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Bonne tempête!

«Dans mon temps, on s’empêchait pas d’aller à l’école pour une tite tempête de même!»

Bonne tempête!
Ariane Aubert Bonn/LE HAVRE/AGENCE QMI


Aimez l’hiver!   

«Dans mon temps, on s’empêchait pas d’aller à l’école pour une tite tempête de même!»    

Je suis certain que vous l’avez tous entendu celle-là! L’histoire du grand-père qui marchait trois ou quatre milles dans trois pieds de neige pour aller à la petite école...    

N’empêche que dans bien des régions du Québec aujourd’hui, en ce jour de «tempête», les écoles sont fermées, le transport scolaire annulé. Et les enfants jubilent!     

«Pas d’ééééééécooooooole!»    

À ce sujet, petit souvenir loufoque de chargé de cours à l’Université du Québec en Outaouais au campus de Saint-Jérôme. C’était l’hiver de 2012 ou 2013. On annonçait depuis quelques jours la «tempête du siècle». On ne causait que de ça. En pleine mi-session comme en ce moment.     

Je donnais un cours du soir. La veille de mon cours, il y avait bien eu une tempête qui avait laissé quelque 30 ou 35 cm de neige. Les équipes de déneigement s’étaient affairées, et bien que quelques flocons tombaient encore le lendemain soir, il n’y avait rien là pour annuler le cours.    

J’avais reçu le courriel d’une étudiante bien en peine que la tempête ne fut pas plus vigoureuse. La pauvre s’était pas mal fiée sur le buzz médiatique entourant la météo. On annonçait, pratiquement, l’apocalypse.    

«Je ne vous ferai pas de cachettes, telle une gamine d’école primaire, j’ai tellement espéré que le cours soit annulé! Mais les conditions de ski sont hallucinantes! N’avez-vous pas jamais espéré vous aussi que l’école soit annulée à un moment donné?»    

Je lui avais envoyé les notes de cours le lendemain. Comment ne pas sourire? J’étais le king de l’espoir des jours de tempête!    

  

Bonne tempête!
Caricature Ygreck 13 février 2019 Tempête Le Journal de Québec

Assumer et aimer sa nordicité!  

À tout prendre, je préfère cent fois un jour de tempête ou un froid sibérien à n’importe laquelle des journées de canicule. Nous sommes de descendance nordique, nous avons conquis l’hiver, nous en avons fait un élément de notre patrimoine, de notre psyché collective.    

Il se pourrait bien que mes petits-enfants ne connaissent pas les hivers rigoureux de mon enfance ou même les jours de tempête comme celui d’aujourd’hui. Et ce serait bien dommage. Il leur manquerait alors un morceau important de ce qui a forgé notre identité.     

Quand je pense à l’hiver, c’est Pierre Perrault qui me vient à l’idée. Son magnifique documentaire de l’Office national du film (ONF) En r’venant de St-Hilarion que l’on présente de la façon suivante: «Pour passer l'hiver, un village de l'arrière-pays ne peut survivre sans la mémoire des chansons et les accords de la danse.»    

On peut le visionner sur le site de l’ONF, ça vaut le coup; ça te re-crinque le patriote! Ces images de nos ancêtres, des veillées que l’on faisait pour passer le long hiver à cette époque où le chant et nos sets carrés permettaient de briser l’isolement hivernal.     

Quand je pense à l’hiver, c’est aussi la langue du géographe Louis-Edmond Hamelin qui me vient en tête.     

Cette faculté qu’il avait d’inventer les mots pour décrire la réalité québécoise. Joë Bouchard en traite dans Les cahiers de géographie du Québec à propos du livre La nordicité du Québec. Entretiens avec Louis-Edmond Hamelin:     

«Nouveau professeur, Hamelin cherche en 1953 à fonder le Centre d’études nordiques, à l’Université Laval. L’utilisation de l’adjectif nordique pour désigner le Nord du monde, de même que le souhait que l’organisme détienne une vocation multidisciplinaire, représentent des propositions audacieuses pour l’époque. Heureusement, le ministre des Richesses naturelles, René Lévesque, “qui avait une réelle conception du tout-Québec” (p. 30), est séduit par l’approche et appuie le projet. En 1965, Hamelin publie pour la première fois le mot nordicité, un terme scientifique conçu pour décrire le Nord au- delà du 50e degré de latitude. Il est surpris de voir que le mot passe dans la langue commune et qu’on l’emploie pour désigner également le Sud du Québec. Nordicité devient un véritable “mot-programme” qui permet la production d’un langage de plus de 400 mots.  

Une véritable théorie du Nord est exposée, dans ces entretiens, à travers divers exemples de mots créés par Hamelin. Désignant l’étude du Nord, le mot nordologie traduit la conviction, portée par le géographe tout au long de sa carrière, que la meilleure façon d’étudier ce territoire est de regrouper diverses disciplines sectorielles pour accéder à une vue d’ensemble, à un niveau scientifique global. Le Nord, c’est aussi l’hiver, cette nordicité saisonnière qui intéresse particulièrement Hamelin. Pour décrire l’espace occupé par la saison froide, il propose le mot hivernie, appliqué autant à l’espace physique qu’à l’espace mental. Hamelin se désole de la relation difficile qu’un grand nombre de Québécois entretiennent avec l’hiver, malaise désigné par le mot hivernitude, et propose que ceux qui l’acceptent “sont près de leur pays, car, en réalité, accepter l’hiver, c’est accepter la québécité”.»    

Mais ce qui m’a inspiré cette entrée de blogue ce matin, c’est ce court statut d’un homme que j’aime bien lire, l’avocat Raphaël Déry, de Gatineau. Que je me suis reconnu là-dedans!    

«Veille de tempête.   

Partout, on entend des mots paniqués de survivalisme. Cette neige-là, tant attendue et tant crainte, parviendra-t-elle à achever nos siècles de nordicité sur les Vallées du Saint-Laurent et des Outaouais?   

Mais non. Je ne suis pas dupé de cette fausse terreur collective. Ce n’est pas la panique qui s’affiche pas dans vos visages. C’est l’excitation qui monte tout au long du corps et qui prend un élan à la hauteur du cœur.   

L’événement perturbateur dans nos vies rodées de routine. Une tempête de neige qui fait parler d’elle par tous et partout, comme un éléphant dans la pièce, le buzz urbain et la grande visite dont on prépare l’arrivée avec le sourire et l’expectation.   

On se délecte de cette induction de chaos dans la ville. Les écoles seront fermées, le gouvernement sera ralenti par le poids des flocons qui chutent sur l’asphalte.   

Les parents vivent l’imprévu. Le stress du souper et des dodos est tombé. Les sourires ostentatoires défilent tandis que les vents soufflent de plus en plus fort.»    

  

Bonne tempête!
Ariane Aubert Bonn/LE HAVRE/AGENCE QMI

Le Québécois typique aime pester contre la météo à longueur d’année, mais dans le fond, il est bien attaché aux quatre saisons. Et j’ose espérer que, comme moi, vous êtes aussi très attachés à l’hiver!    

Bonne tempête!