Victime de viol: l'Hôpital général de Montréal la refuse... car elle est francophone
L'Office québécois de la langue française a annoncé l'ouverture d'une enquête
Une victime de viol à Montréal a dû être trimballée dans trois hôpitaux différents pour effectuer une trousse médico-légale, le premier établissement refusant de procéder parce qu’elle est francophone, a révélé un juge. L'Office québécois de la langue française a annoncé l'ouverture d'une enquête tandis que le CUSM reconnaît qu'il s'agit d'une situation «inacceptable».
«Le premier [l’Hôpital général de Montréal] refuse de faire l’examen puisque sa langue maternelle est le français. [Les policiers] l’amènent à un second hôpital qui la refuse également puisqu’aucune trousse médico-légale n’est disponible à cet endroit. C’est finalement dans un troisième hôpital que l’examen sera fait», a expliqué le juge Alexandre Dalmau, ce matin, au palais de justice de Montréal.
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Le magistrat relatait une agression sexuelle survenue à l’été 2020, quand l’accusé Martin Jolicoeur, un résident de Lachine âgé de 45 ans, s’en était pris à une connaissance pendant le sommeil de cette dernière. Et ce, même si elle avait expressément affirmé qu’elle ne voulait pas de rapprochements.
Se sentant «trahie et sale, pas écoutée et respectée», la femme avait quitté les lieux. Elle s’est mise à chercher un poste de police, mais sans succès, a relaté le juge. La femme, dont l’identité est protégée par la cour, a alors appelé le 911.
«On a couru un peu les hôpitaux»
«Des patrouilleurs l’ont recueillie sur la rue, a expliqué le juge. Elle leur raconte ce qui est arrivé. Elle accepte de les accompagner à l’hôpital pour un examen médico-légal.»
C’est là que les choses se sont gâtées pour la femme, qui est francophone, alors qu’elle avait la nausée, qu’elle était très embrouillée et qu’elle n’allait pas bien, selon son témoignage lors du procès qui s’est tenu l’an passé.
«On a couru un peu les hôpitaux, a-t-elle dit. Le premier hôpital [l’Hôpital général de Montréal] m’a dit qu’il ne pouvait pas me donner du service [en français]. Au deuxième, on m’a dit qu’il n’y avait pas de trousse, après m’être enregistrée [à l’accueil].»
Ses propos ont été corroborés par le policier qui l’accompagnait.
«Malheureusement, puisque madame parle en français, le Montreal General décide de nous refuser et de nous rediriger au CHUM», avait témoigné l’agent Marc-André Lacroix.
C’est seulement à l’hôpital Notre-Dame, près de deux heures plus tard après l’arrivée des policiers, que la femme a pu être prise en charge par une travailleuse sociale.
Depuis, la femme a subi de nombreux torts, dont de l'insomnie et de l'anxiété, a noté le juge.
«L’événement a mené à une baisse d’estime personnelle, a-t-il également mentionné. Elle vit des sentiments de trahison, d’incompréhension, de colère et de honte, ainsi que de la peine.»
Indignation
Mis au courant de l’affaire, des organismes voués à la protection du français n’ont pas caché leur indignation face à cette situation.
«C’est la pire des raisons à donner, a mentionné Paul Brunet du Conseil de la protection des malades. C’est complètement illégal. [...] Les services en français, c’est obligatoire. La langue d’usage est le français.»
De son côté, le président d’Impératif français Jean-Paul Perreault affirme qu’il s’agit malheureusement «d’un témoignage parmi tant d’autres» en matière de service en français dans les centres de santé montréalais. Il déplore une «situation incroyablement baveuse et provocante de la part de l’hôpital». Le traitement qu’a reçu la victime de viol est selon lui «inexcusable».
«C’est invraisemblable, il n’y a pas de mot pour décrire à quel point c’est scandaleux», affirme de son côté Maxime Laporte, président du Mouvement Québec français.
Le cabinet du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a pour sa part qualifié cette situation «d’inacceptable» et confirme que l'Office québécois de la langue française [OQLF] allait enquêter sur la disponibilité des services en français à cet hôpital.
«Les faits rapportés par le juge sont extrêmement troublants. Nous sommes de tout cœur avec la victime. Tous les hôpitaux au Québec doivent offrir des services en français», a réagi, par écrit, le gouvernement.
«Inacceptable»
À Montréal, les victimes d’agression sexuelle doivent se rendre dans un centre désigné selon leur langue maternelle : l’hôpital Général de Montréal pour les anglophones, et l’hôpital Notre-Dame pour les francophones.
Ainsi, selon Deborah Trent, directrice générale du Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal, la femme a été conduite au mauvais endroit, puis référée à une mauvaise place.
« Elle a été mal référée et ça ce n’est pas acceptable, a-t-elle commenté. Est-ce qu’à ce moment-là [à l’hôpital Général de Montréal], on aurait dû faire une exception pour cette personne-là ? Probablement. Mais pourquoi ça n’a pas été fait ? Je ne peux pas vous dire. »
Contacté par Le Journal, le Centre universitaire de santé McGill [CUSM] a reconnu qu'il s'agissait d'une situation inacceptable.
«Les faits rapportés font état d'un événement inacceptable et incompatible avec les responsabilités, les valeurs et la mission du CUSM. Nous ne refusons jamais aucun patient. Nous sommes fiers d’offrir, dans tous nos établissements, des soins et des services en français et en anglais selon la préférence du patient », a dit la Dre Lucie Opatrny, présidente-directrice générale du CUSM.
Elle a précisé qu'en dehors «sous aucun prétexte, nous ne refusons de traiter une personne qui préfère demeurer à l'Hôpital général de Montréal, peu importe la langue».
Une enquête a d'ailleurs été enclenchée à l'interne, a-t-elle ajouté.
Pas de clémence
Le violeur avait été arrêté et à la suite de son procès, il avait été déclaré coupable d’agression sexuelle. Et même s’il espérait s’en sortir avec un sursis, le juge a plutôt décidé de l’envoyer en prison pour 18 mois, malgré sa réhabilitation.
«Le délinquant a transgressé les limites de la victime, alors qu’elle était vulnérable», a entre autres dit le juge.
Une fois sorti de prison, Jolicoeur devra respecter une probation de trois ans. Il sera également inscrit au registre des délinquants sexuels pour deux décennies.
Jolicoeur était défendu par Me Alan Guttman, tandis que Me Geneviève Rondeau-Marchand agissait pour la Couronne.
-Avec la collaboration de Nicolas Lachance
Le déroulement des événements
5h00: Rue Notre-Dame, à Lachine
La victime cherche un poste de police. Elle appelle finalement le 911 et des patrouilleurs la recueillent sur la rue.
5h38: Hôpital Général de Montréal
La victime, accompagnée d’agents du Service de police de la Ville de Montréal, se rend à cet hôpital afin d’obtenir une trousse médicolégale. Même s’il s’agit d’un centre désigné pour les agressions sexuelle, elle se voit refuser l’examen «puisque sa langue maternelle est le français» et on la redirige vers le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM).
6h02: CHUM
Une fois arrivés au CHUM, la victime et les policiers apprennent que le centre désigné se trouve plutôt à l’hôpital Notre-Dame. Aucune trousse médicolégale ne s’y trouve.
6h47: Hôpital Notre-Dame
Les policiers accompagnent la victime, qui est finalement prise en charge par la travailleuse sociale de l’hôpital. Elle pourra finalement passer tous les examens nécessaires.