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Bande dessinée: le Far West PQ

Shérif Junior
Photo fournie par les Éditions Pow Pow


La popularité du genre western en bande dessinée ne tarit pas. Les séries fondatrices Lucky Luke et Blueberry ont pavé la voie à de nouvelles générations d’artistes, qui à leur tour nous gracient de remarquables feuilletons : Undertaker, Lincoln, La venin, Go West, Texas Cowboys, Gus, Hiram Lowatt & Placido. Le Québec n’y échappe pas, notamment avec l’excellent Wild West magnifiquement illustré par Jacques Lamontagne, ainsi que deux nouvelles incursions dans de fort différentes tonalités: l’hilarant Shérif Junior et le mystique Tuer le peintre. 

Six ans après la publication du diptyque Whitehorse, qui fera l’objet d’une transposition scénique au Théâtre Jean Duceppe à l’automne prochain, et l’adaptation de Vil et misérable pour le grand écran, dont le tournage débutera sous peu, Samuel Cantin nous revient dans une forme splendide avec Shérif Junior : Il y a quelque chose de poussiéreux à Sorel-sur-Poussière, une délirante épopée de 450 pages qui vous fera hurler de rire.

Rêve d’ado

Âgé d’à peine 11 ans, Junior, affublé d’une intarissable soif de justice, d’une coupe de cheveux à la Prince Vaillant et d’un fervent sentiment amoureux à l’endroit de son institutrice fumeuse de pipe, voit à la quiétude de la petite localité de Sorel-en-Poussière, 27e ville en importance de tout le turbo-Bas-Canada de la seconde partie du XIXe siècle. Débarque alors un quatuor de frères malfrats qui, souhaitant contrôler la ville afin d’y ériger une glissade géante faute d’une meilleure idée, fomente une crise pandémique : la distribution d’une poussière aux propriétés envoûtantes qui une fois inhalée vous transforme en toxicomane écervelé.

« Dans un sens, c’est mon album le plus ‘‘BD’’ dans la mesure où j’ai travaillé dans un genre précis. J’ai toujours voulu faire un western. J’aime les albums Lucky Luke, les Blueberry, mais aussi les films de ce genre. Y’a des carcans vraiment riches pour la comédie, pleins de bases qu’on connaît, y’a tellement moyen de spoofer là-dedans, raconte Cantin. J’avais cette envie depuis que j’étais ado. Je suis content de l’avoir fait aujourd’hui. Au départ, je voulais m’y mettre tout de suite après Vil et misérable, mais ça ne sortait pas. » L’attente aura valu largement le coup. Après le bouclage de son diptyque Whitehorse en 2017, l’artiste ira œuvrer du côté du 7e art, notamment avec sa web-série Sylvain le magnifique, le court métrage d’animation Le syndrome de la tortue produit par l’ONF et l’adaptation cinématographique de Vil et misérable

Ce détour lui permet de parfaire ses aptitudes de dialoguistes et de direction d’acteur – deux pierres angulaires de son œuvre –, qui se déploient magistralement dans Shérif Junior.

Une réussite

Autre élément qui frappe chez Cantin : son sens inné de la digression. Car oui, il nous gracie de fabuleuses dérapes langagières, parsemant ses dialogues d’expressions chill à l’instar de la pub du faucon pèlerin, alors que ses personnages sont en proie à des questionnements existentialistes absurdes. Le tout s’imbrique naturellement dans le cours de l’action, insufflant au récit un sentiment d’hilarité et de fébrilité, comme si chacune des pages du fabuleux pavé opérait sur nous une lente et sournoise intoxication à l’instar de cette foutue poussière.

Se situant quelque part entre les univers de Morris, Mel Brooks et Ding et Dong, le premier Shérif Junior est une réussite, qui de surcroît, dote le 9e art national d’une nouvelle série qui deviendra à n’en point douter culte. 

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Shérif Junior
Photo fournie par les Éditions Moelle Graphik

La transfiguration de l’Ouest américain du milieu du XIXe siècle par des peintres comme toile de fond d’une bande dessinée d’auteurs québécois ? C’est le pari audacieux et magistralement relevé que nous offrent Étienne Poisson et Olivier Robin avec Tuer le peintre, un western halluciné qui rend hommage tant au créateur de Lucky Luke qu’à Christophe Blain (Gus).

Un criminel recherché, craignant être débusqué, engage un tueur à gages afin de faire la peau à Charles Marion Russell qui l’a peint de profil, sans l’en informer de surcroît, dans un de ses tableaux. Le cowboy sillonnera donc le Montana et l’Alberta une quinzaine de jours en quête du peintre fautif.

Go west, young man

D’abord autoédité, le récit a fait ce printemps l’objet d’une réédition augmentée chez Moelle Graphik dans un bel écrin. 

«Nous voulions nous mettre en candidature pour les prix Bédélys de 2021. Nous avons sorti l’album à l’arraché, question d’être dans les délais», se remémore le scénariste Olivier Robin, également auteur de Dessine ta science, bandes de vulgarisation scientifique.

«Nous avons remporté le Bédélys indépendant, ce qui a changé la vie du projet», renchérit l’illustrateur Étienne Poisson. Comme espéré, la récompense attire donc l’attention sur l’album, dont l’éditeur et fondateur de Moelle Graphik Julien Poitras. Une fois un contrat d’édition en main, le duo retourne retravailler la matière, peaufinant tant le contenant que le contenu. Ils dotent notamment chaque début de chapitre d’une carte, judicieux marqueur spatial bonifiant scénaristiquement et graphiquement le récit.  

De plus, l’amorce d’illustration en une page est ici complétée en de sublimes gravures, permettant aux lectrices et lecteurs de souffler. «Un peu à la manière de Dragon Ball», explique Poisson. Ou comme dans les premiers albums de Tintin, pour celles et ceux dont la référence pourrait échapper. Par le truchement d’aplats et d’un trait ondulant évoquant celui de Christophe Blain, Tuer le peintre nous plonge dans une étonnante épopée où les locomotives firent leur apparition, et où la peinture est sur le point de céder le pas à la photographie quant à la représentation du réel. 

Une œuvre complète

Nous naviguons donc à l’aveuglette entre archaïsme et modernité, dans une aventure teintée d’une fébrilité communicative. «La prémisse de départ provient de l’expression “Je tuerais pour avoir son talent’’, que nous trouvions étrange. De là, le récit s’est construit à partir d’échanges soutenus», raconte Robin. 

Question de prolonger le plaisir de lecture, les auteurs abonnissent l’œuvre d’un abécédaire des choses vraies et fausses ainsi que la liste des tableaux reproduits. Que vous ayez une inclinaison pour l’histoire de l’art pictural ou pour les aventures aux arômes de poudre à pistolet, de sang et de sable, la lecture de Tuer le peintre vous comblera de bonheur.







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