Frites, pizza, chocolat: la malbouffe toujours populaire dans les hôpitaux
Le virage santé entamé en 2012 dans les cafétérias laisse encore à désirer à plusieurs endroits
Pizza, hot-dogs, frites, boissons gazeuses et tablettes de chocolat: la malbouffe est toujours présente et populaire dans les cafétérias des hôpitaux du Québec, plus de 10 ans après l’adoption d’une politique qui devait les rendre «exemplaires».
Le Journal a récemment visité les cafétérias d’une quinzaine d’hôpitaux des régions de Montréal et de Québec. Le constat est clair: les clients qui souhaitent manger de la malbouffe n’ont aucun problème à s’en procurer. Il s’agit de la nourriture disponible à l’achat pour les visiteurs et les employés, et non celle servie aux patients.
Par exemple, à l’hôpital Sainte-Justine, spécialisé dans les soins aux enfants malades, Le Journal a pu acheter un hamburger avec bacon, de la pizza dégoulinante de fromage et des boissons sucrées. À l’hôpital de St. Mary, à Montréal, l’une des cafétérias proposait des sandwichs à la viande fumée, des hot-dogs, et une panoplie de desserts sucrés et de chocolats.
«C’est choquant de voir ça», se désole la docteure en nutrition Isabelle Huot, qui note une abondance de gras, de sucre, de sel et peu de légumes dans les assiettes présentées.
Les hôpitaux doivent donner l’exemple, au même titre que les écoles, renchérit Corinne Voyer, directrice générale du Collectif Vital, qui prône les saines habitudes de vie.
À Québec, un menu de type casse-croûte (poutine, frites, hamburgers) est disponible à l’hôpital Saint-François d’Assise et au Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), qui comprend le centre mère-enfant. Des choix plus sains sont toutefois disponibles, comme un «bar à salades».
La friture est toutefois bannie à l’hôpital de l’Enfant-Jésus, ainsi qu’à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ), où les chirurgies bariatriques de la région sont pratiquées.
Saine alimentation depuis... 2012
Pourtant, les centres hospitaliers doivent appliquer depuis 2012 une politique alimentaire saine basée sur les orientations du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Le gouvernement souhaitait faire du réseau «un milieu exemplaire en matière d’offre alimentaire au Québec», écrit le service des communications par courriel.
Le virage santé visé inclut:
- Offrir des repas et des collations de haute valeur nutritive.
- Éliminer la friture et l’usage d’aliments préalablement frits.
- Éliminer de l’offre alimentaire les boissons sucrées (boissons gazeuses et boissons à base de fruits) et les boissons contenant des édulcorants.
- Éliminer les produits dont le principal ingrédient est le sucre ou un équivalent.
- S’assurer d’offrir des desserts et des collations à base de fruit ou de lait.
Or, ces objectifs ne sont pas obligatoires: chaque direction demeure responsable de son offre alimentaire. D’ailleurs, le MSSS n’a mis en place aucune mesure coercitive pour obliger les hôpitaux à s’y conformer.
De plus, rien n’empêche les employés et les visiteurs de manger à l’hôpital de la malbouffe qui aurait été achetée à l’extérieur.
Mme Voyer déplore le fait que l’accompagnement du ministère n’a pas été à la hauteur du virage.
«C’est un peu triste. On lance de belles orientations, mais il n’y a pas d’équipe pour soutenir les [hôpitaux] sur le terrain, déplore-t-elle. Il n’y a pas eu de suivi. Ça explique pourquoi c’est inégal, ça dépend de la vision de chaque direction.»
- Écoutez l'entrevue avec Corinne Voyer, directrice générale du Collectif Vital via QUB radio :
Manque de cohérence
Certains hôpitaux se démarquent avec des menus bannissant presque entièrement la malbouffe, comme ceux de Verdun et de Longueuil et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, où les chirurgies bariatriques de la région sont pratiquées.
Et malgré l’abondance de malbouffe à certains endroits, il est toujours possible de choisir des options santé. Cependant, l’offre alimentaire manque parfois de cohérence, car des options sucrées et grasses sont notamment disponibles dans des machines distributrices.
Le CHUM se targue de bannir le bacon au déjeuner, cependant, l’assiette vient avec de petites patates et des saucisses.
À la Cité-de-la-Santé de Laval, la cafétéria proposait les options parmi les plus saines, avec un comptoir à salades et des sandwichs frais sur commande. Mais deux étages plus bas, un casse-croûte sert des hot-dogs et regorge de chips, friandises et boissons sucrées.
À plusieurs endroits, les cafétérias proposent les chips en version «cuites au four», les saucisses ou le bacon à la dinde, ou des boissons «diètes» ou édulcorées.
«On reste dans du fast food. On essaie de lui donner une connotation santé, mais on n’est pas du tout dans un menu santé, remarque Isabelle Huot. Pour moi, il faut aller plus loin que ça.»
Les croustilles, les tablettes de chocolat et les boissons sucrées sont abondantes dans tous les hôpitaux. «Une boisson santé, c’est de l’eau, du lait, des boissons végétales enrichies», dit-elle, ajoutant que les Gatorade, thés glacés ou jus de fruits contiennent énormément de sucre.
–Avec Jonathan Tremblay
- Écoutez la rencontre Huot-Montpetit avec Isabelle Huot, docteure en nutrition au micro de Marie Montpetit via QUB radio :
Les hôpitaux doivent prêcher par l’exemple
Les hôpitaux doivent prêcher par l’exemple en retirant la malbouffe des étalages de leur cafétéria, plaident divers intervenants.
«Le réseau de la santé devrait avoir des pratiques exemplaires. [...] Si on veut que les gens suivent de bonnes pratiques, il faut nous-même montrer l’exemple et encourager ces comportements-là », soutient la Dre Marie-Claude Letellier de l’Association des spécialistes en médecine préventive du Québec.
Même son de cloche pour la présidente de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec, Joëlle Emond. «Il est important que les établissements de santé se positionnent comme leaders en matière de saine alimentation», dit-elle.
D’ailleurs, elle déplore le fait que de moins en moins de nutritionnistes soient embauchées comme gestionnaires des services alimentaires, en plus de la grande place accordée aux concessions et entreprises privées, qui ne sont pas nécessairement encouragées à suivre la politique d’une saine alimentation.
À Montréal, le CUSM compte notamment sur des comptoirs Subway, Sushi Shop et de crème glacée du Bilboquet.
Selon Mme Emond, il faut avant tout mesurer la pertinence d’une offre alimentaire plus saine au-delà des coûts.
«Les dollars investis dans les services alimentaires pour bonifier la qualité nutritionnelle, en prévention, ça équivaut à combien de dollars sauvés en soins? Le gouvernement doit se poser cette question-là», demande-t-elle.
Profits et fondations
Les profits de plusieurs cafétérias vont directement à la fondation du centre hospitalier, ce qui peut encourager certaines directions à vouloir maximiser les profits.
Le CHU Sainte-Justine répond que l’offre alimentaire est en «constante amélioration depuis 10 ans», notamment avec l’élimination de la friture et un meilleur contrôle du sodium.
«Bien que les hamburgers et la pizza soient des mets de cuisine rapide, les aliments utilisés pour les préparer répondent aux critères nutritionnels de la politique alimentaire», écrit Josée Lavoie, coordonnatrice de la direction des activités d’alimentation.
À St. Mary, la direction répond vouloir «accompagner la Fondation afin qu’elle puisse se conformer à la politique alimentaire».
De son côté, le CHU de Québec répond miser sur le « libre choix », étant donné «la demande élevée notamment de nos intervenants de maintenir un menu diversifié ». «[...] Les intervenants et usagés peuvent prendre l'alternative santé qui remplace, par exemple, la frite», mentionne la porte-parole, Marilou Couture.
Aliments locaux
Pour sa part, le CHUM souligne que près de 60% des denrées servies sont des produits locaux, du programme Aliments du Québec, et qu’il n’y a aucune friture. «Tous les aliments servis à la cafétéria sont faits maison, des repas chauds et froids jusqu’aux desserts», précise la porte-parole Andrée-Anne Toussaint, ajoutant que le calcul des protéines, la faible teneur en sel et l’apport en fibres sont prises en compte.
«Quant aux petites gâteries encore disponibles, tout est une question d’équilibre et elles sont minimes dans l’offre alimentaire de qualité proposée par le CHUM», précise-t-elle.
Malgré la vente de pizza ou de chips par exemple, le CUSM se dit «conforme à la politique d’alimentation saine du MSSS» et souligne qu’«aucune promotion n’est faite pour les boissons sucrées» même si elles sont largement disponibles.