

Les pensionnats
de l'horreur

Le premier enfant enlevé était un Innu du Québec
Bien que les pensionnats aient été construits au Québec des décennies après ceux du reste du pays, la pratique d’enlever les enfants autochtones à leur famille est ancrée profondément dans l’histoire de la province: le tout premier enfant déraciné l’a été ici, au bord du Saint-Laurent.
«Dès qu’ils sont arrivés en Nouvelle-France, les missionnaires ont ciblé les enfants, ça n’a rien de nouveau», indique l’historienne Emma Anderson.

Mme Anderson a consacré sa thèse de doctorat à l’Université Harvard à Pierre Antoine Pastedechouan, le tout premier enfant déraciné du Canada, dès 1620.
Enfants intermédiaires
L’enfant était un innu, né et élevé dans la forêt boréale. Quand il a atteint l’âge de 11 ans, sa famille a accepté de le confier aux missionnaires récollets qui œuvraient alors sur les rives du fleuve. Les religieux voulaient en faire un traducteur qui pourrait convertir son peuple et aider les colons à conquérir le territoire.
La pratique est courante partout dans les Amériques et n’est pas à sens unique. Des orphelins français ont par exemple été emmenés à la conquête du Brésil pour apprendre les langues et coutumes des peuples locaux et servir ensuite d’interprètes aux colons.
Pierre-Antoine Pastedechouan, lui, fait le chemin inverse jusqu’en France où on lui inculque le français et le catholicisme dans un couvent de Angers où il réside pendant cinq ans, relate Mme Anderson. Il a reçu le prénom Pierre-Antoine lors d’un baptême en grande pompe à la cathédrale d’Angers.
Aucun droit

À l’époque, les droits des enfants n’existent pas. Les parents ou tuteurs ont droit de vie et de mort sur eux.
Les premières lois réglementant le travail des enfants, puis rendant la scolarisation obligatoire, n’apparaissent qu’au 19e siècle. Quant au premier texte international sur les droits spécifiques des enfants, il ne paraît qu’en 1924 lors de l'adoption de la Déclaration de Genève.
Donc quand en 1626 les religieux annoncent à Pierre-Antoine qu’il doit retourner en Nouvelle France, il n’a aucun droit de refus bien qu’il tente de plaider sa cause en demandant en pleurs «comment mon Père vostre Révérence voudroit-elle bien me renvoyer entre les bestes qui ne cognoissent point Dieu?»
Son retour en 1626 sur les rives du Saint-Laurent est cependant un échec. Écartelé entre deux cultures, Pastedechouan ne parvient pas réintégrer sa communauté et devient inutile pour les missionnaires. Renié à la fois des Innus et des Européens, il meurt abandonné de tous, de faim et de froid, en 1636. Il a 26 ans.
Les pensionnats
dans le temps

Un premier pensionnat catholique ouvre ses portes à l’emplacement de la ville de Québec à l’époque de la Nouvelle-France.

Le rapport de la Commission Bagot suggère que la meilleure manière d’assimiler les enfants autochtones est de les séparer de leurs parents.

Adoption de La Loi sur les Indiens. Elle vise à éradiquer la culture des Premières Nations et à assimiler les Autochtones.

Sir John A. Macdonald autorise la création du système de pensionnats indiens sur la base du rapport Davin.

Le fédéral signe un accord officiel avec l’Église catholique lui confiant l’opération des pensionnats.

Le Dr Peter Henderson Bryce, médecin-chef du ministère des Affaires intérieures et indiennes, indique que le taux de mortalité des enfants en institution est de 25% et 69% après leur départ. Il publiera ensuite The Story of a National Crime dans lequel il accuse Ottawa de «négligence criminelle».

Le surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, rend les pensionnats obligatoires pour les enfants de 7 à 16 ans. Les récalcitrants seront arrêtés et emmenés de force, les parents emprisonnés.

La Loi sur les Indiens donne aux provinces l’autorité sur le bien-être des enfants des réserves. Au cours des décennies suivantes, plus de 20 000 enfants sont enlevés et mis en adoption. C’est la rafle des années 1960.

Le fédéral prend le relais des églises et assume la pleine responsabilité des pensionnats.

Fermeture du dernier pensionnat. Il s'agit du pensionnat de Kivalliq Hall, à Rankin Inlet, au Nunavut.

La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens offre une compensation aux survivants à la suite d’un recours collectif contre le gouvernement fédéral. Elle financera la création l’année suivante de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR).
Les 12 pensionnats du Québec
Officiellement, 12 pensionnats et foyers autochtones ont existé partout au Québec. Des enfants d’à peine 5 ans y étaient séparés de leur famille dans le but d’être assimilés. Abusés, mal nourris, négligés, plusieurs n’en sont jamais revenus. Ces établissements sont recensés dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Ce règlement de recours collectif contre le fédéral reconnaît 140 pensionnats au pays. Le portrait est toutefois incomplet. Voici ceux qui ont été répertoriés au Québec.
Cliquez pour les informations
Foyer fédéral de George River
19601960Lieu : Kangiqsualujjuaq
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation inuite
Amos, Pensionnat indien d’Amos, Pensionnat indien de St. Marc, St-Marc-de-Figuery
19551973Lieu : Amos (Saint-Marc-de-Figuery)
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation algonquine : Pikogan, Barriere Lake, Lac-Simon, Wolf Lake, Timiskaming, Winneway, Kitigan Zibi; Nation atikamekw : Manawan, Wemotaci, Opitciwan; Nation crie : Waswanipi, Waskaganish; Nation innue : Mashteuiatsh; Ontario (province) : Wahgoshig.
Vocation actuelle : Le bâtiment a été démoli. Une partie du site a été acquise par la communauté algonquine de Pikogan. Une section du site est devenue un lieu de commémoration. Le mobilier du pensionnat a été distribué dans plusieurs communautés algonquines. Une partie du bâtiment a été déménagée à Amos.
Sept-Îles, Notre Dame, Maliotenam
19521971Lieu : Sept-Îles
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation innue : Uashat mak Mani-Utenam, Pessamit, La Romaine – Unamen Shipu,Ekuanitshit – Mingan, Nutashkuan, Matimekush–Lac-John, Pakua Shipu, Essipit; Nation inuite : Kuujjuaq
Vocation actuelle : Le site du pensionnat, qui a été détruit, accueille le Festival Innu Nikamu dans la communauté innue de Uashat mak Mani-Utenam.
Fort George, St.Phillip's
Lieu : Fort George
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation crie : Wemindji, Eastmain, Waskaganish, Chisasibi, Nemaska, Whapmagoostui.
Vocation actuelle : L’établissement a été abandonné en 1975, tandis que le matériel et le mobilier a été transféré à la Commission scolaire Crie.
Fort George, Mission St-Joseph, Résidence Couture, Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus
Lieu : Fort George
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation crie : Chisasibi, Waskaganish, Wemindji, Eastmain, Whapmagoostui; Nation innue : Mashteuiatsh; Ontario (province) : Moose Fort, Albany, Moosonee, Attawapiscat.
Vocation actuelle : L’établissement aurait été incendié en 1984.
Foyers de Fort George
Lieu : Fort George
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation crie
Foyer fédéral de Great Whale River, Poste-de-la-Baleine, Kuujjuaraapik
19601970Lieu : Kuujjuaraapik/Whapmagoostui
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation inuite
Foyer fédéral de Port Harrison, Inukjuak, Inucdjuac
19601971Lieu : Inukjuak
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation inuite
Foyer fédéral de Payne Bay, Bellin
19601962Lieu : Kangirsuk
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation inuite
La Tuque
19631978Lieu : La Tuque
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation crie : Waswanipi, Mistissini.
Vocation actuelle : Vocation actuelle : La majorité du complexe du pensionnat a été démoli. Un édifice est maintenant un Centre de la petite enfance et un autre sert d'auberge.
Pointe-Bleue
19601991Lieu : Pointe-Bleue
Nations et communautés d’origine des enfants : Nations innue : Mashteuiatsh, Uashat mak Mani-Utenam, Nutashkuan, La Romaine – Unamen Shipu, Matimekush–Lac-John, Pessamit; Nation atikamekw : Manawan, Opitciwan, Wemotaci; Nation abénakise : Odanak; Nation algonquine : Kitigan Zibi; Ontario (province) : Wahgoshig
Vocation actuelle : Le bâtiment de l’ancien pensionnat abrite l’École secondaire Kassinu Mamu dans la communauté innue de Mashteuiatsh.
Foyers de Mistassini
19711978Lieu : Mistassini
Nations et communautés d’origine des enfants : Nation crie
Vocation actuelle : L’école blanche a été déménagée et complètement refaite. L’école rouge a aussi été déplacée, mais a été détruite par un incendie il y a une quinzaine d’années.
Que sont-ils devenus?
Sept-Îles
«Nous étions comme des animaux»

En se faisant traiter comme une bête, Raoul Vollant s’est fait voler son enfance, comme des milliers d’autres jeunes Autochtones qui ont fréquenté le pensionnat de Maliotenam, à l’est de Sept-Îles.
« J’ai grandi avec les animaux au Labrador [et] mon père était chasseur-cueilleur, se souvient Raoul Vollant. Du jour au lendemain, je me suis réveillé dans un immense dortoir. On venait de m’arracher à mes parents et je venais de perdre un lien avec la nature. Je m’en souviens encore très bien. J’avais 8 ans ».
10 Longues années
L’Innu de 68 ans a fréquenté le pensionnat pendant un peu moins de 10 ans, dans les années 1960, comme les autres enfants de sa famille. Le bâtiment du pensionnat a été détruit et le site est depuis 1984 l’hôte du festival autochtone Innu Nikamu, cofondé par son frère, le chanteur Florent Vollant.

Le sexagénaire se souvient de ce qui se passait dans cet immense édifice, qui pouvait contenir jusqu’à 500 personnes.
« Chaque journée commençait avec une prière. Nous étions comme des animaux. On ne pouvait pas parler notre langue. On circulait toujours en rang et on avait tous notre numéro. J’étais le numéro 11. »
Enfant, il a vécu un véritable calvaire.

« On avait seulement la chance de voir nos parents une fois dans l’année, à l’été. Les jeunes qui venaient de régions plus éloignées ne pouvaient pas sortir pour aller les voir. C’était trop loin. Je n’ai pas eu une enfance normale. C’est inimaginable à quel point c’était traumatisant », s’insurge-t-il.
« En plus, j’ai vécu de nombreux abus physiques, psychologiques et sexuels. Ça ne s’oublie pas, souffle-t-il. C’est une cassette qui rejoue sans cesse dans ma tête. »
Besoin de savoir la vérité

Selon lui, le pensionnat est l’une des raisons d’un mal de vivre encore présent pour plusieurs Innus. « En moins de 20 ans, on a détruit une génération au complet », lance celui qui n’hésite pas à parler de « génocide culturel »
« Les gens de mon âge, dans ma communauté, qui ont fréquenté le pensionnat, sont presque tous décédés, poursuit-il. Plusieurs souffraient d’alcoolisme. Les blessures psychologiques causées par le pensionnat ont fini par les tuer. »

La découverte de 215 enfants autochtones retrouvés enfouis sur le site d’un ancien pensionnat de la Colombie-Britannique a ravivé de mauvais souvenirs chez lui.
Comme d’autres, il s’interroge à savoir si ce qui est arrivé dans l’Ouest pourrait s’être produit ici.
« Je veux savoir si des enfants d’ici ont subi le même sort ! Je me souviens qu’un incinérateur était présent sur le site pour brûler les déchets [...]. Je ne veux rien insinuer, mais il y avait parfois des enfants disparus. À l’époque, c’était tabou. Tout le monde avait peur des curés. Si on enquête, on va peut-être savoir la vérité », laisse-t-il tomber.
Symbole d’une nouvelle ère

Le site du pensionnat Notre-Dame de Maliotenam est devenu un symbole après que les bâtiments eurent été démolis et enterrés.
Depuis 1985, des Autochtones brillent dans le cadre du Festival Innu Nikamu, le plus important festival de musique autochtone au Québec et l’un des plus importants en Amérique.
Plus de 10 000 personnes s’y rassemblent en août pour profiter des spectacles d’une trentaine d’artistes majoritairement issus des Premières Nations.

« Pour certaines personnes, le fait que le festival se tienne à cet endroit est une forme de symbole positif, explique le coordonnateur de l’événement, Kevin Bacon Hervieux. Ça permet de panser les blessures du passé avec quelque chose d’utile pour la communauté. »
La Tuque
Des pensionnaires marqués par la mort d'une des leurs
Des survivants du pensionnat de La Tuque, en Mauricie, n’ont rien oublié des insultes, des sévices, et de la mort prématurée d’une fillette muette de 8 ans, des décennies après avoir quitté cet établissement de malheur.

«Juliette, c’était notre bébé. On l’habillait, on prenait soin d’elle, on la protégeait…», se rappelle Mary Coon, en repensant à Juliette Rabbitskin, l’une des 38 enfants autochtones qui a officiellement perdu la vie dans un pensionnat au Québec.

Les deux filles partageaient le même dortoir au pensionnat anglican de La Tuque, ouvert en 1963 pour assimiler les enfants cris de Mistassini et de Waswanipi, et administré par l’église anglicane.
C’est là que Juliette Rabbitskin est morte en 1966, vraisemblablement lors d’une épidémie d’influenza.
Mary Coon, qui avait 14 ans à l’époque, raconte comment elle a d’abord veillé la petite qui ne pouvait parler en lui chantant des berceuses en ce funeste soir d’avril.
Comment elle a alerté les adultes, qui lui ont semblé nonchalants, quand l’état de Juliette a sérieusement commencé à se détériorer.
Comment elle attendu l’ambulance pendant une éternité en serrant sa petite main dans la sienne, avant de la déposer elle-même sur la civière.
Morte et enterrée
Quelques jours plus tard, l’adolescente était l’une des seules élèves autorisées à assister à son enterrement, un épisode qu’elle a rapporté au passage de la Commission de vérité et réconciliation.

«Je voulais être sûre qu’elle ait son toutou et son gilet violet troué qu’elle aimait tant, alors je les ai lancés dans la fosse [du cercueil]», raconte-t-elle au Journal.
«Le monde du pensionnat ne l’oubliera jamais», ajoute-t-elle d’une voix douce.
Les parents informés plus tard
Les parents de Juliette, eux, n’ont pu lui dire adieu, faute d’avoir été avisés à temps.
«Ils ont seulement appris sa mort quand on est revenus pour les vacances d’été», témoigne Emily Rabbitskin, la soeur de Juliette.
Mary Coon a rencontré leur père, il y a des années. L’homme lui a pris la main et a déposé un bec dans sa paume, «comme s’il donnait un bec à son bébé», se rappelle-t-elle, grandement émue.
Aujourd’hui, celle qu’on surnommait «Jeewah» repose au cimetière anglican de La Tuque, mais peut-être plus pour longtemps.
«On veut la ramener à Mistassini. En ce moment, elle est toute seule, loin de tout le monde», affirme sa soeur, qui a entamé des démarches en ce sens avant la pandémie.
En attendant, sa toute petite tombe, à l’écart des autres, est recouverte de toutous et de fleurs par des survivants depuis quelques jours.
Malgré la mort de Juliette, le grand chef de la Nation crie, Abel Bosum, doute qu’une fosse commune semblable à celle de Kamloops soit découverte à La Tuque, entre autres parce que ce pensionnat est parmi les plus récents au pays.
«Je crois que ce sont les pensionnats du début des années 1900 qui étaient les pires. Les missionnaires avaient un contrôle total», dit celui qui a passé 9 ans à celui de La Tuque.
Des fouilles seront demandées seulement si des membres de sa Nation en ressentent le besoin.
Humiliations et punitions
Quoiqu’il en soit, les autres élèves qui ont survécu à leur séjour à «l’École des Indiens» n’en sont pas sorti indemnes pour autant.
«T’es pas obligé de vivre quelque chose de traumatisant pour être traumatisé… T’as juste besoin d’être témoin», dit Mary Coon, 69 ans, la gorge nouée au bout du téléphone, à Wetomaci.
L’aînée a ainsi vu de ses camarades de classe se faire plonger la tête dans la cuvette à répétition, ou encore être frappés nus à coup de serviette mouillée en guise de punition.
«Il y avait de la violence, on a rendu les enfants méchants», soutient Mme Coon.
Parler cri était notamment interdit sous peine de devoir manger du savon, une punition qu’elle-même a trop souvent connue.
Contrairement à d’autres pensionnaires, ceux de La Tuque étaient éduqués dans des écoles de la région à partir de la 3e année du primaire, aux côtés d’élèves allochtones.

«Les deux premiers mots que j’ai appris en français ont été “sauvage” et “kawish”», confie le Grand chef Bosum, qui s’est déjà fait lancer des roches en raison de ses origines.
La situation au pensionnat semble s’être légèrement améliorée après l’arrivée d’un nouveau directeur, en 1968, rapportent des ex-pensionnaires.
«C’est des individus comme [le père Bernard] Bonnard qui ont fait la différence. Mais il est évident qu’il a aussi appliqué les politiques en vigueur dans tous les pensionnats», juge M. Bosum.
L’établissement a été géré par le gouvernement fédéral à partir de 1970 et a finalement fermé ses portes en 1978, 15 ans après son ouverture.
Hormis les châtiments cruels, la Commission de vérité et réconciliation a documenté au moins trois cas d’inconduite sexuelle alléguée au pensionnat de La Tuque, dont une impliquant un employé et une fillette de 10 ans avec qui il s’était enfermé dans la buanderie.

La culture cachée est maintenant enseignée
Un édifice du pensionnat indien de La Tuque épargné par la démolition héberge aujourd’hui un CPE et un programme préscolaire pensé pour les enfants autochtones.
À l’horaire des tout-petits dans les dernières semaines? Fabrication de tipis dans la forêt, chant de comptines en atikamekw et préparation d’un pow-wow de fin d’année.
«On leur montre à être fiers de leur culture», résume avec enthousiasme Marie-Eve Weizineau, éducatrice à la petite enfance d’origine atikamekw au CPE Premier pas.
C’est elle qui anime le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones («PAPA») dans l’ancienne école primaire rattachée au pensionnat autochtone de La Tuque et aujourd’hui rénovée.
Un second souffle

Le CPE s’est porté acquéreur de tout le complexe de bâtiments du pensionnat en l’an 2000, alors qu’il était à l’abandon depuis des années.
«On s’est dit que ce serait une bonne idée de donner un second souffle à cette bâtisse», se rappelle Christiane Morin, chargée de projet à l’époque et aujourd’hui directrice du CPE.
La ville de La Tuque a cependant mis en demeure le CPE en 2006, l’obligeant à démolir le bâtiment principal des dortoirs «pour assurer la sécurité des lieux», explique Hélène Langlais, porte-parole de la Ville.
Premier Pas n’a eu d’autre choix que d’obtempérer. «Notre mission n’était pas de travailler dans l’immobilier, mais d’offrir des services de garde. On n’avait ni l’expertise ni l’argent [pour préserver le pensionnat]», soupire Mme Morin.
Ambivalence
Le jour de la démolition, environ 200 ex-pensionnaires se sont réunis une dernière fois dans ces lieux à l’origine de grandes souffrances.
«Sur le moment, quand ça a été détruit, j’étais comme contente. J’ai voulu oublier ce qui s’est passé là. Aujourd’hui, j’aurais préféré que [le pensionnat] reste debout», affirme Mary Coon, qui y a habité de 7 à 16 ans.
L’aînée crie déplore que La Tuque ne commémore pas plus l’existence de son pensionnat.
Par exemple, nulle part y est-il fait mention de sa présence dans les deux livres d’histoire publiés pour le 100e anniversaire de la ville, et aucune pancarte ne signale le lourd passé du terrain.
«Vous, La Tuque, vous avez accepté d’avoir une bâtisse où on arrachait les enfants de leurs parents. Les petits Indiens font partie de votre histoire», soutient Mme Coon.
«C’est plus facile [pour la municipalité] de le démolir pour que le moins de gens possible soit au courant. Ça contribue à effacer le passé des lieux», ajoute le grand chef de la Nation crie, Abel Bosum.
Amos
Un pensionnat transformé en lieu de recueillement

Le pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery, en Abitibi-Témiscamingue, est devenu un lieu de recueillement pour les survivants et leurs descendants.
Pendant 47 ans, un immense bâtiment s’est élevé dans le petit village de Saint-Marc-de-Figuery, immanquable sur le bord de la route 111 qui relie Val-d’Or et Amos. Le pensionnat pouvait accueillir jusqu’à 200 enfants Anishnabeg (Algonquins) et Attikameks.
De Pikogan, près d’Amos, Johnny Wylde a fréquenté l’établissement au début des années 1960. « C’était très dur », se remémore-t-il.
« L’autobus nous attendait et on pensait revenir le soir. Rendu au pensionnat, c’était une grosse bâtisse. [C’était] impressionnant. Et quand on a vu les dortoirs, c’est là qu’on a réalisé qu’on ne retournerait pas [chez nous]. »

Depuis huit ans, il coordonne les dossiers qui concernent le pensionnat pour le Conseil de la Première Nation Abiti-biwinni. Dans sa communauté, il organise des rencontres et des activités pour les survivants du pensionnat.
« On ne s’occupe pas juste de ceux qui sont allés au pensionnat. C’est l’autre génération aussi. C’est quasiment toute la population. Ça touche aussi les jeunes qui veulent savoir ce qui s’est vraiment passé. »

L’édifice a disparu du paysage. Après la fin de ses activités en 1973, un homme d’affaires de la région en a fait l’acquisition. Il était question d’en faire un hôtel ou une auberge et de développer un complexe récréotouristique sur les lieux. Au début des années 1980, un organisme a aussi manifesté son intérêt pour y installer un centre de désintoxication.
En parallèle, une partie du bâtiment a été déménagée à Amos, à une vingtaine de kilomètres, où il a servi à ériger un bâtiment commercial.

Se rappeler
Aujourd’hui, un secteur du site a été transformé en domaine résidentiel. En 2013, une section est devenue un lieu de commémoration. Une plaque y est érigée pour rappeler le passage des enfants.
« La commémoration, c’est pour se rappeler, prendre un temps d’arrêt, se rappeler sans être amer... et pour se dire qu’à l’avenir, ce sera différent », peut-on y lire.

Des cérémonies de purification sont organisées presque annuellement.
« Quand nous avions organisé le premier événement, des femmes m’avaient [confié] qu’elles ressentaient [la présence] de jeunes filles, là où il y a un arbre, a révélé la vice-cheffe de Lac-Simon, Pamela Papatie. La purification a été mise en pause à cause de la pandémie, mais je voudrais qu’on continue d’en faire avec nos voisins de Pikogan. »

La cheffe de sa communauté est en faveur de fouilles sur le terrain afin de vérifier si des petits corps pourraient s’y trouver.
Le Conseil de la Première Nation Abiti-biwinni espère aussi que des recherches seront entreprises sur le site. Il organise une marche en mémoire des 215 enfants enterrés sur le site du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, et profitera de l’occasion, le 19 juin, pour faire entendre sa revendication.
Baie James

13 ans de sévices pour un enfant de la baie James
Kenneth Weistche avait 5 ans lorsqu’il a été arraché à sa famille dans son village natal de Waskaganish, au bord de la Baie-James, en 1962. Il a relaté ses 13 années d’abus.

« Les agents des Affaires indiennes sont venus en avion à la fin du mois d’août et ils ont pris tous les enfants, relate le Cri. Je me souviens encore des yeux de ma mère, des yeux rouges. Elle n’arrêtait pas de pleurer. »
Pour Kenneth Weistche, c’est le début des abus qui ont duré des années, qui le marqueront au fer rouge et auxquels plusieurs de ses petits camarades ne survivront pas.
Il a d’abord passé deux ans au pensionnat anglican Bishop Horden Memorial School, sur l’île de Moose Factory, du côté ontarien de la Baie-James. Puis il a été transféré au pensionnat St-Phillip, sur l’île de Fort George, du côté québécois de la baie.
St-Phillip a été le premier pensionnat ouvert au Québec, en 1933. Il a fermé en 1975. L’Église catholique a tenu un autre pensionnat non loin, entre 1938 et 1981 : la Mission Saint-Joseph.
« Je connais des étudiants qui sont morts, confie M. Weistche. Des enfants tués, oui, il y en avait. Ils ont tué beaucoup d’entre nous »
Directeur pédophile
Quand il est arrivé à St.Phillip à l’âge de 7 ans, l’institution était dirigée par un pédophile notoire: William Starr.
L’homme a été reconnu coupable en 1993 de dix chefs d’agression sexuelle sur des garçons de de 7 à 14 ans dans un autre pensionnat, en Saskatchewan, où il a été transféré en 1968.
Peu avant sont transfert, en 1965, d’après un document produit par le gouvernement fédéral, il était atteint d’une hépatite infectieuse, une maladie sexuellement transmissible.
Après son procès, Starr a déclaré qu’il ne se rappelait pas combien d’enfants il avait abusé, mais qu’il pourrait y en avoir «des centaines». Les agressions décrites lors du procès par les survivants, puis devant la Commission de Vérité et de Réconciliation, était d’une violence particulièrement choquante.
Foyers familiaux
Pour M.Weistche, le cauchemar s’est poursuivi lorsqu’il a été transféré au secondaire, à Noranda. Là, en l’absence de pensionnat, les adolescents cris étaient logé dans des «foyers familiaux», des familles choisies et rémunérées par le gouvernement fédéral.
Ce lieu où le jeune Kenneth a vécu avec trois camarades n’avait rien d’un foyer mais tout d’une maison des horreurs.
«L’homme venait soul dans notre chambre pour nous abuser sexuellement la nuit», confie-t-il, très vite, comme pour fuir les fantômes qui le hantent depuis.
Quand il a pu quitter Noranda à 18 ans, M.Weistche a sombré dans l’alcool. Il lui a fallu dix ans avant d’être sobre à nouveau.
«C’est le gouvernement du Canada qui m’a fait tout ça, grogne-t-il. Partout, il y avait des agents des Affaires indiennes. Ils étaient là, ils voyaient tout. C’est incroyable ce qu’ils nous ont fait. Nous étions juste des enfants. Ils nous ont mis en prison pour le seul fait d’être autochtone.»
Combien de petits fantômes sur la baie ?
Des douze pensionnats qui ont existé au Québec, ceux de Fort George sont ceux où il est le plus probable que des enfants soient enterrés dans des fosses communes similaires à celle de Kamloops, en Colombie-Britannique.
Les pensionnats de Fort George, St-Phillip’s et Saint-Joseph, sont les seuls en opération avant 1950 au Québec.
Or, « les premiers pensionnats, ceux qui ont été construits au début des années 1900, étaient les pires. Les missionnaires avaient le contrôle total », indique le grand chef de la Nation crie, Abel Bosum.

D’après l’analyse de la Commission de vérité et de réconciliation, c’est dans ces établissements de la première moitié du siècle qu’un plus grand nombre d’enfants sont morts, notamment en raison des mauvaises conditions d’hygiène et des épidémies.
De 1941 à 1945, le taux de mortalité des petits pensionnaires autochtones était 4,9 fois plus élevé que celui des écoliers blancs. Dans les années 1960, il est demeuré deux fois plus élevé.

D’après un portrait parcellaire de St-Phillip produit par le gouvernement fédéral et consulté par Le Journal :
+ Entre 1944 et 1962, les ordures s’accumulent dans 14 puits à ciel ouvert autour de l’établissement, le chauffage est déficient, l’eau courante quasi inexistante, et il n’y a aucun système d’égout.
+ Avant 1958, seul le personnel bénéficie de toilettes, les enfants, eux, doivent se soulager dehors.
+ Entre 1955 et 1961, d’un rapport à l’autre, la bâtisse surpeuplée est jugée dans un état «extrêmement mauvais», «défavorable», «déplorable».
+ Entre 1940 et 1974, des enfants sont frappés tour à tour par la méningite tuberculeuse, la malnutrition, la rougeole, le scorbut, les oreillons et la grippe. Leur nourriture est souvent avariée et attaquée par des souris.
Des corps ailleurs

L’avocat David Schulze, qui défend des douzaines de survivants cris de la Baie-James, souligne que des enfants autochtones provenant du Québec ont aussi été envoyés en grand nombre dans les pensionnats des provinces voisines avant 1950. Les familles pourraient donc devoir aller chercher leurs corps ailleurs.
Les enfants mohawks de Kahnawake et de Kanesatake étaient par exemple transporté jusqu’au pensionnat jésuite de Spanish, à Sudbury en Ontario. Les petits mi’gmaqs, eux, étaient exilés à Shubenacadie, en Nouvelle-Écosse.
Pointe-Bleue
Après les sévices, la fierté

Si les autorités espéraient déraciner et assimiler les Autochtones à travers les pensionnats comme celui de Pointe-Bleue, aujourd’hui, l’établissement devenu une école secondaire s’efforce plutôt de transmettre la langue et la culture locale aux nouvelles générations.

Le pensionnat situé dans la communauté de Mashteuiatsh, au nord de Roberval, au Lac-Saint-Jean, a été ouvert par l’Église catholique en 1960, avant d’être administré par le gouvernement fédéral. Ce n’est que trois décennies plus tard qu’il est passé entre les mains du Conseil de bande.
Depuis 1995, ce même bâtiment accueille les élèves de l’école secondaire Kassinu Mamu, qui signifie « tous ensemble ». En juin 2015, une première cohorte de 5e secondaire a été diplômée.

Apprendre la langue
En plus du curriculum scolaire habituel, on s’efforce de transmettre la culture des Pekuakamiulnuatsh dans différents cours, comme ceux d’histoire ou d’arts. « Ce qui me rend fière, c’est d’offrir l’opportunité aux jeunes de la communauté d’en apprendre davantage sur leur langue et leur culture », fait valoir Mélissa Launière, directrice de l’école.

« Il y a des familles qui pratiquent encore certaines coutumes ; par contre, il y en a d’autres où peut-être c’est un peu moins [présent] », poursuit-elle.
Par exemple, on y enseigne le nehlueun qui est la langue locale. « Malheureusement, à Mashteuiatsh, la langue est de moins en moins parlée, souvent les jeunes dans notre classe ne s’intéressent pas trop au nehlueun », observe Francis Kurtness-Bossum, 17 ans, qui aimerait que plus d’heures soient consacrées à son apprentissage.

« Pour moi, c’est quand même important, j’ai plusieurs personnes dans ma famille qui parlent souvent la langue et j’aimerais ça comprendre aussi ce qu’ils disent », explique aussi Dylan Bossum-Weizineau, 16 ans, dont les grands-parents parlent la langue notamment.
Des savoirs traditionnels sont aussi transmis à travers des sorties en nature. Ils y apprennent la chasse, la pêche, la trappe.
« T’es dans le bois, t’es avec tes amis, tu pars à la chasse, pis t’apprends sur ta culture » lance Francis, avec enthousiasme. « Ces sorties en territoire me permettent de remplir “ma dose” de chasse », dit Dylan en riant. « C’est vraiment le fun là-bas, j’aime ça. »
Revirement de situation
« Le pensionnat va toujours rester en mémoire. Mais c’est important aussi de dire : maintenant nous avons une autre vocation, [...] on essaie le plus possible de donner un bagage culturel à nos jeunes », fait valoir Mme Launière.

Selon le chef de la communauté innue, Clifford Moar, dans les années 1990, deux options étaient débattues : démolir le bâtiment au « passé sombre » ou « en faire une école où notre culture, notre langue, notre histoire, notre identité va être enseignée », explique-t-il.
« Quand les gens ont vécu cette expérience des pensionnats, c’est très difficile. Ils nous apprenaient à ne pas nous aimer, donc l’estime de soi était vraiment mise au plus bas. Notre langue n’était pas bonne, notre culture était mauvaise, nos mets n’étaient pas bons. Il y a avait plusieurs espèces d’abaissements de notre mode de vie traditionnel », relate M. Moar, qui a lui-même été dans un pensionnat, à Québec.
« Aujourd’hui, quand on voit que les jeunes sont fiers de leur école, de leur langue, de ce qu’ils apprennent, moi je trouve que c’est une réussite. »
Colère et tristesse

Plusieurs anciens pensionnaires de Pointe-Bleue ont souffert de mauvais traitements. La tragique découverte à Kamloops a engendré beaucoup de colère et de tristesse chez les survivants, raconte le chef Moar.
Pour l’instant, il n’entend pas demander des fouilles à Mashteuiatsh, mais ne ferme pas la porte s’il reçoit des demandes des familles. «J’espère dans le fond de mon cœur que ce n’est jamais arrivé ici, mais je sais qu’il y a eu quand même des sévices que les enfants ont subis», dit-il.
Selon Mme Launière, ce serait important de faire des fouilles, pour que les familles puissent avoir l’heure juste. «Je peux pas dire que j’ai pas de craintes; oui j’en ai des craintes parce qu’on ne sait jamais ce qu’on peut découvrir», confie-t-elle.
Trois écoles autochtones sans affiliation religieuse
Trois écoles autochtones ont été construites au cœur de la communauté de Mashteuiatsh, à l’est du Lac-Saint-Jean entre 1939 et 1950.
Un document de Bibliothèque et Archives Canada confirme que ces trois écoles, situées à Mistassini, ont été gérées par le gouvernement canadien de 1971 à 1976, date à laquelle la Commission scolaire crie en a ensuite assumé la responsabilité.
Ces trois écoles, appelées l’école rouge, l’école blanche et la salle paroissiale, n’étaient pas affiliées à une congrégation religieuse. Ainsi, on pouvait y retrouver des enseignants civils, mais également des religieuses.
L’école rouge était destinée à l’éducation des garçons, tandis que des religieuses enseignaient aux jeunes filles à l’école blanche. La salle paroissiale, qui a été utilisée comme école de façon « temporaire » regroupait des groupes mixtes.
Écoles Déménagées
Selon Pierre Gill, le conseiller en communication de la communauté Kauauitishakanit Takuhimatsheuan, à Mashteuiatsh, l’école blanche a depuis déménagé et a été complètement refaite. Elle n’est « plus reconnaissable » aujourd’hui, soutient-il. L’école rouge a aussi déménagé, mais a été détruite par un incendie il y a une quinzaine d’années.
Toutefois, la Société d’histoire et d’archéologie de Mashteuiatsh n’a aucune trace de ces écoles dans ses archives. La Commission scolaire crie et Bibliothèque et Archives Canada n’ont pas non plus répondu à nos questions sur le sujet.
La valse des excuses officielles
Les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée
L’Église Anglicane du Canada
L’Église Presbytérienne du Canada
L’Église Unie du Canada
La Gendarmerie Royale du Canada
Le Premier ministre Harper au nom du gouvernement fédéral

Crédits :
Auteur.e.s : Elisa Cloutier, Sarah Daoust-Braun, Anne-Caroline Desplanques, Elsa Iskander, Nora T. Lamontagne, Frédéric Marcoux & Émélie Rivard-Boudreau
Photos additionnelles : Domaine public, Adobe stock photo, AGNES CHAPSAL / 24 HEURES / AGENCE QMI, Google Maps
Design : Johanna Reynaud, Cécilia Defer & Kévin Massé
Intégration Web : Cécilia Defer
Réalisation: Charles Trahan