Le plagiat, Gad Elmaleh, Robin Williams et les autres
Coup d'oeil sur cet article
On apprenait hier que l’humoriste super star Gad Elmaleh, communément appelé « Gad », était une nouvelle fois la cible d’allégations de plagiat et, cette fois, la « preuve » montre que l’homme se serait même permis de copier-coller des contenus québécois.
La nouvelle a fait le tour de la planète. Pas à cause des contenus québécois, mais surtout parce Gad aurait également eu le culot de plagier les « immortels » de l’humour américain George Carlin et Richard Pryor.
Ce serait l’équivalent chez nous d’avoir un artiste d’outre-mer qui copie Yvon Deschamps et qui s’en pavane sur les plus grandes scènes de la planète en disant « s'en inspirer ».
Et ça n’enlève rien à la gravité de l’accusation en ce qui concerne les contenus de nos humoristes québécois.
Le « hic », c’est que le tout risque de demeurer malgré tout un fait divers, une « une » passagère.
L'Histoire de l'humour n'est pas souvent en faveur des plagiés.
Et ce n’est pas parce que les humoristes acceptent de se faire voler le fruit de leur créativité.
Une triste tradition
Le monde de l’humour est très compétitif. L’offre est généreuse et, même si le public est au rendez-vous, les chances de devenir une super vedette ne sont pas aussi nombreuses que le nombre d’artistes qui y aspirent.
Et une fois au top, la lutte continue pour y rester.
Ce qui entraîne certaines et certains à prendre des raccourcis.
Bien que l’accent soit mis sur la créativité et l’originalité, le plagiat est encore un phénomène persistant, même s’il est moins présent qu’avant, notamment grâce développement des technologies des médias.
Des figures bien connues et appréciées du stand-up américain sont encore aujourd’hui affublées de l’étiquette de voleur, notamment Dane Cook, Jay Mohr et Dennis Leary.
Même mon héros, mon préféré, mon idole, celui dont je suis encore en deuil, Robin Williams, possède une triste réputation à ce sujet. J’y reviendrai plus bas.
Mais pourquoi ce n’est pas davantage dénoncé ?
Tout d’abord, parce que le fardeau de la preuve revient au plaintif, à la victime.
Ensuite, parce que les coûts d’une poursuite formelle, et des frais d’avocat qu’elle nécessite, sont souvent beaucoup trop élevés pour la victime, qui est rarement une grande vedette, et n’a pas les moyens d’investir des dizaines de milliers de dollars.
Et parce que malgré un verdict en sa faveur, la victime ne retirera pas un bénéfice assez élevé pour compenser les coûts.
Les quelques procès qui ont eu lieu ont été menés, en majorité, par des supers vedettes qui dénonçaient des artistes de moindre envergure aux techniques peu louables.
Ces vedettes avaient de quoi payer et pouvaient se permettre de mener l’aventure au tribunal pour des raisons plus philosophiques que monétaires.
Finalement, il reste le risque d’une inspiration simultanée de deux artistes sur un même sujet ou par intermédiaires.
Je m’explique.
Comment séparer le plagiat de l’inspiration secondaire ?
Il y a un peu plus d’un an, dans un congrès scientifique sur l’humour, j’ai eu la chance de partager un repas avec l’un des anciens auteurs de Robin Williams.
Devant sa bonhommie, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander s’il validait les différentes allégations concernant son ancien patron, allégations apparaissant dans plusieurs ouvrages universitaires.
On reproche à Robin Williams, un grand consommateur d’humour dans les comedy clubs, d’avoir noté les gags de collègues ou de les avoir enregistrés pour mieux les reprendre à son compte.
Mon interlocuteur n’a pas voulu complètement nier ni affirmer, mais il a insisté sur le fait que les humoristes consomment beaucoup d’humour par plaisir comme par accident.
Par exemple, en attendant de monter sur scène lors d’une soirée.
Et il peut arriver que certains sujets et gags s’imprègnent, marquent la mémoire, sans réellement qu’on y attache un nom ou un visage.
Un peu comme la fumée secondaire avec la cigarette.
Ce qui rend le plagiat « volontaire » difficile à prouver par rapport à un plagiat « par la bande ».
De plus, surtout en ce qui concerne les humoristes qui suivent de près l’actualité, il est possible que les thèmes de l’heure soient perçus et livrés de manière similaire entre plusieurs humoristes.
Alors, si les humoristes ne poursuivent pas leurs voleurs, que font-ils ?
Les humoristes utilisent un système de normes non écrites, mais connues et partagées entre eux.
Dans le cas de plagiat, une première action est la confrontation directe entre la victime et son voleur qui, la plupart du temps, se résoudra en une entente : échanges, achat des droits contre une certaine somme ou abandon du numéro par le voleur.
Une sanction sera de colporter la nouvelle, afin de mettre l’humoriste « voleur » sur la liste noire des différents clubs et agents, mais aussi des artistes. Certains humoristes peuvent carrément refuser de partager la scène avec un artiste à la mauvaise réputation.
La pression se transmet alors sur l’organisateur de la soirée, qui peut choisir de décommander le supposé voleur.
Une recherche menée aux États-Unis en 2010 fait même état de rares situations qui se sont réglées par l’usage des poings.
Et pour Gad ... ?
Difficile de dire.
Ententes, vente de droits ou tout simplement passer l’éponge... La suite appartient à celles et ceux qui se sentent (ou pas) victimes.
N’empêche, l’univers de l’humour de scène est particulièrement fragile à ce niveau. Les artistes ne peuvent pas publiés ou enregistrés leurs textes à chaque fois qu’ils ont une nouvelle idée, car celle-ci risque de se modifier avec le temps, le travail et le contact avec le public.
De plus, une blague accessible à tous dès sa naissance ne participe plus à l’aura d’attractivité qui nous pousse à la rencontre avec les humoristes, puisque l’effet de surprise a disparu.
Sans ce système de normes, qu’heureusement la plupart des humoristes respectent, notre belle industrie ne serait pas aussi créative et originale qu’elle l’est.