La mule de Tokyo rentrée au pays: voici le récit de sa vie en prison au Japon
Le Québécois y a été emprisonné durant près de quatre ans pour avoir tenté d’importer de la drogue dure
Après avoir passé près de quatre ans en détention au Japon pour avoir tenté d’y importer de la drogue, un jeune Québécois est de retour au pays et peut maintenant témoigner des conditions abominables dans lesquelles il dit avoir vécu dans une prison considérée comme l'une des plus strictes du monde. Ici, les prisons ressemblent «à des hôtels», dit-il.
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«Je pense à ça, et je l’ai échappé belle», laisse tomber Jonathan Isabelle, 26 ans, qui est rentré du Japon le 22 décembre dernier.
Sirotant un café, le jeune homme en libération conditionnelle depuis peu réalise avec le recul la chance qu’il a d’être ici.
Il sait pertinemment qu’il est passé près de croupir pendant 20 ans dans une cellule de la prison Fuchū, en banlieue de Tokyo.
C’est à cet endroit que la majorité des ressortissants étrangers sont incarcérés, tout comme les criminels les plus violents du pays, dont les membres des triades.
Là-bas, l’amateur de soccer freestyle raconte avoir vécu dans des conditions atroces.
Isabelle y aurait souffert d’intimidation, de torture physique et mentale, de problèmes de santé, d’engelures, en plus d’être nourri de repas à faire lever le cœur, et ce, pendant pas moins de trois ans et dix mois.
Une vie normale
Pour cet enfant de la DPJ qui a grandi dans les Laurentides, tout a commencé au début de 2019. À l’époque, celui-ci se serait fait offrir 20 000$ par une mauvaise fréquentation pour transporter une valise pleine de drogue au pays du Soleil-levant.
S’il admet lui-même avoir vu cette occasion en or comme une opportunité vers «une vie normale», il jure toujours qu'il croyait traîner du cannabis et non de la drogue dure.
Il s’agissait plutôt de 30 kg de méthamphétamine dissimulés dans des vêtements.
Le 16 février 2019, le jeune insouciant a donc pris l’avion à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau en direction de celle de Narita.
Sur les lieux, les douaniers japonais n’ont pas mis de temps à le coincer.
«Si j’avais passé, ç’aurait été dans les mains de personnes vulnérables», dit-il, aujourd’hui soulagé que la drogue ne se soit pas rendue aux consommateurs.
Que le début
Neuf mois plus tard, Isabelle a convaincu le tribunal japonais qu’il croyait dissimuler de la marijuana, et rien d’autre. Il a ainsi évité une peine de deux décennies.
On l’a plutôt condamné à purger une peine de huit ans, et à payer une amende de 35 000$. À ce moment, il savait que son calvaire ne faisait que commencer.
«C’était un combat chaque jour pour survivre, confie-t-il au Journal. Tout est pensé pour que tu sois contrôlé, chaque seconde de ton existence.»
De la vraie torture
Isabelle affirme s’être fait torturer mentalement et tabasser par les gardes.
«Je me suis fait brasser, kicker, détaille-t-il. J’ai vu beaucoup d’actes de violence de la part des gardes. Ils brisent tout, ils te crient après devant tout le monde.»
Une fois, un détenu d’origine russe aurait été victime de cette rage, près de lui.
«Je me disais: “Ils vont vraiment le tuer devant mes yeux.” Il n’arrivait plus à respirer, un peu comme George Floyd. Tu y penses deux fois avant d’argumenter.»
«C’est de la torture mentale que tu vis jour après jour», lance-t-il, estimant avoir poireauté 40 jours en isolement, au «trou».
Selon ses souvenirs, c’était pour des raisons banales comme avoir tapoté amicalement le dos d’un codétenu, ou avoir eu une discussion non autorisée.
La règle voulait qu’ils n’aient pas de contacts physiques entre eux, dit-il.
Dans ces cellules d’isolement, les gardiens n’éteignent jamais la lumière et les douches se font rares, raconte Isabelle, et il faut demander pour faire ses besoins.
«Tu t’assois au milieu de la pièce avec les mains sur les cuisses. Tu ne bouges pas de la journée. Tu es surveillé», se remémore-t-il. C’est sans compter que ces cachots seraient parfois entièrement souillés. Au fil du temps, les insectes étaient pratiquement devenus ses amis, ricane-t-il.
«Une fois, il y avait des traces de sang partout, y compris sur la literie, qu’on a refusé de me changer. On dormait et on mangeait souvent au sol. Les coquerelles faisaient la taille de la paume de ma main.»
Pour en ajouter au malheur de celui qui avait alors 21 ans, la pandémie s’est mise de la partie moins d’un an après son arrivée.
Les mesures de sécurité n’ont fait qu’empirer, le forçant à se retrouver encore plus souvent isolé de ses comparses.
«C’était horrible. C’était l’isolement pour tout le monde. On devait porter notre masque même seul, dans notre cellule.»
Engelures et plats dégoûtants
Et puis, même si les hivers sont moins froids au Japon qu’au Québec, cela n’aurait pas empêché Isabelle d’en souffrir, là-bas.
«Tu n’as pas de chauffage. C’est ce que j’ai trouvé le plus dur. Il fait trois ou quatre degrés. Le nombre d’engelures que j’ai eues... J’avais les mains mauves, bleues. Et ça recommence à tous les jours.»
La nourriture y serait aussi répugnante.
«J’ai mangé les pires plats de ma vie. Je ne savais pas ce que c’était, et je ne voulais pas le savoir. L’odeur, je n’oublierai jamais. Des fois, ça me levait le cœur. Mais tu finis par te boucher le nez, puis tu manges.»
Comme à l’hôtel
Une fois par semaine, les prisonniers auraient droit à un film, pour se divertir.
Or, le Québécois croit plutôt qu’il s’agit d’un cadeau empoisonné, d'un supplice.
«Ils te montrent les bandes-annonces de bons films que tu ne pourras jamais voir. Puis, ils te mettent des films plates en anglais, sous-titrés en japonais.»
En plus, il a fallu qu’il travaille dans une usine avec les autres taulards.
«C’est carrément de l’esclavage. Ils te font faire des jobs inutiles pour te faire sentir comme un moins que rien», dit-il.
En comparaison, il croit que les détenus sont carrément dans des conditions de luxe, au Canada. Il estime que les prisons d’ici s’apparentent «à des hôtels».
Comme si ce n’était pas assez, le Québécois à qui on a diagnostiqué des troubles de l’attachement, de personnalité limite et de l’opposition se serait rapidement mis à souffrir d’ennuis de santé importants.
C’est d’ailleurs pour cette raison que sa mère adoptive s’est démenée auprès du gouvernement fédéral pour le faire rapatrier «pour cause humanitaire».
«Les larmes montent facilement quand je pense à ma mère», souffle Jonathan Isabelle, qui a essayé de la rassurer, autant que possible.
Optimiste
Ils se sont échangé une centaine de lettres durant sa détention. La dame, qui a toujours voulu préserver son anonymat, a même payé la majeure partie de l’amende de 35 000$ qui lui a été imposée.
«Je dois avoir sauvé un an, un an et demi, de prison grâce à ça», reconnaît-il.
Heureusement pour lui, les démarches de son transfèrement se sont confirmées l’été dernier. Excité, il avait peine à croire les gardes, lorsque le jour J est venu.
Il avait une pensée pour certains détenus, devenus des amis. «J’étais triste pour eux. Leur galère n’était pas terminée.»
Néanmoins, Isabelle s'efforce de tirer du positif de sa mésaventure.
«Je suis plus attentif à mon entourage, et motivé à faire du positif. J’ai vécu quatre années terribles, mais j’ai appris l’anglais, la discipline, à méditer, à me connaître. Je ne suis plus le même. C’est à moi de choisir si j’en sors grandi ou détruit.»
Finalement, considère-t-il avoir servi de mule, utilisée pour sa naïveté?
«D’une part, oui. Mais je prends le blâme. J’ai pris la décision de le faire», affirme celui qui ne quête pas la pitié, mais qui regrette le mal causé à ses proches.
«Juste d’avoir pu acheter un cadeau pour la fête des Mères, ça me fait tellement du bien. Mes priorités ont vraiment changé. Je pense que j’ai le background pour mener une bonne vie», conclut-il.