Cyclisme: la folle épopée du vélo volé d'une athlète québécoise en Arizona
Marie-Soleil Blais, qui rêvait aux Jeux olympiques, l’a retrouvé deux ans plus tard grâce à un Québécois
Une cycliste québécoise a retrouvé son vélo volé il y a deux ans en Arizona grâce à un Gaspésien qui vit à Tucson.
Quand Claude Marin a découvert le précieux vélo dans l’entrepôt qu’il venait d’acheter, il ne se doutait pas qu’il appartenait à une athlète du Centre-du-Québec qui avait participé à deux championnats du monde sur route.
« La seule chose qui importait était de le remettre à sa propriétaire, peu importe combien d’argent je perdais. C’était la chose à faire. J’ai été élevé comme ça. En plus, c’est une athlète du Québec, le monde est petit ! » s’exclame en entrevue au Journal M. Marin, un résident de l’Arizona depuis 45 ans qui s’exprime toujours aussi bien en français.
Un simple arrêt au dépanneur
En 2021, Marie-Soleil Blais s’entraînait sous le soleil de Tucson, comme elle le faisait déjà depuis plusieurs années. La double vice-championne canadienne du contre-la-montre rêvait encore aux Jeux olympiques.
Au retour d’une balade, le 16 avril, elle a laissé son précieux objet sur deux roues près de la vitrine d’un dépanneur le temps de quelques secondes.
« J’ai gardé les yeux sur mon vélo pendant que j’attendais que la caisse se libère pour payer mon Gatorade, raconte Marie-Soleil Blais. Je n’ai même pas eu le temps de payer que je ne le voyais plus. J’ai gelé, puis je suis sortie. Il était disparu. Je capotais. »
Unique et sur mesure
Ce vélo, c’est un S-Works de Specialized, fait sur mesure pour la native de Saint-Rosaire, près de Victoriaville. Elle estime sa valeur à plus de 8000 $. Il n’est pas récent, mais il était parfait pour elle.
« C’est une édition spéciale pour moi, je l’avais reçu directement de la compagnie en remplacement d’un autre. Au fil des années, j’avais changé des pièces, comme sur une voiture de course », explique Mme Blais.
Désespérée, à l’approche d’une nouvelle saison et victime des nombreuses ruptures de stock en raison de la pandémie, l’ancienne membre de la prestigieuse équipe professionnelle Astana a fait le tour des boutiques sur gage, des sites web de reventes et des réseaux sociaux. Son histoire s’est même retrouvée au bulletin de nouvelles à la télé locale.
« Les gens voulaient me prêter leur vélo pour que je m’entraîne. L’entraide et la gentillesse, ça fait partie de la culture de Tucson, assure-t-elle. Mais j’ai fini par acheter un vélo de 3 lb plus lourd. »
« On m’a offert 400 $ »
Quelques mois plus tard, M. Marin, un homme de bientôt 80 ans, né à Sainte-Anne-des-Monts, a acheté un entrepôt abandonné dans le but de vendre les objets qui s’y trouvaient.
« On m’a offert 400 $ pour le bicycle, mais je savais que ça valait plus », mentionne le soudeur et plombier qui a aussi tenté sa chance dans un pawn shop, en vain.
Celui qui a quitté le Québec en 1963 a donc demandé à son fils et à un de ses copains d’en apprendre davantage sur ce vélo, sans succès. C’est finalement son ami Kyle Conway, un ingénieur de 36 ans avec qui il travaille souvent, qui l’a aidé.
« J’ai fait une recherche avec Google images et on a trouvé un article dans le Canadian Cycling Magazine qui parlait d’un vélo avec les mêmes couleurs spéciales [noir, vert, jaune et bleu]. Ça disait qu’un espoir olympique s’était fait voler son vélo pendant qu’elle s’entraînait à Tucson. On a fait le lien », indique M. Conway.
« Deux ans plus tard [en janvier], un certain Kyle m’écrit sur Instagram pour me dire qu’il a peut-être trouvé mon vélo, relate l’athlète. J’ai pensé que c’était un spam [pourriel]. Mon cerveau allait à 100 000 milles à l’heure. Il m’a envoyé une photo de mon vélo dans un garage ! Je n’en revenais pas. »
En l’honneur d’une fille décédée
Le vélo en question avait un autocollant avec les initiales EW, en l’honneur d’Ellen Watters, une cycliste du Nouveau-Brunswick happée mortellement en 2016.
« Ça me rend émotive chaque fois, laisse tomber Marie-Soleil Blais en pleurant. C’était un rappel de profiter de la vie, tout en faisant attention. Normalement, les voleurs enlèvent les collants pour qu’on ne puisse rien identifier. »
« Tout le mérite revient à Kyle, tient à préciser M. Marin. C’est lui qui a retrouvé Marie-Soleil. Sans lui, elle n’aurait pas revu son vélo. »
La cycliste de 34 ans avait prévu retourner en voiture à Tucson au printemps. M. Marin a insisté pour lui donner 500 $ afin de payer de l’essence, et un BBQ a été organisé pour des retrouvailles émouvantes le 2 avril
« Quand j’ai retrouvé mon vélo, il était comme avant, ajusté pour moi, prêt à faire une compétition, à sprinter ! » se rappelle celle qui a aussi joué au hockey à l’Université de Moncton.
« Comme son bébé »
« C’était merveilleux, elle avait un grand sourire et elle était si reconnaissante, décrit M. Marin. Elle était comme un membre de nos familles. On a vu comment elle aimait son vélo, c’était comme son bébé. »
« C’était un sentiment incroyable de la voir. On a vraiment su qu’on avait fait le bon choix, renchérit, M. Conway. Ce vélo l’a aidée à devenir une cycliste professionnelle. Il est si important pour elle. Ce n’est pas une question d’argent, c’est son histoire qui compte, tous les milles parcourus lors des entraînements et des courses. »
Cette mésaventure n’a pas rebuté Marie-Soleil Blais, qui continue d’aller s’entraîner à Tucson, une ville qu’elle considère comme « sa deuxième maison ».
Face aux grizzlys, elle pédalera de Banff au Nouveau-Mexique
Une ancienne membre de l’équipe canadienne de cyclisme sur route a mis une croix sur ses ambitions olympiques et se lance dans une nouvelle aventure : le bikepacking.
Marie-Soleil Blais participera au Tour Divide, une course en autonomie, dont le départ aura lieu vendredi à Banff, en Alberta, pour se terminer plus de 4000 km plus tard, au Nouveau-Mexique.
« Quand j’ai vu un documentaire sur une femme qui l’avait fait, ça m’a inspirée, explique l’athlète originaire du Centre-du-Québec. Je veux à mon tour inspirer d’autres femmes à faire des projets extrêmes, à couvrir de grandes distances, à camper en plein milieu de nulle part. Si le documentaire avait parlé d’un homme, je ne crois pas que j’aurais eu la piqûre. »
Un test en solitaire
Blais, qui a déjà traversé l’Espagne à vélo, a voulu parcourir le trajet du Tour Divide sans y être inscrite, juste pour voir si elle en était capable. Elle a emprunté la tente de sa sœur pour vivre sa première expérience de camping.
« J’ai fait un face-à-face avec un grizzly, raconte-t-elle avec émotion. J’ai tellement paniqué que je me suis envoyé le spray sur moi en premier ! »
« Le cerveau en compote »
La Québécoise de 34 ans soutient que 13 participants ont abandonné l’été passé. Certains ont même souffert d’hypothermie.
« Quand il pleut, il fait froid et tu ne réfléchis pas bien. C’est difficile de prendre des décisions. Combien d’eau et de bouffe dois-je apporter jusqu’à mon prochain arrêt ? Où vais-je dormir, avant ou après la montagne ? On a le cerveau en compote. C’est difficile, parce qu’il n’y a pas de porte de sortie, mais ça repousse nos limites », prétend celle qui prévoit aller s’entraîner en altitude au Colorado.
La spécialiste de cyclisme sur route a pédalé 10 heures par jour sur un vélo de montagne, de quoi sortir de sa zone de confort. Elle a réalisé une moyenne quotidienne de près de 150 km.
Elle a eu besoin de 28 jours pour atteindre le Nouveau-Mexique, aux États-Unis. Le record féminin est de 15 jours. On parle donc de plus de 250 km par jour, rien de moins.
Mieux que les Olympiques ?
« Après deux semaines, je commençais à prendre les parcours les plus difficiles, à essayer de trouver les montagnes les plus hautes, la trail la plus dure. Je n’ai pas besoin d’aller aux Olympiques pour me mettre au défi. Il n’y a aucune foule, personne ne me regarde, même si j’essaie de faire la chose la plus difficile de ma vie », philosophe-t-elle.
« Je me sens plus à ma place que dans le cyclisme professionnel, où il y a tellement de politique et où il faut que tu cadres dans un moule », ajoute-t-elle.
Marie-Soleil Blais espère documenter son périple et transmettre sa passion pour le vélo, comme elle le fait déjà avec des cours et des entraînements sur YouTube.
► Il sera possible de suivre le Tour Divide sur le site internet trackleaders.com.