voir, c’est parce qu’ils ont perdu leur travail, parfois à cause d’une maladie, d’une pension fixe qui n’est plus assez élevée, [ce sont aussi] des nouveaux arrivants, des étudiants, des gens qui n’auraient jamais pensé avoir besoin de nous un jour», explique-t-elle.
Chaque mois, l’organisation qui dessert plusieurs villes en plus de Vancouver enregistre de 800 à 1000 nouveaux clients.
«Actuellement, on aide presque 16000 personnes par mois, en plus d’aider 141 organismes communautaires», affirme celle qui travaille pour l’organisation depuis cinq ans.
Manque de dons
Et si la demande est loin de ralentir, les dons, eux, n’augmentent pas.
«Ça devient de plus en plus difficile de réussir à donner assez de nourriture pour que les gens puissent vivre pendant une semaine ou deux», illustre Mme Donn, qui s’inquiète, car à l’approche de l’été, les dons se font de plus de plus rares, et ce, jusqu’en novembre, avant Noël.
Si les dons ne manquent pas à la Greater Vancouver Food Bank, c’est plutôt l’aide des municipalités qui n’est pas au rendez-vous.
«Sachant qu'il y a 60% de la population et 75% des organismes que notre organisation aide en soutien alimentaire, c’est assez ironique de voir que le maire de Vancouver n’est pas capable de répondre à nos appels», lance Mme Boulter.
L’organisation demande aux villes dans lesquelles elle distribue de la nourriture de l'exempter de taxes sur ses propriétés pour l’aider dans sa mission.
«Aucune des villes n’a accepté de nous donner une pause de paiement. À Vancouver, ça nous coûte 150000$ par année pour nos deux locaux, mais la Ville nous a dit non», déplore Mme Boulter.
Une ingénieure contrainte de vendre sa santé à la science pour garder son logement
À Toronto, une ingénieure civile dans la cinquantaine qui a perdu son emploi s’est résolue à compromettre sa santé pour subvenir à ses besoins, se retrouvant à court d’options face à l’inflation et au prix des loyers.
«Pour survivre, j’ai commencé à aller dans des entreprises de pharmaceutique. Techniquement, je suis en train de vendre mon sang et ma santé pour avoir de l’argent à la fin du mois», confie Nancy, rencontrée devant la banque alimentaire Parkdale Community Foodbank, à Toronto.
Pour cette quinquagénaire, qui a demandé à ce qu'on ne révèle pas son identité pour ne pas inquiéter sa famille vivant au Québec, la situation devient de plus en plus difficile.
Il y a encore quelques mois, Nancy, qui travaillait pour la Ville de Toronto, était loin de penser qu’elle en arriverait là. Cette ingénieure civile diplômée et qualifiée avait toujours travaillé et gagnait un bon salaire.
Mais lorsqu’elle a perdu son emploi après des suppressions de poste, le vent a tourné.
«On ne sait jamais ce qui peut arriver dans la vie... une minute, tu penses que tu es protégée, mais finalement, tu es très facilement remplaçable», déplore-t-elle.
Aide sociale
Pour la première fois de sa vie, Nancy s’est alors retrouvée au chômage. Mais le montant qu’elle reçoit chaque mois est loin de couvrir ses dépenses essentielles, comme le loyer de son 4 1⁄2.
«Je reçois 1200$ par mois d’assurance-emploi, je paie 2200$ de loyer. Je ne peux plus payer mes dépenses, mes cartes de crédit sont au maximum. Je dois manger», soupire-t-elle.
Au Canada, les prestations de l’assurance-emploi permettent de recevoir jusqu’à 55% de son salaire pendant un maximum de 45 semaines.
Et si son loyer est cher, elle ne peut pas non plus le quitter.
«Il n’y a rien de moins cher! Si je pars, je ne retrouverais rien de plus abordable», déplore celle qui se sent coincée.
Chaque sou compte
Depuis environ cinq mois, elle n’a plus d'autre choix que de se déplacer dans différentes banques alimentaires de Toronto pour subvenir à ses besoins.
«Ici, je ne peux venir que deux fois par mois. C’est le seul moyen pour moi de manger du frais, d’avoir du lait, des œufs. Parfois, on a des produits périmés d’une journée ou deux, mais c’est mieux que rien», explique-t-elle.
Et comme chaque dépense compte, elle calcule aussi chacun de ses déplacements pour ne pas avoir à payer deux tickets de bus.
«Après avoir payé mon ticket, j’ai deux heures pour l’utiliser. Je ne peux pas traîner», dit-elle en vérifiant que son transport n’arrive pas.
Sans baisser les bras, la Torontoise tente par tous les moyens de retrouver un travail.
«Je cherche activement un emploi, mais personne ne me prend, même pas Dollorama», s’inquiète-t-elle. Ils préfèrent engager des gens plus jeunes, souvent parce qu’ils peuvent les payer moins cher. Moi, j’ai trop d’expérience et en plus, je suis en dépression».
Elle réfléchit à la possibilité de venir s’installer au Québec, qui a de nombreuses opportunités d’emploi.
Travailler à temps plein ne suffit plus pour payer son logement
Un salaire ne suffit plus pour pouvoir vivre décemment à Toronto et à Vancouver, où de plus en plus de travailleurs enchaînent les heures supplémentaires ou les deuxièmes jobs pour réussir à sortir la tête de l’eau.
«Ma femme et moi, on travaille tous les deux 12 heures par jour, sept jours sur sept, et on arrive à peine à payer notre hypothèque de 2800$... On ne peut pas ralentir», confie Amine, un chauffeur Uber rencontré à Toronto, qui vit dans une petite maison avec trois chambres, loin du centre-ville de la Ville Reine.
Comme lui, de plus en plus de gens sont forcés de travailler au-delà de 40 heures par semaine pour être capables de survivre dans ces deux villes canadiennes.
«Pour vivre ici, c’est facile, je suis complètement endettée. Généralement, je travaille un peu plus de 50 heures par semaine, en plus de mes études en enseignement», explique pour sa part Jenny, une serveuse de Vancouver.
Pas d'autre choix que de partir
Même si elle aime vivre dans cette ville qui lui permet d’être proche de la nature et les pieds dans l’océan, elle sait que bientôt, elle n’aura pas d'autre choix que de la quitter.
«Vivre ici avec un salaire d’enseignant, c’est juste impossible. Je vais sûrement devenir professeure dans une ville à deux heures d’ici, c’est tout ce que je pourrai me payer», déplore-t-elle.
«C’est tellement une belle ville... J’essaie d’en profiter pendant que j’étudie», ajoute la jeune fille.
Difficile de s’en sortir
Pour Lisa, qui travaille à temps plein depuis octobre pour l’organisme Neighborhood Group, impossible de se trouver un logement. Car en plus du prix des loyers, elle se fait systématiquement refuser les logements à cause de son casier judiciaire et de son passé de toxicomane.
«Pour le moment, je suis encore en maison de transition, je regarde des studios, mais c’est 1250$ par mois. J’ai regardé pour une chambre dans une colocation, et là encore, il n’y a rien en bas de 1000$», explique-t-elle, en affirmant qu’elle ne sait pas où elle va finir lorsqu’elle devra quitter la maison de transition.
«C’est difficile parce que j’aide des gens qui veulent s’en sortir, je veux m’en sortir, mais tout est difficile ici», déplore-t-elle.