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Chez Duceppe, une télé qui n’est pas la nôtre

Chez Duceppe, une télé qui n’est pas la nôtre
Le Journal de Québec


Salle de nouvelles, la pièce que présente le Théâtre Jean Duceppe jusqu’au 7 octobre, est un bel exemple d’ambiguïté. 

Adaptée surtout à compter du célèbre film de Sidney Lumet Network, tourné sur un scénario de Paddy Chayefsky et sorti en 1976, Salle de nouvelles, qu’on a d’abord jouée au Théâtre Le Trident de Québec en pleine pandémie, fait beaucoup parler depuis qu’on l’a transportée sur une scène montréalaise. Il y a de quoi! La télévision ne laisse personne d’âge mûr indifférent et la pièce traite d’info-divertissement et de cotes d’écoute, deux éternels sujets de discussion chez les chroniqueurs de télé.

Les nouvelles à la télévision telles que les présente la pièce n’ont jamais eu cours au Québec. À TVA et à LCN, à Radio-Canada comme à RDI, les nouvelles n’ont à aucun moment sombré dans le spectacle, le divertissement ou la manipulation. Comme sur la chaîne américaine Fox News, par exemple. Je ne sais pas comment Denis Bernard, vedette incontestée du spectacle, a pu déclarer qu’après l’avoir vu «les spectateurs ne vont plus ouvrir leur téléviseur dans les mêmes dispositions que la veille». L’information dispensée par nos télévisions n’a jamais ressemblé de près ou de loin aux nouvelles d’UBS, le réseau fictif du film Network.

J’suis écœuré...

Ce sont les influenceurs et les vedettes des réseaux sociaux qui ressemblent aujourd’hui à Howard Beale, le présentateur-vedette de Newsroom. Les spectateurs les plus jeunes qui assistent à la pièce chez Duceppe et qui répètent en chœur la phrase que leur mitraille Denis Bernard (qui incarne Howard Beale), «J’suis écœuré, pis j’suis tanné de me faire niaiser», réalisent-ils qu’on les manipule comme ils sont manipulés par les ténors des réseaux sociaux?

Marie-Josée Bastien et David Laurin ont adapté Network de façon habile. Ils se sont permis quelques anachronismes (comme les téléphones cellulaires, qui n’existaient pas en 1976) dans le but évident d’actualiser la pièce, accentuant du même coup son ambiguïté. Dommage qu’ils n’aient pas trouvé le moyen de faire avec les réseaux sociaux un rapprochement qui me semblait s’imposer. Bien plus que la télévision, les réseaux sociaux sont devenus les véritables vecteurs de la désinformation et de la manipulation dans le monde actuel. Chez nous comme ailleurs.

Il faut voir cette pièce

Cela étant dit, est-ce qu’il vaut la peine d’aller voir Salle de nouvelles? Oui! Il faut même y courir. C’est rare qu’on voie une scène aussi démesurée que celle de Chez Duceppe être aussi bien occupée. C’est encore plus rare qu’on y présente une pièce qui nécessite une distribution aussi nombreuse. Ils sont 12 sur scène et on a parfois l’impression qu’ils sont deux fois plus nombreux tant est astucieuse la mise en scène de Marie-Josée Bastien, une actrice et dramaturge de Québec dont la renommée ne cesse de grandir, et avec raison. Le spectacle est un brin longuet, mais on ne va pas chercher noise à Mme Bastien pour une douzaine de minutes de trop.

Suis-je le seul à avoir quitté la salle en éprouvant une certaine nostalgie? Nostalgie de l’époque où la télévision semblait le moyen d’information ultime, celui capable de donner du monde une image authentique, juste et impartiale. Avec Salle de nouvelles, j’ai constaté à quel point a changé mon regard sur la télévision. Elle n’a plus la puissance que lui prêtait Network – et que je lui prêtais – il y a cinquante ans.







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