Défense: tannés d'avoir des vieilleries, nos soldats achètent leur propre matériel moderne
Les militaires canadiens sont déployés au plus près de la ligne de front russe avec du matériel dépassé
OTTAWA – Les soldats canadiens sont déployés au plus près de la ligne de front russe sans les casques adéquats, comme c’était déjà le cas pendant la guerre en Bosnie dans les années 90.
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«En 1994, quand j’ai atterri en Croatie pour me joindre à la Force de protection des Nations unies, nous avons dû échanger nos casques avec les soldats qui rentraient à la maison [...]. C’était dans le bus nolisé qui nous amenait en Bosnie», se souvient Rob Talach, réserviste de l’infanterie depuis 35 ans.
Depuis, rien ne semble avoir changé, car le soldat a partagé son expérience publiquement sur LinkedIn en réaction à un reportage de CBC qui révélait lundi que les militaires canadiens déployés en Lettonie s’achètent eux-mêmes des casques balistiques modernes capables de protéger leurs oreilles des bruits extrêmes auxquels ils sont exposés.
Ils sont quelque 800 membres des Forces armées canadiennes (FAC) déployés dans ce pays balte en ce moment. Ils y dirigent un groupe tactique de l’OTAN qui a pour mission de protéger le front est des alliés, au plus près de la frontière avec la Russie.
La défense a pourtant les fonds pour faire les achats dont nos soldats ont besoin. Preuve en est qu’elle est incapable de dépenser l’argent qui lui est attribué chaque année. En 2021, des cinq milliards de dollars qui lui ont été attribués, un milliard est resté sur la table.
15 ans d'attente pour un achat
«C’est lié directement à la problématique qu’on connaît dans les Forces depuis longtemps: l’approvisionnement est très très long», explique la députée bloquiste Christine Normandin, qui siège au comité permanent de la défense de la Chambre des communes.
Le cabinet de la ministre de la Défense Anita Anand assure que «veiller à ce que les Forces armées canadiennes disposent d'un équipement moderne et efficace reste une priorité absolue pour notre gouvernement».
Mais samedi, Le Journal expliquait que l’approvisionnement de nos soldats est si lent qu’il nous met en danger, en particulier dans le secteur des technologies de pointe, comme la cyberdéfense et l'intelligence artificielle, qui évoluent extrêmement rapidement. Une réalité qui préoccupe le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne.
«Il faut parfois jusqu'à 15 ans pour concevoir, lancer, effectuer les acquisitions et mettre en œuvre un nouveau système», a indiqué Christian Leuprecht, du Collège militaire royal, en comité parlementaire.
Résultat, «ce qui est acheté est souvent désuet au moment même où on le commande, déplore Mme Christine Normandin. Ce n’est pas du matériel qui est à jour et les militaires le voient, il y a d’autres troupes qui ont du matériel qui est plus au goût du jour».
Du matériel canadien vendu aux autres
Le lieutenant-colonel Jesse van Eijik, déployé en Lettonie, partage sa frustration dans un courriel obtenu par CBC: «C’est préoccupant, à la limite embarrassant de voir les différences entre l’équipement qu’on a et celui des Danois.»
La situation est d’autant plus frustrante que le matériel dont disposent les alliés est facilement accessible sur le marché, y compris au Canada, puisque les Danois ont par exemple des armes modernes conçues ici même, précise le lieutenant-colonel Eijik.
Nos alliés sont en effet friands d'innovations canadiennes. Dans le secteur de la cyberdéfense uniquement, l'industrie canadienne vend trois fois plus à nos alliés du Groupe des cinq qu'à la Défense nationale, a indiqué en comité parlementaire la présidente de l'Association canadienne des industries de défense et de sécurité, Christyn Cianfarani.
«Nos alliés donnent plus de valeurs dans notre secteur de cybersécurité que le Canada lui-même. Il y a quelque chose qui ne va pas», a-t-elle insisté, appelant Ottawa à revoir son système d'acquisition militaire de toute urgence.