5 ANS APRÈS
LE TREMBLEMENT
DE TERRE
En janvier 2010, tous les yeux des Québécois se tournaient vers Haïti, alors qu’un terrible tremblement de terre ravageait des villes entières, tuant du coup des centaines de milliers de personnes. Cinq ans plus tard, Le Journal est retourné sur les lieux du drame pour vous montrer les progrès accomplis et la nouvelle réalité haïtienne. Si des hôtels de luxe sont en construction, la pauvreté est toujours aussi omniprésente. Je vous invite à découvrir le formidable travail du journaliste Jean-Luc Lavallée et du photographe Daniel Mallard.
Jean LaRoche
Responsable du cahier
PORT-AU-PRINCE | Haïti a-t-elle changé? Un peu? Beaucoup? Chaque Haïtien a sa propre réponse. La question est complexe. Pour plusieurs, l’espoir renaît. Pour d’autres, qui vivent toujours avec moins de 1 $ par jour, à peu près rien n’a bougé depuis que la terre a tremblé.
UN RÉCIT DE JEAN-LUC LAVALLÉE
Envoyé spécial en Haïti
Le 12 janvier 2010, la catastrophe des catastrophes frappait. Tout est arrivé si vite. «Il y a eu un gros tremblement de terre, le pays est détruit. Peux-tu partir?», m’avait-on demandé en début de soirée.
Les communications avec Haïti étaient rompues. Tous les vols commerciaux étaient annulés. Après moult complications et un passage obligé par la République dominicaine – le pays voisin qui partage la même île – l’équipe du Journal foulait le sol haïtien le 14 janvier, en matinée.
J’avais rendez-vous avec l’horreur. Si le paradis existe, l’enfer aussi. La capitale, Port-au-Prince, était dysfonctionnelle. À peine débarqués de l’avion, des Haïtiens, voyant nos caméras, venaient à notre rencontre pour lancer un appel à l’aide à la communauté internationale.
Les secouristes arrivaient au compte-gouttes. Des jours durant, nous avons été témoins d’un chaos inimaginable. Plus de 100 000 bâtiments se sont effondrés; 200 000 ont été gravement endommagés. Les victimes ? Si nombreuses qu’on ne savait plus quoi en faire.


Des milliers de cadavres, y compris ceux d’enfants, étaient cordés ici et là, dans les rues. Plusieurs Haïtiens s’appliquaient du dentifrice sous les narines pour essayer de masquer l’odeur pestilentielle qui flottait.
Les premières opérations de distribution d’eau et de nourriture tournaient systématiquement au vinaigre.
Les rues étaient bondées de morceaux de béton, de tiges d’acier, de poussière et de déchets, mais aussi de milliers de marcheurs. Il nous a fallu un moment pour réaliser que nous assistions à l’exode massif des sans-abri, qui avaient tout perdu, vers des camps improvisés.
Dès lors, nous savions qu’ils y vivraient pendant plusieurs années, dans des conditions misérables.
J’y suis retourné à deux reprises, en 2010, pour y découvrir à chaque fois la quasi-absence de progrès. La dernière fois que j’y ai mis les pieds, c’était en novembre de la même année, lors du premier tour des élections présidentielles.


Fin 2014, on me donne l’opportunité d’effectuer un quatrième séjour pour aller observer les changements sur le terrain en prévision du cinquième anniversaire de la pire catastrophe naturelle de l’ère moderne.
En débarquant de l’avion, fini le contact avec le tarmac. Des corridors suspendus ont été aménagés pour sortir de l’appareil. Des musiciens accueillent les visiteurs avec un air joyeux des Caraïbes. Ne manque que le cocktail de bienvenue pour s’imaginer en République ou en Jamaïque.
La visite se gâte. Des ouvriers s’affairent toujours à retaper l’aéroport Toussaint-Louverture, fissuré par le séisme. Dans la rue, une impression de déjà-vu. Un nouveau rendez-vous avec la misère humaine.
Comme avant, des dizaines d’Haïtiens attendent les visiteurs à l’extérieur de l’aéroport. Ils insistent pour transporter vos valises, dans l’espoir d’un pourboire. «Je n’ai pas de travail et j’ai trois enfants à nourrir.» Il y a des choses qui ne changent pas...
Les rues grouillent de vie. Le chaos habituel a repris ses droits dans la capitale surpeuplée. Les routes ont été dégagées de tous les gravats, mais elles sont toujours aussi cahoteuses.
Des déchets jonchent le sol partout à Port-au-Prince. La collecte des ordures est limitée à certains quartiers. Dans un milieu si pauvre, si sale et pollué, c’est toujours un peu déroutant de voir à quel point les habitants sont bien sapés, si fiers, un brin coquets, avec des vêtements à la mode, colorés et étincelants de propreté.


Le plus frappant, ce n’est pas ce que l’on voit, mais ce qu’on ne voit plus.
Cinq ans après le séisme, les camps de réfugiés ont presque disparu. En 2010, on dénombrait 1 555 camps dans lesquels s’entassaient 1,5 million de personnes. Plus de 95 % ont quitté ces camps. Il n’y en a plus qu’une centaine, surtout en périphérie de la capitale.
Le Journal est retourné sur les lieux de nombreux drames et d’immeubles effondrés, immortalisés à l’époque par des clichés terrifiants. La plupart du temps, ces bâtiments en ruines n’existent plus. Les débris ont été retirés. Ne reste plus qu’un trou béant, une cicatrice, un terrain vague.
Difficile d’évaluer combien d’immeubles ont été reconstruits. Les statistiques n’existent pas. Plusieurs maisons ont été reconstruites sans respecter les normes parasismiques. Dans un amas de pierres et de tiges d’acier, une vieille dame a refait sa vie en construisant un abri rudimentaire. Elle entasse des bouteilles vides qu’elle espère revendre pour quelques gourdes et vit, au quotidien, dans ces lieux crasseux, dangereux et d’une tristesse infinie.


Les pauvres sont toujours aussi pauvres, les riches toujours aussi riches. On cherche la classe moyenne. On vend de tout dans la rue et au marché. Des milliers d’Haïtiens gagnent leur vie en achetant des denrées dans l’espoir d’une revente à profit.
Ils sont nombreux à retourner bredouilles à la maison le soir venu.
«Il y a trop de vendeurs. Ça ne marche pas fort. C’était franchement mieux avant. C’est devenu très difficile», témoigne Bienaimable Raoul, un vendeur itinérant de médicaments et de recharges pour cellulaires. Il travaille 12 heures par jour, sept jours sur sept. Ses meilleures journées lui rapportent 6 $ US.
«C’est devenu beaucoup plus difficile parce qu’avant, il y avait du travail. Maintenant, il n’y en a plus. Cependant, c’est plus sécuritaire parce qu’il y a beaucoup plus de policiers et il n’y a presque plus de voleurs», nuance Désir Wilno, un ferblantier.
C’est vrai que le pays est de plus en plus sécuritaire. À l’exception des manifestations, parfois violentes, qui sont à éviter, nous avons sillonné le pays pendant une semaine et nous sommes aventurés dans plusieurs quartiers pauvres et bidonvilles, sans escorte ni garde du corps.
Malgré l’insistance légendaire de certains vendeurs, la sollicitation récurrente d’argent et les habituelles protestations en raison de la présence du photographe, nous n’avons jamais craint pour notre sécurité et n’avons pas perçu la moindre menace.


Dans la capitale, de rares grues s’activent sur des chantiers majeurs pour reconstruire des ministères et édifices publics.
Un nouveau Palais national pour remplacer celui qui s’est écroulé? Ce n’est ni pour demain ni pour après-demain. Pas une priorité du gouvernement haïtien.
Là où s’élevait autrefois le somptueux édifice, on ne retrouve plus aujourd’hui qu’un immense terrain gazonné, caché derrière des clôtures givrées. Une façon d’oublier le drame qui s’est joué, dit-on.
En montant vers les collines de Pétionville, la banlieue riche de Port-au-Prince, les routes sont propres. Une poignée d’hôtels de luxe ont vu le jour, en quête de touristes. Ils finiront par venir, nous a-t-on répété à plusieurs reprises.
Pour relancer son économie, celle que l’on surnommait autrefois la «Perle des Antilles» y croit beaucoup…


L’argent promis pas versé
La communauté internationale avait promis 11 milliards $ à Haïti. Moins de 5 milliards $ ont été décaissés. Plus de 95 % des sommes ont été versées à des ONG (organismes non gouvernementaux). L’État haïtien s’est contenté de miettes.
«Il y aura toujours des critiques sur la façon dont l’argent a été dépensé, mais je crois que dans les circonstances, on s’est pas mal sortis d’affaire. On n’est plus dans un stade d’urgence, mais de développement progressif», affirme le Québécois Andy René, qui travaille en Haïti sous les ordres du premier ministre pour le CAED (Coordination de l’aide externe au développement d’Haïti).


Les indicateurs économiques sont encourageants: boum créateur d’emplois dans la construction, hausse des investissements étrangers de 19 % en 2013, croissance du PIB de 4,3 %, augmentation des importations de 5 %.
À n’en point douter, Haïti est sur une lancée. Mais cet élan risque malheureusement d’être freiné par une nouvelle crise politique. L’instabilité a hypothéqué le pays depuis des décennies. Haïti et le monde entier retiendront leur souffle en cette année électorale 2015 pour que le calme revienne.
Une fois pour toutes.

